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DETTE PUBLIQUE
DETTE PUBLIQUE

La notion de dette publique est commune à tous les pays, mais divers sont les problèmes qu’elle pose – et les solutions qui leur sont apportées sont fonction du passé monétaire, de la conjoncture économique et des institutions juridiques.

Les finances publiques ont en effet des liens étroits avec différentes disciplines. Avec l’économie: l’extension de la dette publique dépend à la fois des nécessités financières et de la conception qu’on a du rôle économique de l’État. Avec le droit: son existence même résulte d’un contrat entre l’État emprunteur et d’autres agents (entreprises, ménages et organismes financiers). Avec la psychosociologie: l’évolution de ses composantes est fonction du comportement des agents économiques quant à la répartition de leur revenu entre épargne et consommation, et au placement de cette épargne.

Il faut analyser la dette publique selon différents points de vue qui sont également significatifs. Une première approche sera de déterminer quel est son volume et quelle est sa structure. Mais, pour connaître son influence réelle sur l’économie, encore faut-il examiner la charge que constituent ses intérêts et son amortissement. Peut-on, à travers les procédés de gestion de la dette, entrevoir le degré de libéralisme d’un régime? Oui, par la politique de l’État sur les marchés financier et monétaire où il se trouve en concurrence avec le secteur privé. Mais, au sein même du secteur public, la gestion de la dette fait naître des occasions de conflit en matière de politique monétaire: à objectifs multiples, instruments variés. La dette publique n’est que l’un de ceux-ci aux mains de l’État.

Une dette est un engagement de rembourser une somme d’argent prêtée. La dette publique représente la totalité des engagements de l’État à une date déterminée; elle est la résultante des flux de ressources empruntées et remboursées par l’État jusqu’à cette date.

L’État emprunte pour couvrir la différence entre ressources et charges publiques décrites dans la loi de finances ou les opérations de trésorerie. Longtemps, la règle de l’équilibre budgétaire fit de l’emprunt une ressource exceptionnelle. Mais, aujourd’hui, l’extension des charges de l’État liée à celle de ses fonctions explique – voire justifie – que le déficit soit devenu la règle des exercices budgétaires, l’équilibre ou le suréquilibre, l’exception.

Pourquoi prête-t-on à l’État? Jadis, les titres de dette publique étaient considérés comme des valeurs sûres. Ils permettent surtout aujourd’hui de placer des liquidités en attente d’emploi et sont facilement mobilisables.

Volume

Le volume de la dette publique prend toute sa signification quand on examine son évolution à long terme. Trois facteurs essentiels influencent l’évolution du montant en capital de la dette: les déficits budgétaires qui en sont la cause, la dépréciation monétaire qui en allège le poids réel et la croissance économique qui en diminue le poids relatif. En France, ces facteurs ont joué de manière diverse suivant les périodes (tabl. 1).

La politique de facilité budgétaire suivie pendant et après la Première Guerre mondiale et reprise en 1936 par le Front populaire a plus que compensé l’effet d’allégement de la dépréciation monétaire. Et, entre les deux guerres, le revenu national n’a crû que très faiblement. Pendant et juste après la Seconde Guerre mondiale, c’est le facteur dépréciation monétaire qui explique la chute du pourcentage entre 1938 et 1949. Ensuite, sa baisse constante jusqu’en 1973 provient essentiellement de la croissance économique forte et presque régulière. Sa quasi-stabilité de 1973 à 1981 tient à un taux de croissance à peu près identique, en fait modéré, du volume de la dette et du produit intérieur brut. À partir de 1981, les déficits budgétaires augmentent fortement, tandis que la croissance économique se ralentit; l’importance absolue et relative de la dette ne peut donc que croître.

Les comparaisons internationales situent la France parmi les pays ayant le plus faible volume de dette publique: en 1990, seule la république fédérale d’Allemagne a un pourcentage inférieur (21 p. 100); il est de 25 p. 100 en Grande Bretagne, 29 p. 100 aux États-Unis, 97 p. 100 en Italie, 30 p. 100 en moyenne pour l’O.C.D.E.

