curée [ kyre ] n. f.
1 ♦ Vén. Portion de la bête que l'on donne aux chiens de chasse après qu'elle est prise. Donner la curée aux chiens.
♢ Par ext. Le fait de donner la curée; le moment où on la donne. Sonner la curée.
2 ♦ (XVIe) Fig. Ruée vers les places, le butin, etc., lors de la disgrâce, de la chute de qqn. La curée des places. Se ruer à la curée.
⊗ HOM. Curé, curer.
● curée nom féminin (de cuir) Ensemble de certaines parties du cerf, du chevreuil ou du sanglier, et même du lièvre, qu'on donne aux chiens. Littéraire. Ruée avide pour s'emparer des biens, des places, des honneurs laissés vacants. ● curée (expressions) nom féminin (de cuir) Curée chaude, celle qui se fait sur le lieu même de la prise et aussitôt après. Curée aux flambeaux, curée froide, d'apparat, qui se fait dans une cour d'honneur à titre de spectacle, à la lueur des torches et au son des trompes. Curée froide, celle que l'on donne en rentrant au logis. ● curée (homonymes) nom féminin (de cuir) curé nom masculin curer verbe
curée
n. f.
d1./d VEN Partie de la bête donnée aux chiens après la chasse.
d2./d Moment de la chasse où l'on donne la curée.
d3./d Fig. Lutte pleine d'âpreté pour le partage des profits, des places.
⇒CURÉE, subst. fém.
A.— VÉN. Bas morceaux du gibier abattu, que l'on donne en pâture aux chiens, à la fin de la chasse. Curée de cerf; donner la curée. Jeter la curée à mes chiens (QUINET, Ahasvérus, 1833, 4e journée, p. 319). Les chiens hurlent à la mort, réclamant leur curée (PESQUIDOUX, chez nous, 1921, p. 40).
♦ Curée chaude. Celle qui est donnée sur le terrain quand la bête est encore chaude. Curée froide. Celle qui est donnée lorsque les chiens sont rentrés à la maison. Fourrant les mains dans le sang tiède et la curée chaude d'un chevreuil (GONCOURT, Journal, 1866, p. 301).
— P. anal. Pitance, pâture que trouve un oiseau, un animal. De la terre par lui fraîchement labourée Sont sortis plusieurs vers, excellente curée Qui seule attire ces oiseaux (FLORIAN, Fables, 1792, p. 116). P. métaph. L'Afrique livrée en curée aux loups européens (ROLLAND, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1260).
— Au fig. ou p. métaph. Ce à quoi on considère avoir droit pour en jouir. Ils regardaient Tyr comme une curée qui leur appartenait (LAMART., Voy. Orient, t. 1, 1835, p. 297). Dès que la mer leur jette un pauvre vaisseau, ils courent à la côte, hommes, femmes et enfants; ils tombent sur cette curée (MICHELET, Tabl. Fr., 1833-61, p. 11). Que tout ce qui vit de l'État (...) fasse cause commune avec eux, chacun défendant sa part de curée (CLEMENCEAU, Iniquité, 1899, p. 391).
B.— P. méton.
1. VÉN. Fait de donner aux chiens les bas morceaux et, pour les chiens, de les dévorer (généralement avec avidité) ou moment où l'on donne aux chiens ces morceaux. Chiens ardents à la curée; l'heure de la curée; sonner la curée. Le moment où, à la curée, les chiens se regardent (BALZAC, Illus. perdues, 1843, p. 634). Les hurlements des chiens, lâchés pour la curée (GENEVOIX, Der. harde, 1938, p. 128) :
• 1. ... l'animal, aveuglé de fatigue et de fureur, vient s'enferrer sur son épieu, qui le traverse du garrot aux entrailles (...). Alors commence la curée. Le veneur ouvre la bête et en donne les poumons et les viscères aux chiens, fatigués et affamés, qui se repaissent avidement.
FARAL, La Vie quotidienne au temps de St Louis, 1942, p. 37.
♦ Curée chaude, curée froide (cf. supra A). Après la chasse à courre, il y aura une curée froide aux flambeaux (ZOLA, E. Rougon, 1876, p. 167). Là au milieu des fanfares, on fit la curée chaude (LA HÊTRAIE, Chasse, vén., fauconn., 1945, p. 185).
♦ Mettre les chiens en curée. ,,Leur donner plus d'ardeur à la chasse, par la curée qu'on leur fait`` (Ac. 1798-1878). P. métaph. Donner plus d'ardeur à un groupe humain par l'espoir d'une récompense :
• 2. Alors, ramassant toutes ces passions, toutes ces ivresses, toutes ces frénésies silencieuses [de ses hommes qu'il haranguait], Legall les mit en curée, il les énerva, les piqua, les aiguillonna.
G. D'ESPARBÈS, La Guerre en sabots, 1914, p. 121.
♦ Faire curée. [En parlant d'un chien] Manger la bête qu'il a prise avant qu'on ne lui en donne l'autorisation. L'autre [chien] (...) se lança vers le lièvre (...) et en fit curée devant tous (VIALAR, Rendez-vous, 1952, p. 255). P. métaph. Ses courtisans, qui font curée de tous les biens (BALZAC, Illus. perdues, 1843 p. 712).
