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TYRANNICIDE
TYRANNICIDE

TYRANNICIDE

Désignant le meurtre d’un tyran accompli en dehors de toute procédure régulière par une personne privée, le terme «tyrannicide» s’applique aussi parfois au meurtrier du tyran.

Dans l’Antiquité grecque, le tyrannicide apparaît comme l’aboutissement ultime de la forme politique que constitue la cité, cette dernière étant caractérisée par la participation de tous les citoyens au pouvoir (isonomie, isocratie, etc.). Dans cette optique, le pouvoir personnel est considéré comme le mal suprême (ainsi s’explique l’apparition, plus tard, de la sanction préventive de l’ostracisme). À Athènes, Hippias et Hipparque, qui tentèrent de mettre fin à la tyrannie des Pisistratides, furent héroïsés par la cité et devinrent le modèle de ce genre de dévouement civique. La démocratie de Clisthène (\TYRANNICIDE 507) transforme en droit positif ce qui n’était jusque-là qu’une tradition de la cité aristocratique: le serment des bouleutes déclarait le tyran ennemi public (polemios ); le meurtre d’un tel polemios était un devoir civique et le tyrannicide était déclaré «pur» devant les dieux; la loi prévoyait des récompenses solennelles pour les auteurs de l’acte ou pour leurs descendants (entretien au Prytanée). Par la suite, le décret de Démophante (\TYRANNICIDE 410) assimila au crime de tyrannie l’établissement d’un régime oligarchique et renouvela les mesures protégeant le tyrannicide. Les plus grands des philosophes grecs semblent justifier le tyrannicide (Xénophon, Hieron , C, IV; Platon, Protagoras , 320, c; Isocrate, Sur la paix , 143; Aristote, Politique , V, 8). Démosthène fait du tyrannicide le modèle du parfait dévouement démocratique. Pour Aristote, il entre en quelque sorte dans la logique du droit naturel (Éthique , III, I).

À Rome, on retrouve la même tradition civique: une loi Valeria porte contre l’éventuel tyran la sanction religieuse de la sacratio , qui permet à n’importe quel citoyen de mettre à mort celui qui s’en trouve frappé. Cette tradition, exploitée probablement jusque-là au seul profit de l’aristocratie sénatoriale, resurgit de façon plus générale chez Cicéron pour combattre la domination personnelle de César, sans doute dans le droit fil de la théorie du droit naturel (De officiis , III, IV). On connaît les éloges qu’il décerna à Brutus et à Cassius. Sous l’Empire, le tyrannicide et la législation qui l’autorise ne peuvent plus s’appliquer qu’au «mauvais» prince: ainsi Sénèque le légitime tardivement contre Néron (De beneficiis , VII, 20).

Pour la pensée politique chrétienne, le tyrannicide était en contradiction avec le second commandement: «Tu ne tueras pas.» Néanmoins, les conflits extrêmes qui opposèrent au cours du XIIe siècle l’Église et l’Empire germanique furent sans doute à l’origine de la réapparition de la vieille règle antique, mise alors au service de l’Église, qui en vint ainsi à justifier le meurtre de l’hérétique, fût-il souverain (Manegold de Lautenbach, Décret de Gratien , II, 23). Jean de Salisbury (Policraticus , VIII) opère pour la première fois la distinction fondamentale entre le tyran d’origine (l’usurpateur) et le tyran d’exercice (le prince légitime qui gouverne contre le bien de la société, dans son seul intérêt): il admet le tyrannicide dans les deux cas en vertu du principe ambigu de la défense de la morale chrétienne et de la sociabilité humaine. Ce dernier argument anticipe le développement que Thomas d’Aquin fera peu après de la doctrine aristotélicienne du droit naturel. Deux solutions principales du problème sont avancées de façon fort nuancée par le Docteur angélique: le meurtre du tyran d’origine est légitime tant que ce dernier n’a pas acquis un juste titre (II Sententiae , d. 44, qu. 2, a 2); la voie de fait individuelle contre le tyran d’exercice est illégitime; seule une autorité supérieure au tyran peut agir contre lui; cependant, si le droit de se choisir un prince appartient au peuple, celui-ci peut mener une révolte officielle, au nom de toute la communauté, pour renverser le prince, au besoin par la force; c’est là la conséquence légitime des principes du droit naturel. Il convient de noter toutefois que la révolte ne peut être légitime qu’à la condition de ne pas risquer d’entraîner des maux plus graves encore et d’être quasi assurée du succès. Cette doctrine va dans le sens d’un constitutionnalisme médiéval qui se développait dans toute l’Europe et surtout en Angleterre (Fortescue, Ponet). L’absolutisme étatique qui tendait à l’emporter partout mena les légistes à élaborer, contre les théologiens, une théorie de la tyrannie et du tyrannicide qui ne concerne plus que l’usurpateur et le criminel de lèse-majesté, c’est-à-dire l’ennemi du pouvoir monarchique et non plus du souverain légitime injuste. Après l’assassinat en 1407 de Louis d’Orléans, accusé par le duc de Bourgogne de machinations contre le roi (la justification de cet assassinat fut présentée par Jean Petit), le concile de Constance condamna une proposition touchant la licéité du tyrannicide, proposition si générale qu’elle fut généralement entendue comme une confirmation de la doctrine thomiste. En fait, si contre le tyran d’exercice la révolte collective et organisée est seule théoriquement justifiable selon la doctrine thomiste, le positivisme juridique croissant des légistes va désormais consacrer un plein absolutisme étatique: seules les républiques italiennes connaissent encore les plus larges applications de la théorie antique (Olgiati, Lorenzaccio).

