DEVOTIO MODERNA
La Devotio moderna est un mouvement spirituel qui prit naissance aux Pays-Bas vers la fin du XIVe siècle et atteignit son plus grand développement au cours du XVe siècle, période durant laquelle son influence se fit sentir jusqu’en Allemagne et en France; la première moitié du XVIe siècle vit son déclin. Dès les origines, les membres du mouvement donnent à leur spiritualité le nom de Dévotion moderne, montrant bien par là qu’ils ont conscience de la relative nouveauté de leur apport. Ils cherchent avant tout à favoriser la prière et la piété personnelles, grâce à une ascèse psychologique et intérieure. Le joyau de la Devotio moderna est l’Imitation de Jésus-Christ , le livre le plus lu dans le monde chrétien après la Bible.
L’essor du mouvement
L’initiateur en fut incontestablement Gérard Groote (1340-1384), fils d’une famille bourgeoise de Deventer, tôt pourvu de bénéfices ecclésiastiques, mais qui ne fut jamais prêtre, et qui, après une carrière assez mondaine, se convertit vers 1374. Il résigna alors ses bénéfices, vécut dans la retraite et la pauvreté, et créa deux groupes religieux, les Frères et les Sœurs de la vie commune, sociétés pieuses de personnes vivant en petits groupes sans avoir prononcé aucun vœu. Groote mourut, jeune encore, avant d’avoir pu pleinement réaliser son œuvre, qui fut continuée et renforcée par son disciple Florent Radewijns. Celui-ci donna un statut ferme aux Frères et Sœurs de la vie commune, développa l’œuvre et défendit ses membres contre les attaques des congrégations de réguliers. Il estima, en outre, nécessaire de fonder lui-même la congrégation des chanoines réguliers de Windesheim. D’autres monastères vinrent s’y agréger, et l’ensemble connut une rapide extension: il comptait treize maisons en 1430. Chacune de ces communautés devint à la fois un centre de réforme monastique et un foyer de rayonnement spirituel, et leur influence devait se prolonger longtemps. Ni les chanoines, ni les frères ne s’adonnaient ordinairement à l’apostolat extérieur, et leur vie était principalement contemplative. Cependant, ils se préoccupaient beaucoup de propager les livres de piété et constituèrent d’excellents ateliers de copistes. Parmi les ouvrages qu’ils diffusèrent, beaucoup sont des anthologies de textes scripturaires ou spirituels, connus sous le nom de Rapiaria ou Collectaria : ils créèrent ainsi une mode qui se maintint jusqu’au XVIIe siècle. Mais, en outre, la Devotio moderna produisit de nombreux auteurs originaux dont peu, malheureusement, sont de premier plan. Pourtant, c’est de ce mouvement qu’est sorti le livre de spiritualité le plus lu sans doute dans la chrétienté: l’Imitation de Jésus-Christ. D’autre part, les Frères furent amenés à ouvrir de nombreuses écoles, en général d’excellente qualité: on sait que Érasme fut leur élève à Bois-le-Duc.
À un moment où les signes d’une décadence du milieu ecclésiastique n’étaient que trop évidents, les intentions réformistes du milieu de la Devotio moderna se manifestèrent ouvertement. Frères et chanoines réagirent avec vigueur contre le luxe et la richesse des monastères, prêchèrent la pauvreté de la vie et la simplicité dans la construction des bâtiments, ce qui explique que leur influence sur l’architecture et l’art religieux ait été pratiquement nulle. Tout un milieu de pieux laïcs et de prêtres séculiers gravita autour de chacune de leurs maisons, étendant leur influence. Dans ce milieu, on trouve beaucoup de gens de condition modeste et de culture assez restreinte, d’où la nécessité pour le groupe de la Devotio moderna de s’adapter à ce public relativement simple et peu intellectuel, ce qui nuancera sa spiritualité d’une manière assez particulière.
