CONTEMPLATION
CONTEMPLATI
Pour la plupart des philosophes grecs, et essentiellement pour le courant de pensée qui relie le pythagorisme, Platon et le néoplatonisme, la contemplation (théôria , de Théa: déesse, et oraô : voir) désigne une attitude de connaissance qui permet à l’être humain de se libérer d’une condition commune d’esclavage du sensible, des désirs et des opinions, et d’atteindre ainsi la perfection de sa nature et l’autarcie qui en résulte. La contemplation serait à la fois connaissance suprême, maîtrise de soi, vision directe des réalités célestes et proximité ou contact avec le divin. Par là, la philosophie grecque est en accord avec la sagesse traditionnelle, telle qu’on la retrouve formulée dans toutes les grandes voies spirituelles.
Une telle conception de la contemplation — avec l’anthropologie et la théorie de la connaissance qu’elle sous-entend — est à l’opposé d’un certain aspect de la pensée moderne. Pour celle-ci, seule l’action est susceptible de permettre la libération de l’homme et, à la limite, la connaissance est elle-même une forme d’action. Elle se caractérise par la prééminence de la pensée opératoire et technique sur toute forme de théorie, suspectée d’être coupée de tout contact avec le réel. Seule la transformation du monde par l’action humaine serait susceptible de transformer l’être humain.
Or ce que ces modernes entendent par le terme action est cela même qui est condamné par la pensée traditionnelle. Les différentes voies de sagesse s’accordent pour critiquer cette action en la dénonçant comme agitation, aliénation, mensonge à soi, fuite devant le réel. Le retournement de la nature contre elle-même, qu’est l’action selon la pensée moderne, est dénoncé par la sagesse traditionnelle comme aveuglement et sommeil, inversion de l’ordre de la réalité humaine et de ses valeurs, dispersion dans l’illusion de la multiplicité. Bien loin de nous réaliser, la volonté d’agir sur le monde extérieur est perçue par la sagesse comme dépossession de soi, fruit d’une volonté de puissance laissée à elle-même. Elle n’est possible que par une absence de maîtrise de soi, qui nous fait nous identifier instant par instant au chaos des mouvements, des émotions, des motivations et des associations d’idées qui nous traversent en tout sens et qui laissent la pensée perdue au milieu du divers et de l’opinion.
Théôria ne désigne pas la pensée pure, mais la vision directe, sans médiation, de la réalité, vision résultant d’un long effort de maîtrise et d’accomplissement de soi. La sagesse traditionnelle la désigne comme éveil, lumière et vision. Il s’agit de transformer l’homme en l’amenant à la lente prise de conscience de cette puissance de dépossession de soi. La finalité de la contemplation est de libérer l’humain d’une «chute», d’une «calamité originelle» qui le condamne à vivre en dehors de soi, dans un ordre qui est un «monde à l’envers». La catharsis philosophique consistera précisément à remettre à l’endroit la réalité humaine, puis à s’élever dans la connaissance de la réalité restaurée dans son orientation métaphysique originaire. Cette connaissance, traversant des niveaux de réalité de plus en plus englobants, reflète notre niveau d’être.
La contemplation est le moment de cette progression où l’être humain rejoint son centre. Elle ne constitue nullement un terme à la quête philosophique de la réalité, mais le passage décisif où s’opère une complète mutation de l’être et un abandon de la condition déchue, c’est-à-dire l’inconscience et la non-connaissance des principes premiers. Seulement alors, l’être humain est capable d’action. Car, après s’être purifié de l’emprise de cet inconscient qui l’habite et qui est opacité, il voit, par une illumination soudaine, la réalité en soi et pourra ainsi désormais référer tous ses actes à ce centre intelligible de soi. La contemplation réalise un intermédiaire nécessaire dans la «progression mystique» qui se scande en trois moments: 1o purification, représentant la vie humaine authentique; 2o contemplation, correspondant à la vie «daïmonique»; 3o enfin, la communion réalisant la vie divine en l’humain.
Les états de conscience contemplative correspondent à une série d’expériences supranoétiques, suggérées par des énigmes et des symboles (cf. Timée , 28 c). Plotin évoque l’état contemplatif comme «un contact ineffable et inintelligible, antérieur à la pensée» (Ennéades , V, 3-10). Selon pseudo-Denys, le contemplatif ne s’élève dans ces expériences qu’«autant qu’il peut recevoir la lumière» (Hiérarchie céleste , IV, 2). Cela revient à reconnaître que ce que nous connaissons nous le sommes. Le terme contemplation recouvre ainsi plusieurs niveaux d’ouverture de la conscience à la réalité. En ce sens, il ne s’agit pas d’un savoir, mais d’une attitude d’attention, d’une expérience de présence à soi de l’être, d’un éveil qui est suprême recueillement sur soi de l’intellect contemplatif. Cette présence est témoignée par la symbolique de la lumière et est évoquée comme une fusion où la lumière fait conjoindre le regard qui contemple et la réalité contemplée. La fusion du contemplant et du contemplé est fréquemment traduite à travers un symbolisme de la hiérogamie.
contemplation [ kɔ̃tɑ̃plasjɔ̃ ] n. f.