2. Au fig. Fait de se disputer avidement quelque chose que l'on convoite, notamment une situation vacante ou un bien disponible, souvent après la mort ou la chute politique de quelqu'un. Âpre à la curée. Une bourgeoisie dévorante, menant la curée parmi les ruines (ZOLA, Rome, 1896, p. 262). Une fois l'ennemi vaincu, se ruer à la curée, s'emparer du pouvoir, rafler les honneurs et les places (ROLLAND, J.-Chr., Maison, 1909, p. 965). Un vieillard près de mourir, au milieu d'une famille aux aguets qui attend le moment de la curée (MAURIAC, Nœud vip., 1932, p. 49) :
• 3. L'Allemagne payerait. On pouvait réclamer, ramasser, courir à la curée. Et de splendides usines, des burgs féodaux tout neufs, — qu'on raserait quinze ans plus tard, remplaçaient les antiques fabriques.
VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, p. 465.
— [Avec un compl. prép. de]
♦ [Le compl. désigne la chose convoitée] La curée des places. L'avide curée qui se faisait alors des positions et des honneurs (NERVAL, Filles feu, Sylvie, 1854, p. 591). L'assaut donné au boulevard, aux grands cercles, au faubourg Saint-Germain, (...) la curée des titres et des blasons (BERNANOS, Gde peur, 1931, p. 427).
♦ Rare. [Le compl. désigne l'agent] Une mêlée de tous les égoïsmes, une curée de toutes les convoitises (AUGIER, Effrontés, 1861, IV, p. 356).
Prononc. et Orth. :[]. Fait partie des mots dans lesquels la prononc. hésita longtemps entre [] et [y] (cuirée de cuir); celle-ci ne se stabilisa qu'apr. la fixation de l'orth. (cf. BUBEN 1935, § 64). Ds Ac. 1718-1932. Homon. curé, curer. Étymol. et Hist. Ca 1160 vén. curiée « portion de la bête qu'on abandonne aux chiens » (Enéas, éd. J. J. Salverda de Grave, 3641), forme attestée jusqu'à fin XVIe s. (M. DE LA PORTE, Epithètes ds HUG. : cuirie); ca 1375 curee (Modus et Ratio, éd. G. Tilander, § 29, 4); 1582 fig. donner curée « exciter par l'appât de quelque avantage, donner remède » (M. DU BELLAY, 367 ds LITTRÉ). Dér. avec suff. -ée de cuir « peau » parce que ce que l'on donnait à manger aux chiens était étendu sur une peau (FEW t. 2, p. 1187; v. aussi G. TILANDER, Nouv. Mél. d'étymol. cynégétique, Lund, 1961, pp. 214-215) plutôt qu'altération sous l'infl. de cuir de l'a. fr. corée, courée « viscères, entrailles d'un animal » (J. Brüch ds Arch. rom., t. 144, 1922, p. 101; v. aussi FEW, loc. cit.). Fréq. abs. littér. :669. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 782, b) 1 159; XXe s. : a) 1 456, b) 680. Bbg. BRÜCH (J.). Frz. curée. Arch. St. n. Spr. 1922, t. 144, pp. 101-103. — DARM. Vie 1932, p. 97. — GOTTSCH. Redens. 1930, pp. 284-285. — GOUG. Mots t. 2 1966, p. 120. — ROG. 1965, p. 97.
curée [kyʀe] n. f.
ÉTYM. XVIe; curiée, v. 1160; de cuir.
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1 Vén. Portion de la bête que l'on donne aux chiens de chasse après qu'elle est prise. || Curée de cerf, de lièvre. || Donner la curée aux chiens. || Mettre les chiens en curée. || Jeter à la curée. || Curée chaude, donnée aux chiens aussitôt qu'ils ont pris la bête. || Curée froide, donnée une fois rentrés à la maison. || Faire curée : manger la bête sans permission (se dit des chiens).
1 La riche proie une fois saisie, il s'est trouvé force chiens à la curée (…)
Chateaubriand, t. V, p. 232.
2 Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ?
La biche le regarde; elle pleure et supplie;
Sa bruyère l'attend; ses faons sont nouveau-nés (…)
Il (le chasseur) se baisse, il l'égorge, il jette à la curée
Sur les chiens en sueur son cœur encor vivant.
A. de Musset, la Nuit de mai.
2.1 Il a été impossible de rien organiser pour ce soir, expliquait M. de Combelot au petit groupe formé par Rougon et ses amis. Demain, après la chasse à courre, il y aura une curée froide aux flambeaux.
Zola, Son Excellence Eugène Rougon, t. I, p. 201.
3 Et la curée déferla d'une seule nappe, dans un cliquetis de mâchoires enragées, un enchevêtrement de pattes raidies, d'échines arquées et frémissantes. Des mâtins, d'un seul coup de gosier, engloutissaient des blocs de chair énormes. On en voyait qui s'affrontaient à deux, leurs gueules rivées par des cordes d'entrailles.
M. Genevoix, Forêt voisine, XII, p. 174.
♦ Par ext. Le fait de donner la curée; le moment où on la donne. || La curée se fit devant le château. (→ Nappe, cit. 5). || Sonner la curée.
2 (XVIe). Ruée sur qqch., dispute âpre et violente pour qqch. (places, butin…) laissé disponible à l'occasion d'un événement. || La curée des places, des honneurs… || Se ruer à la curée. || Être âpre (cit. 19) à la curée, avide. || La Curée, roman de Zola (1874). — Le fait de s'acharner contre qqn, lorsqu'il est en difficulté, en mauvaise posture. ⇒ Hallali.
4 C'était tout un remaniement du Saint-Empire, donnant prétexte à une curée où les deux principales puissances intéressées, Autriche et Prusse, s'affrontaient.
Louis Madelin, le Consulat, XVIII, p. 287.
5 Nous entendons le duc de Bade qui offre le pavois au dominateur prussien et l'acclamation de triomphe et les gros rires de la horde en liesse, prête à la curée, avide de butin.
Georges Lecomte, Ma traversée, p. 471.
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HOM. Curé, curer.
Encyclopédie Universelle. 2012.