TOPOLOGIE
CONSIDÉRONS les trois surfaces représentées sur la figure cidessous. L’intuition nous apprend qu’il existe entre les deux premières des propriétés communes que la troisième ne possède pas: on peut déformer continûment les deux premières l’une dans l’autre, mais aucune d’entre elles ne peut être déformée en la troisième. La topologie est la partie des mathématiques qui étudie cette notion, a priori intuitive, de continuité et de limite. L’exposé qui suit est divisé en trois articles. Sous le titre de «Topologie générale», on donnera un fondement mathématique précis à ces notions, puis on envisagera les problèmes les plus généraux, applicables aussi bien à la géométrie qu’aux espaces de fonctions. Dans un deuxième article, on traitera de problèmes géométriques; l’outil principal sera la définition d’invariants algébriques, d’où le titre de «Topologie algébrique». Enfin, le troisième article s’occupe des problèmes relatifs aux variétés différentiables [cf. VARIÉTÉS DIFFÉRENTIABLES]. Il va de soi que ce découpage est assez arbitraire et que tous ces problèmes sont étroitement liés.
Jusqu’au début du XIXe siècle, les mathématiciens utilisèrent les notions de limite et de continuité sans les définir correctement (cf. CALCUL INFINITÉSI- MAL - Histoire). C’est à cette époque que A. Cauchy, N. Abel et B. Bolzano définirent la limite d’une suite numérique et la continuité d’une fonction numérique de variable numérique; ce fut le début de la topologie. À la même époque, pour des études d’électrodynamique, C. F. Gauss posa le problème des enlacements de deux cercles dans l’espace, problème très proche du problème des nœuds (cf. TOPOLOGIE - Topologie différentielle, chap. 2); au moyen d’une intégrale, il définit un invariant numérique qui peut être considéré comme le plus ancien des invariants de la topologie algébrique.
Quelques années plus tard, B. Riemann définissait les variétés et, de façon assez vague, prévoyait la possibilité de traiter les ensembles de fonctions comme des objets géométriques. Ce ne fut qu’après les études fines des ensembles de points de la droite, du plan et de l’espace, qui furent faites à la fin du XIXe siècle et à propos desquelles il faudrait citer tous les grands mathématiciens de l’époque, que les problèmes posés par Riemann reçurent un début de solution [cf. RIEMANN (B.)].
Hilbert chercha à axiomatiser les notions de limite et de continuité; il introduisit pour cela les voisinages. Mais ce furent M. Fréchet et F. Riesz qui, au début du XXe siècle, pour dégager les propriétés communes aux figures géométriques et aux ensembles de fonctions, définirent respectivement les notions de métrique et de topologie [cf. RIESZ (F.)]. Un peu plus tard, F. Hausdorff donna aux axiomes de la topologie une forme à peu près identique à celle qui est utilisée aujourd’hui. La notion de compact fut dégagée par P. S. Alexandroff, P. Urysohn et A. Tychonov. Enfin, vers 1940, la définition des filtres, par H. Cartan, mettait un point final à l’histoire de la notion de limite.
Poincaré est considéré comme l’inventeur de la topologie algébrique et différentielle. Riemann avait classé les surfaces, c’est-à-dire les variétés analytiques complexes de dimension complexe 1; en 1895, pour essayer d’étendre cette classification aux variétés de dimension supérieure, Poincaré définit des invariants numériques, entrevus avant lui par E. Betti et connus pour cette raison sous le nom de «nombres de Betti». Pour des études sur les fonctions multiformes, il introduisit le premier groupe d’homotopie, encore appelé «groupe de Poincaré»; on lui doit aussi l’introduction des triangulations et les premiers balbutiements de la théorie de la transversalité.
Malgré tous ses efforts, Poincaré ne réussit pas à classer les variétés de dimension 3; il posa en particulier, sans le résoudre, le problème suivant: Toutes les variétés simplement connexes de dimension 3 sont-elles homéomorphes à la sphère S3? On ne connaît toujours pas la réponse à cette question; elle a cependant joué un grand rôle dans le développement de la topologie différentielle moderne.
L’œuvre très riche de Poincaré manque souvent de rigueur; il fallut une quinzaine d’années pour que l’on démontrât que les nombres et les groupes qu’il a définis sont en effet des invariants topologiques (ce que Poincaré avait admis à peu près sans preuve). Les principales étapes dans cette voie sont la distinction entre homotopie et isotopie faite, en 1905, par M. Dehn et P. Heegaard, et la définition des nombres de Betti d’un espace topologique non triangulé donnée, en 1915, par J. W. Alexander.
La topologie algébrique moderne commence avec l’introduction des groupes d’homologie, grâce à une idée de E. Noether, vers 1927. Ce langage algébrique se révéla tout de suite très commode, et toute la théorie classique de l’homologie et des groupes d’homotopie fut écrite dans les vingt-cinq années qui suivirent. Les découvertes se suivaient alors très rapidement: beaucoup d’entre elles ont été faites en même temps par plusieurs mathématiciens. Parmi les plus importantes, citons la définition des fibrés, en 1935, par W. Hurevicz (ou peut-être par H. Hopf et E. Stiefel), la définition des groupes d’homotopie par Hurevicz en 1935, la théorie complète de l’homologie singulière par S. Eilenberg, en 1944. Un souci de formalisme et de généralisation amena Eilenberg et S. Mac Lane à définir les catégories en 1944 [cf. CATÉGORIES ET FONCTEURS] et J. Leray (ou peut-être H. Cartan et J.-P. Serre) à définir les faisceaux et les suites spectrales, entre 1945 et 1950.
