BLOCUS CONTINENTAL
Instrument principal de la lutte conduite par Napoléon Ier contre l’Angleterre, le Blocus continental amena dans toute l’Europe des perturbations profondes. Bien que son étanchéité n’ait jamais été absolue, il faillit ruiner l’économie britannique et provoqua en Angleterre de très graves désordres sociaux. Mais, son extension à l’ensemble des pays d’Europe continentale étant la condition de son efficacité, il fut aussi une des raisons qui entraînèrent l’Empereur à poursuivre sans fin sa politique d’intervention, et contribua ainsi à l’effondrement militaire de la France.
Les origines
Leur histoire enseignait aux Français à voir dans le crédit une base instable et fragile dont l’écroulement entraînait la chute du gouvernement qui s’était appuyé sur lui. De Thomas Paine à Lasalle (Des finances de l’Angleterre , 1803), de nombreux auteurs avaient mis en lumière l’accroissement démesuré de la dette nationale anglaise: celle-ci, en un siècle, s’était multipliée par vingt-huit, tandis que les exportations avaient à peu près triplé et le revenu des terres pas tout à fait doublé, la monnaie de papier commençait à se discréditer et des milliers d’hommes étaient réduits au chômage. Si imposante en apparence, la prospérité anglaise n’était-elle pas artificielle? Fermer à la Grande-Bretagne le continent, c’était l’amener par la banqueroute à implorer la paix. La Convention en lutte avec l’orgueilleuse Albion y avait déjà songé et amorcé une tentative en ce sens.
Après la rupture de la paix d’Amiens, Napoléon reprend l’idée à son compte. L’initiative vient d’ailleurs des Anglais qui, sans tenir compte des réactions des neutres, obligent tous les navires étrangers à subir la visite de leurs cargaisons et saisissent les marchandises françaises; le 16 mai 1806, ils déclarent les côtes de France en état de blocus. Après Iéna, Napoléon se juge assez fort pour riposter.
Blocus sans maîtrise des mers
Le 21 novembre 1806, par le décret de Berlin, il proclame: «Considérant qu’il est de droit naturel d’opposer à l’ennemi les armes dont il se sert, nous avons résolu d’appliquer à l’Angleterre les usages qu’elle a consacrés dans sa législation maritime et décrété en conséquence: Art. 1er, les îles Britanniques sont en état de blocus.» Ainsi, initialement il ne s’agit aucunement de bloquer le continent. L’exclusion de leurs navires, de leurs produits et des denrées de leurs colonies, des ports européens et des États en guerre avec eux, n’est pour les Anglais qu’une conséquence de la mise en état de blocus de leur pays: ils se sont arrogé la domination des mers, on fera du domaine conquis par eux une sorte de désert. «Je veux, dit Napoléon, conquérir la mer par la puissance de la terre. Tout commerce et toute correspondance avec les îles Britanniques sont interdits.»
Londres riposte en déclarant n’accorder la libre circulation sur mer qu’aux navires qui seraient venus dans un port britannique payer des droits de douane (11 nov. 1807). Rendant coup pour coup, Napoléon ordonne, par le premier décret de Milan du 23 novembre 1807, la saisie des navires ayant touché un port d’Angleterre, par le second la saisie de tout bâtiment qui se serait conformé aux ordres anglais du 11 novembre.
Le continent se ferma donc à l’Angleterre, dont les exportations tombèrent à 21 p. 100 du niveau de 1805. La tension amenée avec les États-Unis par les prétentions britanniques vint encore aggraver la crise manufacturière et alimentaire (pénurie de coton et de blé) de l’année 1808.
Si cette crise put être surmontée, c’est grâce à la contrebande qui s’organisa avec la complicité fréquente des douaniers et des consuls français. Par Salonique, Héligoland, Göteborg, Hambourg, les marchandises anglaises s’introduisaient sur le continent et se négociaient à Francfort et à Bâle. Cette évolution de la lutte allait provoquer le grand revirement de 1810.
Depuis Tilsitt, l’alliance russe assure à Napoléon la maîtrise du continent; la seule puissance qui lui résiste est brisée à Wagram. Mais, depuis Trafalgar, l’Empereur ne peut plus espérer la maîtrise de la mer. Les flottes britanniques ont pris sans difficulté Le Cap aux Hollandais, la Guadeloupe à la France. En Amérique, le Mexique, le Pérou, la Colombie se soulèvent contre l’Espagne du roi Joseph et s’ouvrent au commerce anglais. La contrebande fleurit sur toutes les côtes du continent «avec l’approbation tacite des gouvernements incapables de concourir loyalement à la politique dont, en dernier ressort, ils doivent souffrir».
Le tournant de 1810
Pour des raisons diverses, considérations fiscales (le revenu des douanes baisse de près de 50 millions en 1809), revendications des industriels français, privés des matières premières indispensables, de coton surtout, mécontentement de l’opinion devant la cherté des denrées coloniales, sucre et café principalement, Napoléon consent à excepter les Américains de ses propres prescriptions et organise même un système occulte de licences spéciales. Mais, s’il était facile à nos douaniers de distinguer les produits de l’Angleterre de ceux de l’industrie américaine, comment auraient-ils pu reconnaître un grain de café du Brésil d’un autre de la Jamaïque, un flocon de coton de La Nouvelle-Orléans d’un autre des Barbades? Napoléon, voulant à la fois maintenir le continent fermé aux produits des colonies anglaises et rouvrir ses ports aux Américains, déclara toutes les denrées coloniales «réputées de provenance anglaise» et les soumit au célèbre tarif de Trianon du 5 août 1810, complété le 27 septembre par celui de Saint-Cloud. Un droit de 400 F frappait le quintal de café, de 800 F le quintal de coton d’Amérique, de 900 F le thé hyswin, de 1 000 F le cacao, de 2 000 F la cannelle fine et la muscade.
L’Angleterre a été fortement ébranlée par le Blocus. En 1811, l’inflation fit baisser la livre et monter les prix de 76 p. 100 par rapport à 1796. L’effondrement du cours des denrées coloniales (le prix du café baisse des deux tiers), la réduction des salaires, la disette, les émeutes ouvrières accompagnées de bris de machines montrent que le Blocus continental n’était pas une chimère. Cependant, il se révéla pour la France une arme à double tranchant. Si l’industrie française tira de la suppression de la concurrence quelque bénéfice, elle fut de plus en plus gênée pour se ravitailler en matières premières. Le manque de débouchés pour certains produits agricoles (blé, eaux-de-vie) irrita certains secteurs de la paysannerie. Enfin, les grands ports furent passagèrement ruinés.
Pour être efficace, il eût fallu que le Blocus fût strictement appliqué dans toute l’Europe. Il entraîna, hélas, une politique d’interventions militaires et d’annexions indéfinies, d’où devaient sortir notamment les deux conflits fatals à l’Empereur, la guerre d’Espagne et la guerre de Russie.
Blocus continental
ensemble des mesures prises par Napoléon Ier en 1806 et 1807 pour ruiner économiquement la G.-B. en interdisant aux navires brit. tous les ports du continent.
Encyclopédie Universelle. 2012.