• v. 1174; lat. contemplatio
♦ Action de contempler.
1 ♦ Le fait de s'absorber dans l'observation attentive et généralement agréable (de qqn, qqch.). La contemplation du ciel, de la mer. Rester en contemplation devant une œuvre d'art.
2 ♦ Concentration de l'esprit (sur un sujet intellectuel ou religieux). ⇒ méditation. Être plongé, s'abîmer dans la contemplation. « Les Contemplations », poésies de V. Hugo.
♢ Relig. Communion de l'âme avec Dieu. ⇒ extase, mysticisme. « La contemplation est la fin dernière de l'âme humaine » (Bloy).
● contemplation nom féminin (latin contemplatio, -onis) Action de contempler quelqu'un, quelque chose, de les regarder avec attention et longuement : Contemplation d'un tableau. État de l'esprit qui s'applique profondément à un objet intellectuel, état de l'âme qui se donne tout entière à la méditation : Contemplation intérieure. Union à Dieu, par la connaissance affective. ● contemplation (citations) nom féminin (latin contemplatio, -onis) Roger Caillois Reims 1913-Paris 1978 Académie française, 1971 On ne doit pas attendre de l'éclair une clarté qui permette la contemplation. Les Impostures de la poésie Gallimard Frédéric Sauser, dit Blaise Cendrars La Chaux-de-Fonds 1887-Paris 1961 Un contemplatif… oui, c'est une autre forme de l'aventure ! Blaise Cendrars vous parle Denoël Jean Dutourd Paris 1920 Académie française, 1978 Où finit la paresse, où commence la contemplation ? Doucin Gallimard Isaac Félix, dit André Suarès Marseille 1868-Saint-Maur-des-Fossés 1948 Le vrai bonheur est une contemplation active. Remarques Gallimard Plotin Lycopolis, aujourd'hui Assiout, Égypte, vers 205-en Campanie 270 […] Chaque âme est et devient ce qu'elle contemple. Ennéades, IV, 3, 8 (traduction E. Bréhier) Plotin Lycopolis, aujourd'hui Assiout, Égypte, vers 205-en Campanie 270 Jamais un œil ne verrait le soleil sans être devenu semblable au soleil, ni une âme ne verrait le beau sans être belle. Que tout être devienne donc d'abord divin et beau, s'il veut contempler Dieu et le Beau. Ennéades, I, 6, 9 (traduction E. Bréhier) Plotin Lycopolis, aujourd'hui Assiout, Égypte, vers 205-en Campanie 270 Lorsque la contemplation s'affaiblit chez les hommes, ils passent à l'action qui est une ombre de la contemplation et de la raison. Ennéades, III, 8, 4 (traduction E. Bréhier) ● contemplation (expressions) nom féminin (latin contemplatio, -onis) Être en contemplation devant quelqu'un, quelque chose, l'admirer sans restriction et sans aucun esprit critique. ● contemplation (synonymes) nom féminin (latin contemplatio, -onis) Action de contempler quelqu'un, quelque chose, de les regarder avec attention...
Synonymes :
État de l'esprit qui s'applique profondément à un objet intellectuel...
Synonymes :
- méditation
- réflexion
- spéculation
Union à Dieu, par la connaissance affective.
Synonymes :
- extase
contemplation
n. f.
d1./d Action de contempler. Rester en contemplation devant un paysage.
d2./d Profonde application de l'esprit à un objet intellectuel ou religieux. Les Contemplations: recueil de poésies de Victor Hugo.
d3./d RELIG Connaissance de Dieu acquise par la méditation.
⇒CONTEMPLATION, subst. fém.
Regard ou considération assidue qui met en œuvre les sens (visuel, auditif) ou l'intelligence et concerne un objet souvent digne d'admiration. Être absorbé dans/par la contemplation d'un être, d'une chose.
A.— [Portant sur une pers., un objet matériel, un phénomène physique] Bouddhas laqués en contemplation devant une vierge préraphaélite (DE VOGÜÉ, Les Morts qui parlent, 1899, p. 56) :
• 1. ... la contemplation des accidents du badigeon de la muraille, quelle occasion de rêverie!
VALÉRY, Variété IV, 1938, p. 195.
B.— [Portant sur des sujets intellectuels ou religieux]
1. [Sujets intellectuels] Contemplation abstraite, esthétique, poétique :
• 2. Il relut Byron et rêva à la solitude des grandes âmes de ses héros; mais son admiration se ressentait trop de cette sympathie personnelle, qui n'a rien de commun avec la contemplation désintéressée du véritable artiste...
FLAUBERT, La 1re Éducation sentimentale, 1845, p. 140.