Structure

Comme pour le volume de la dette publique, c’est l’évolution à long terme de la structure de cette dette qui est intéressante (tabl. 2).

La dette perpétuelle, importante avant la Première Guerre mondiale, a pratiquement disparu après la Seconde.

L’encours de la dette intérieure – à moyen et à long termes – de l’État dépend du lancement des grands emprunts publics et du rythme de leurs amortissements. Entre 1959 et 1977, il y eut très peu de grands emprunts; d’où la baisse du pourcentage. Reprise des émissions depuis 1978, pour tenter de financer sur ressources d’épargne, non inflationnistes, les déficits budgétaires croissants jusqu’en 1985 et demeurés importants depuis lors.

Les deuxième et troisième lignes constituent la dette flottante, en forte hausse relative jusqu’en 1973, puis en baisse par suite de la reprise des grands emprunts. La dette flottante présente, en principe, un grave risque: le maintien de son encours est subordonné à la permanence des dépôts pour la dette à vue, au renouvellement des souscriptions pour celle à court terme. Mais la majeure partie de cette dette est portée, en France comme dans les autres pays où elle s’est également développée, par des organismes monétaires ou financiers qui entretiennent, en fait ou en droit, avec l’État des relations de dépendance ou de coopération. Ce qui exclut le risque de cessation de paiement de l’État, qui résulterait de retraits de fonds ou de non-renouvellements massifs, sans supprimer toutefois la possibilité de crises de trésorerie que la politique monétaire et financière s’efforce de prévenir ou s’attache à guérir. Demeure l’inconvénient majeur de la dette flottante: sa potentialité de tensions inflationnistes, notamment quand les titres à court terme sont refinancés par la Banque centrale.

La dette extérieure a diminué de façon spectaculaire et constante de 1949 à 1980. Puis, elle a rapidement remonté pour, à nouveau, diminuer, grâce à des remboursements, parfois anticipés, et à la baisse du cours du dollar, monnaie en laquelle sa moitié environ est libellée.

Charges

Depuis la dernière guerre, la charge des intérêts, en pourcentage des dépenses du budget général, a régulièrement baissé de 7 à 2,5 p. 100 en 1967, sous le double effet d’une politique budgétaire redevenue assez rigoureuse et d’une baisse des taux d’intérêt. Elle a ensuite oscillé entre 2,5 et 3 p. 100 jusqu’en 1974. Depuis lors, elle est en hausse régulière: 4,2 p. 100 en 1975, 5,1 p. 100 en 1979, 8,1 p. 100 en 1983, et depuis 1984 elle oscille entre 9 et 10 p. 100, dépassant les 100 milliards de francs depuis 1986 (138 en 1990). Les principales causes de cette hausse sont: la réapparition des déficits et l’augmentation des taux d’intérêt.

Aux charges d’intérêt, il convient d’ajouter celles des amortissements qui, après avoir longtemps avoisiné 2 milliards de francs, dépassent le plus souvent 10 milliards depuis 1982.

Les charges de la dette en France sont légères, comparée à celles d’autres pays. Pour les seuls intérêts, mais de l’ensemble des administrations publiques (c’est-à-dire en sus de l’État, les collectivités locales et la Sécurité sociale), en 1990 la charge, en pourcentage des dépenses publiques totales, se monte à 4 p. 100 en France, contre 5 p. 100 en république fédérale d’Allemagne et en Grande-Bretagne, 7,5 p. 100 aux États-Unis et 6,5 p. 100 en moyenne pour l’O.C.D.E.

