DOMAINE MUSICAL
DOMAINE MUSICAL
La naissance du «Domaine musical» correspond à un moment très précis dans l’évolution de la musique en France. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale débute la période où toute une génération de jeunes musiciens reçoit, dans le climat de liberté et d’ouverture psychologique et intellectuelle qui suit la fin des hostilités, la révélation de la musique de l’école de Vienne (Schönberg, Berg, Webern), découvre le dodécaphonisme schönbergien et, bientôt, théorise le principe de l’écriture sérielle.
Un nouveau et très vaste champ d’action et de prospection s’ouvre aux jeunes compositeurs, mais ils ne trouvent alors guère de lieu d’accueil, au sein des associations musicales existantes, pour faire connaître cette musique nouvelle, aussi bien celle des pères de cette révolution que celle qu’ils sont amenés à écrire eux-mêmes dans cette voie.
Chef de file enthousiaste autant que critique, résolu à l’efficacité, Pierre Boulez, profitant des ouvertures que lui procure sa situation de directeur musical auprès de la troupe de Jean-Louis Barrault, fonde alors, grâce à l’hospitalité du directeur de la troupe théâtrale, les Concerts du Petit Théâtre Marigny (1953) qui se transportent vite au Grand Théâtre Marigny (1954). Le succès de l’entreprise détermine Pierre Boulez à fonder (à la fin de la même année) l’association culturelle du Domaine musical. Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault, Mme Léon Tézenas et Pierre Boulez en sont les membres fondateurs. Pierre Boulez en devient le directeur; en 1967, il démissionne de ses fonctions et passe ses pouvoirs au jeune compositeur Gilbert Amy, qu’il a formé comme chef d’orchestre.
Pendant près de vingt ans (1954-1973), l’association du Domaine musical s’est attachée à faire connaître la musique de l’école de Vienne. Un des tout premiers concerts au théâtre Marigny, le 10 avril 1954, révélait au public les pièces de l’opus 10 de Webern, qui durent être bissées. C’est le Domaine musical qui présente ainsi pour la première fois en France une vingtaine des œuvres de Webern, la Suite opus 25 et le Quatrième Quatuor de Schönberg, le Quatuor opus 3 et les Pièces opus 6 de Berg, ainsi que des œuvres importantes de Stravinski. Par définition et par vocation, ouverte au présent musical, l’association promeut la musique des compositeurs contemporains, qu’elle exécute et, souvent, qu’elle commande. Dès la première saison (1955), c’est la création du Livre d’orgue d’Olivier Messiaen, de Structures (Livre I) de Pierre Boulez, de Mobile d’Henri Pousseur; l’année suivante, celle de Séquence de Jean Barraqué.
Le palmarès du Domaine musical s’élève à près de deux cent cinquante œuvres nouvelles d’environ soixante-quinze jeunes compositeurs de tous les pays. Parmi eux: Alsina, Arrigo, Barraqué (Au-delà du hasard , Le Temps restitué ), Bennett, Berio (Tempi concertati , Différences , Circles ), Boucourechliev (Archipels et Anarchipel ), Brown, Boulez (Le Marteau sans maître , Troisième Sonate , Éclat ), Bussotti (Passion selon Sade ), Cage, Éloy, Feldmann, Globokar, Halffter, Jolas, Kagel (Phonophonie , Match ), Ligeti, Mache, Maderna, Mefano, Nono (Polifónica , Y su sangre ), Luis de Pablo, Penderecki, Pousseur, Riley, Stockhausen (Kontrapunkte , Gesang der Junglinge , Mantra , Kontakte , Momente ), Tabachnik, Xenakis (Eonta , Aroura ), Zimmermann...
Parallèlement à l’effort en faveur du concert, l’association culturelle du Domaine musical édite dès ses débuts un bulletin international de musique contemporaine, placé sous la direction de Pierre Boulez, et projette une collection de livres sur la musique, que dirige alors Pierre Souvtchinsky (traduction et présentation des écrits de Schönberg ou de Webern).
Ce sont des raisons financières graves qui contraignent Gilbert Amy à annoncer, à l’automne de 1973, la cessation des activités du Domaine musical; mais le directeur du Domaine évoque aussi «la crise que traverse aujourd’hui la création musicale» comme une des causes qui justifient l’arrêt des concerts. Si bien que le Domaine musical, instrument d’une époque, et expression d’un moment de l’évolution de l’histoire musicale, semble bien en fin de compte être mort de devoir s’ouvrir à d’autres domaines.
Encyclopédie Universelle. 2012.