Une spiritualité originale
La Devotio moderna a pris naissance aux Pays-Bas, dans un milieu fortement imprégné de spiritualité mysticisante assez proche de celle de Maître Eckhart et de ses disciples rhénans, et que résume bien le grand nom de Van Ruysbroek (1294-1381). Elle n’en recevra cependant qu’une influence diffuse et assez lointaine, qu’il ne faudrait pas exagérer. Si Groote vint passer quelque temps auprès de Ruysbroek en 1377, ce fut surtout pour s’initier à sa conception de la vie monastique; son opinion sur les œuvres du grand mystique demeura toujours assez hésitante et ses propres productions sont étrangères aux spéculations de Ruysbroek. La Devotio moderna rejoint surtout les Rhéno-Flamands par l’accent qu’elle met sur la vie intérieure personnelle.
C’est là, en effet, un trait qui marque fortement le groupe. Pour eux, l’intimité personnelle entre l’âme et Dieu se situe au premier plan et l’emporte sur la liturgie aussi bien que sur les œuvres extérieures de dévotion. D’où la tendance à restreindre aussi bien la longueur excessive et la multiplication des offices choraux que le luxe extérieur des cérémonies, la réticence à l’égard des pèlerinages, des processions, jugés peu favorables au vrai recueillement. Chez certains représentants du mouvement, tel Wessel Gansfort, la critique des pèlerinages, des dévotions, des indulgences, s’exprimera en des termes si incisifs que plusieurs historiens protestants ont vu en lui un prédécesseur de Luther. Il n’en est rien, car cette critique se situe en fait sur le plan spirituel et non sur le terrain théologique.
L’objectif principal de la Devotio moderna étant de former à la prière et à la piété personnelles un public relativement simple, ses représentants s’efforceront de découvrir des procédés pratiques et efficaces qui seront adaptés à ce but. C’est d’abord la recherche d’une ascèse avant tout psychologique et intérieure, où l’analyse et l’introspection tiennent une place de plus en plus grande, et qui ouvre déjà les voies au psychologisme spirituel du XVIe siècle. C’est ensuite le développement d’une affectivité expansive, destinée à supplanter les sèches spéculations de la raison, les constructions théologiques jugées inutiles et même dangereuses. C’est enfin la mise au point d’une technique de la prière personnelle, qui va conduire rapidement à l’édification des premières méthodes d’oraison mentale; on sait le développement qu’elles prendront par la suite. Mais les œuvres issues de la Devotio moderna contiennent déjà sur ce point toute une technique que les générations suivantes ne feront que développer et organiser.
En revanche, cette nécessité d’adaptation très générale amène les gens de la Devotio moderna à mettre fortement l’accent sur les états ordinaires de la vie intérieure et à manifester une certaine défiance à l’égard de l’expérience mystique. Ce n’est point là sans doute un trait universel, et il y a dans le groupe des nuances et des exceptions individuelles, mais l’orientation générale est assez nette et montre bien à quel point il se sépare du mysticisme des Rhéno-Flamands.
Les personnalités marquantes
Le fondateur de la Devotio moderna , Gérard Groote, en dépit de la brièveté de sa carrière, a produit une œuvre abondante, mais où les considérations ascétiques et réformistes tiennent une place envahissante, et dont l’intérêt est relativement réduit. Le célèbre Thomas a Kempis (1380-1471) est le représentant le plus complet de l’école: il faut voir en lui l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ , œuvre composite, mais où sa personnalité s’est admirablement exprimée, surtout dans les livres II et III; nombre de ses autres opuscules ne sont point indignes d’un tel voisinage. Il faut nommer enfin l’un des derniers représentants de la tendance, Jean Mombaer, dit Mauburnus (1460 env.-1501), abbé de Livry, dont le Rosetum exercitiorum spiritualium constitue un remarquable manuel de méditations, qui ouvre la voie aux Exercices de saint Ignace.
Encyclopédie Universelle. 2012.