Les inconvénients d’un endettement public important s’aggravent quand on passe de la dette intérieure à la dette extérieure. Pour la première, un pourcentage élevé de charges d’intérêt limite la flexibilité du budget, instrument de politique conjoncturelle, et empêche de réaliser d’autres catégories de dépenses. De forts montants d’amortissement réduisent la ressource nette que le Trésor retire de l’émission de nouveaux emprunts. La seconde diminue la confiance des prêteurs, étrangers ou internationaux, dans la solvabilité du pays, le paiement des intérêts ainsi que le remboursement du capital exigeant non seulement de dégager des excédents de ressources sur les charges publiques, comme pour la dette intérieure, mais aussi des disponibilités en devises étrangères qui peuvent exiger le recours à de nouveaux emprunts. C’est le cercle vicieux de l’endettement qui risque de conduire à une diminution de l’indépendance du pays dans la conduite de sa politique monétaire et financière. Situation dans laquelle se trouvent de nombreux pays en voie de développement. Ces risques sont actuellement résumés en France par le concept de contrainte extérieure.

L’État emprunteur

Il arrive à l’État de dégager un suréquilibre budgétaire qui lui sert à amortir sa dette. Mais les ressources publiques étant essentiellement constituées d’impôts, la limite de la pression fiscale s’oppose à tout remboursement massif. Pour renouveler sa dette et couvrir ses nouveaux déficits budgétaires, l’État doit le plus souvent se porter demandeur d’épargne sur les marchés financier et monétaire. En cas de récession, il peut jouer un rôle complémentaire à celui du secteur privé, en épongeant les épargnes oisives. D’ordinaire cependant, il le concurrence, mais est-il un concurrent loyal?

On affirme généralement que, dans les pays anglo-saxons, l’État se soumet à la loi du marché, tout en l’influençant par la politique d’open market. Cependant, des privilèges fiscaux existent en Grande-Bretagne pour l’État et aux États-Unis pour les collectivités locales.

En France, l’État a longtemps utilisé tout un arsenal de mesures incitatives ou coerci tives pour drainer l’épargne et les liquidités ; à l’égard du public: indexation et privilèges fiscaux; à l’égard des organismes monétaires et financiers: dépôt obligatoire au Trésor des fonds de ses correspondants, plancher d’effets publics à souscrire par les banques, échéancier de tous les emprunts fixé par l’État qui se réserve les meilleurs moments de l’année. Ces mesures ont été abrogées ou allégées dans les années soixante. Ce «désengagement» partiel du Trésor répondait au libéralisme proclamé de la politique française. Il a été rendu possible par la réduction du déficit budgétaire, et même certaines années par sa disparition.

On a profité de cette amélioration de la situation financière pour introduire en France les procédés monétaires anglo-saxons réputés plus libéraux: réserves obligatoires des banques à la Banque centrale (bien que, dans le cadre de la convergence monétaire européenne, celles-ci soient de plus en plus faibles), placement des bons du Trésor par adjudication, développement de l’open market qui accroît l’importance du marché monétaire, ouvert depuis 1986 à tous les agents économiques et financiers, enfin, dérégulation de la politique monétaire fondée essentiellement sur l’intervention par les taux d’intérêt.

Jusqu’à présent, la réapparition des déficits budgétaires n’a pas provoqué de nouvelles mesures coercitives.

Du fait de l’importance des liquidités dans la composition de l’épargne moderne, il est évident que la gestion de la dette publique interfère avec la politique monétaire. L’abondance du marché monétaire en liquidités dépend beaucoup de la politique de la Banque centrale en matière de crédit. S’il y a menace d’inflation, cette dernière élèvera le taux du marché monétaire. Or l’État emprunteur, qui ne peut pratiquement pas amortir sa dette, s’efforce de la gérer au moindre coût: d’où une possible opposition avec la Banque centrale, garante de la stabilité monétaire. Des conflits sur ce point entre Banque centrale et Trésor sont envisageables, et ont eu lieu, dans les pays anglo-saxons, notamment, où les Banques centrales sont indépendantes du pouvoir politique. Pas en France où elle est nationalisée depuis 1945. N’empêche que les autorités monétaires doivent souvent pratiquer l’art de concilier des exigences opposées.

Encyclopédie Universelle. 2012.