Pendant les guerres de Religion, les ultimes sursauts de la théorie du droit naturel engendrent de multiples pamphlets monarchomaques qui reprennent la théorie thomiste, en lui ajoutant parfois des justifications plus ou moins mystiques tirées de l’Ancien Testament (exemples de Jahel, de Judith ou de Jéhu). Les théoriciens dominicains ou jésuites de l’école de Salamanque, eux, suivent de très près la théorie thomiste dans leur combat d’arrière-garde contre l’absolutisme envahissant; et le parlement de Paris fait brûler le De rege de Mariana rendu responsable du meurtre d’Henri IV par Ravaillac. L’absolutisme royal des XVIIe et XVIIIe siècles tend à exclure le tyrannicide dans tous les cas de tyrannie d’exercice. L’esprit républicain qui préside à la Révolution française conduit pourtant au renouveau de l’idéal civique antique: Locke, l’Encyclopédie , l’abbé Raynal reconnaissent au peuple «le droit d’arracher au tyran le dépôt sacré de la souveraineté». Dès lors, il était logique que les constitutions démocratiques en vinssent à proclamer au bénéfice du citoyen un droit et même un devoir d’insurrection (Déclaration des droits de l’homme, 1789, art. 2; 1793, art. 35).

À la fin du XIXe siècle, le mouvement anarchiste multiplie les meurtres politiques (le tsar Alexandre II, Humbert Ier, Carlos de Portugal, Sadi Carnot), mais bien plus par haine du pouvoir en général que de la tyrannie. On constate pourtant de nos jours la survie de l’idée du tyrannicide opposée au machiavélisme radical de certains gouvernements qui sont ou bien fascistes ou bien coupables de ne pas expliciter clairement leur politique, soit qu’ils violent ouvertement les droits de l’homme et mettent en cause le sort même de la nation (hypothèse du complot des généraux face à l’hitlérisme), soit qu’ils s’avèrent incapables de protéger les citoyens dont ils ont la charge (justification invoquée à propos de l’attentat perpétré contre le général de Gaulle par Bastien-Thiry, lequel, dans sa défense, s’est explicitement référé lui-même à la doctrine du tyrannicide).

1. tyrannicide [ tiranisid ] n.
• 1487; lat. tyrannicida
Littér. Personne qui tue un tyran. tyrannicide 2. tyrannicide [ tiranisid ] n. m.
XVIe; lat. tyrannicidium
Littér. Meurtre d'un tyran.

tyrannicide nom (latin tyrannicida) Meurtrier(ère) d'un tyran. ● tyrannicide nom masculin (latin tyrannicidium) Meurtre d'un tyran.

⇒TYRANNICIDE, subst.
A. — Subst. Celui, celle qui tue un tyran. Les âmes de ces grands hommes, de ces nobles meurtriers, ces grands tyrannicides, ces assassins vertueux et libres (CHÉNIER, Épîtres, 1794, p. 197). Debry voulait créer un corps de tyrannicides qui iraient s'en prendre aux souverains (LEFEBVRE, Révol. fr., 1963, p. 263).
B. — Subst. masc. Meurtre d'un tyran. 1789 se place à la charnière des temps modernes, parce que les hommes de ce temps (...) ont ajouté ainsi au tyrannicide traditionnel un déicide raisonné (CAMUS, Homme rév., 1951, p. 143).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1878. Étymol. et Hist. I. 1487 « celui qui tue un tyran » (Voc. lat.-fr. ds GDF. Compl.). II. Ca 1562 « meurtre d'un tyran » (BONIVARD, Advis et devis de noblesse, à la suite de Advis et devis de l'anc. et nouv. police de Genève, p. 277, Revilliod, ibid.). I empr. au lat. tyrannicida, -ae « id. », dér. de tyrannus « tyran » et d'un suff. issu de caedere « tuer ». II empr. au lat. tyrannicidium, -ii « id. », dér. de tyrannicida.

tyrannicide [tiʀanisid] n.
ÉTYM. 1487; lat. tyrannicida, n. m., même sens, de tyrannus. → Tyran, -cide.
1 Littér. Personne qui tue un tyran.
2 N. m. (V. 1562; lat. tyrannicidium, même sens, de tyrannicida). Meurtre d'un tyran. || Légitimité du tyrannicide.

Encyclopédie Universelle. 2012.