• 3. La nature qui cesse d'être objet de contemplation et d'admiration ne peut plus être ensuite que la matière d'une action qui vise à la transformer.
CAMUS, L'Homme révolté, 1951, p. 370.
— P. méton. Les Contemplations, titre d'une œuvre de V. Hugo.
— Contemplation de soi-même. Quelle bonne tête de brute [Chambouvard], transfigurée dans la contemplation de son nombril! (ZOLA, L'Œuvre, 1886, p. 143) :
• 4. De toutes manières, l'acte de réflexion, au lieu de se constituer en méditation athlétique où il ramasse ses forces pour les engager plus rudement, se dégrade alors en contemplation narcissique de ses propres formes.
MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 669.
— PHILOS. (sens platonicien). Contemplation théorétique des Idées :
• 5. Bonaparte, qui ne perdait son temps ni dans la contemplation des idées abstraites, ni dans le découragement de l'humeur, aperçut très vite en quoi le système de Sieyès pouvait lui être utile...
Mme DE STAËL, Considérations sur les princ. événements de la Révolution fr., t. 2, 1817, p. 20.
2. [Sujets religieux] Considération portant sur Dieu ou les choses divines, qui requiert l'amour et achève la méditation discursive, état de l'âme absorbée en Dieu :
• 6. ... il n'y a que les vertus théologales et les dons surnaturels, et la contemplation infuse, qui soient au-dessus de la raison.
MARITAIN, Primauté du spirituel, 1927, p. 152.
— THÉOL. Oraison de contemplation. ,,Oraison caractérisée par la prédominance du simple regard, de la vue simple et affectueuse`` (Foi t. 1 1968).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. : Ca 1174 « action de contempler » (G. DE PONT-STE-MAXENCE, St Thomas, éd. E. Walberg, 3910); ca 1223 sainte contemplacïon [de Dieu] (G. DE COINCY, éd. F. Koenig, 2 Chast., 10, 665); 1275-80 « profonde application de l'esprit » (J. DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 18328). Empr. au lat. class. contemplatio « action de considérer attentivement, par les yeux et par la pensée », spéc. Dieu, les choses divines en lat. chrétien. Fréq. abs. littér. :1 507. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 1 794, b) 2 619; XXe s. : a) 1 597, b) 2 514. Bbg. TRACC. 1907, p. 129.
contemplation [kɔ̃tɑ̃plɑsjɔ̃] n. f.
ÉTYM. V. 1174; lat. contemplatio, du supin de contemplari. → Contempler.
❖
♦ Action de contempler.
1 Action de s'absorber dans l'observation attentive (de qqn ou de qqch.). || La contemplation du ciel, de la mer. — En contemplation. || Rester en contemplation devant une œuvre d'art.
1 (…) la contemplation des merveilles de la nature (…)
Molière, Tartuffe, Préface.
2 La méditation dans la retraite, l'étude de la nature, la contemplation de l'univers, forcent un solitaire à s'élancer incessamment vers l'Auteur des choses, et à chercher avec une douce inquiétude la fin de tout ce qu'il voit et la cause de tout ce qu'il sent.
Rousseau, Rêveries…, 3e promenade.
3 Il s'approcha de la fenêtre et se perdit dans la contemplation du mur de la courette.
Martin du Gard, les Thibault, t. III, p. 64.
2 (1275). Concentration de l'esprit (sur un sujet intellectuel ou religieux). ⇒ Méditation, rêverie. || La contemplation d'une idée. — (Sans compl.). || Être plongé, s'abîmer dans la contemplation. || Goût de la solitude et de la contemplation (→ Bruit, cit. 4). || Les Contemplations, œuvre de V. Hugo. || Contemplation esthétique.
4 Je préfère la pensée à l'action, une idée à une affaire, la contemplation au mouvement.
Balzac, Louis Lambert, Pl., t. X, p. 410.
5 Il était demeuré là jusqu'à la nuit noire, absorbé dans une contemplation dont l'ivresse inondait son âme d'une joie presque surhumaine.
Paul Bourget, Un divorce, III, p. 118.
♦ Relig. Communion de l'âme avec Dieu. || Contemplation béatifique. ⇒ Extase, mysticisme.
6 J'y reconnais le mouvement magique de la contemplation, le train de l'extase, cette révolution qui emporte l'homme tout entier dans l'effroi de la vision qui lui est promise, qu'il redoute et désire, de tout son être, dans le même moment.
André Suarès, Trois hommes, « Dostoïevski », IV, p. 226.
7 La contemplation est la fin dernière de l'âme humaine, mais elle est très spécialement et, par excellence, la fin de la vie solitaire. Ce mot de contemplation, avili comme tant d'autres choses en ce siècle, n'a plus guère de sens en dehors du cloître.
Léon Bloy, le Désespéré, II, p. 79.
Encyclopédie Universelle. 2012.