Après Poincaré, la topologie algébrique fut développée indépendamment des variétés. Si l’on excepte la théorie des nœuds et de vaines tentatives pour résoudre le problème de Poincaré, l’étude topologique des variétés fut inexistante de 1900 à 1935. Les premiers théorèmes de la topologie différentielle moderne furent démontrés par H. Whitney (théorèmes de plongement et théorèmes de comparaison des structures 暈1 et 暈 size=1秊) et par M. Morse (présentations par anses) à partir de 1935. Ce n’est que lentement que fut reconnu le rôle joué par le fibré tangent; les progrès essentiels dans cette voie ont été réalisés par R. Thom et L. S. Pontriaguine qui étudièrent le cobordisme vers 1953, et par J. W. Milnor qui, en 1956, montra qu’il existe plusieurs structures différentiables sur S7.
topologie [ tɔpɔlɔʒi ] n. f. ♦ Branche des mathématiques qui étudie dans l'espace réel les propriétés liées au concept de voisinage et invariantes dans les déformations continues. — Structure où interviennent ces propriétés dans un ensemble. La topologie a d'abord été appelée géométrie de situation. Topologie sur un ensemble. Topologie produit, quotient.
● topologie nom féminin Branche des mathématiques, appelée initialement analysis situs (analyse de situation), devenue ensuite tout à fait autonome, et où, selon Riemann, on étudie les propriétés invariantes sous l'effet de transformations biunivoques continues. Ensemble T de parties — appelées ouverts de T — d'un ensemble E, possédant les trois propriétés suivantes : 1° ∊ T et E ∊ T ; 2° l'intersection d'un nombre fini d'éléments de T est un élément de T ; 3° la réunion d'un nombre quelconque d'éléments de T est un élément de T.
topologie
n. f. MATH Branche des mathématiques qui étudie les propriétés de l'espace et des ensembles de fonctions au seul point de vue qualitatif, en utilisant notam. les notions de déformation et de continuité.
⇒TOPOLOGIE, subst. fém.
A. — TOPOGR. ,,Étude des formes du terrain et des lois qui les régissent`` (Topogr. 1980).
B. — MATH. ,,Partie de la géométrie qui considère uniquement les relations de position`` (AUR.-WEIL 1981); structure où ces propriétés interviennent dans un ensemble. Topologie générale, combinatoire. Les développements ultérieurs des géométries non-euclidiennes (...) sont influencés aussi bien par la théorie des espaces de Riemann et par la naissance de la topologie que par les progrès de la théorie des groupes et les applications en physique mathématique (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 31).
C. — LING. ,,Étude des propriétés combinatoires des objets ou êtres linguistiques indépendamment de leurs sons, c'est-à-dire l'étude de leurs positions relatives`` (Ling. 1972).
D. — RHÉT., vieilli, rare. Étude des topiques ou lieux communs, des sources où peut puiser un prédicateur. (Dict. XIXe et XXe s.).
Prononc.:[]. Étymol. et Hist. 1. 1876 « connaissance des lieux », spéc. rhét. (Lar. 19e); 2. 1933 géogr. (topogr.) (Lar. 20e); 3. 1933 math. (ibid.). Comp. des élém. formants topo- et -logie. Au sens 3, par empr. à l'all. Topologie (1847, J. B. LISTING in Göttinger Studien I. 814 d'apr. NED Suppl.2).
DÉR. Topologique, adj. a) Math. Relatif à la topologie. Espace, groupe, structure topologique. Peut-être l'origine de ces phénomènes doit-elle être cherchée dans une théorie topologique des formes différentielles que l'on commence à entrevoir (Gds cour. pensée math., 1948, p. 325). b) Psychologie topologique. (Psychologie) dont les modèles se réfèrent à la théorie physique des champs et à la topologie mathématique. De nombreuses investigations expérimentales se poursuivent; elles utilisent les données récentes de la psychologie topologique de Lewin (Hist. sc., 1957, p. 1584). — []. — 1res attest. a) 1846 (BESCH.: Système topologique. Système qui consiste à rattacher une suite d'idées abstraites à d'autres idées dont les archétypes soient des objets sensibles, familiers, ou tout au moins placés dans le moment même sous les yeux), b) 1858 « des lieux, qui a rapport aux lieux » (BESCH.), c) 1948 math. (Gds cour. pensée math., p. 44), d) 1954 psychol. (RUYER, Cybern., p. 111); de topologie ou directement formé des élém. topo-, -logie et du suff. -ique. En psychol., d'apr. le psychologue amér. d'orig. all. K. Lewin (1890-1947, cf. Principles of topological psychology, 1936 d'apr. Brockhaus Enzykl.).
topologie [tɔpɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. XIXe; de topo-, et -logie.
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I Rhét. relig. Étude des lieux communs (⇒ Topique, I., 1.), des sources où peut puiser un prédicateur.
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II (Déb. XXe; angl. topology, 1883). Math. Étude des propriétés invariantes dans la déformation géométrique des objets et dans les transformations continues appliquées à des êtres mathématiques. — Structure où interviennent ces propriétés dans un ensemble. || La topologie a d'abord été appelée géométrie de situation ou analysis situs. || Topologie générale (ou des ensembles). || Topologie combinatoire (ou algébrique).
0 La topologie qui étudie celles des propriétés des figures géométriques qui demeurent invariantes sous l'effet des transformations biunivoques et continues est une création de notre siècle (…) Mais la topologie ne s'est véritablement développée comme discipline autonome qu'après la publication à la fin du XIXe siècle de profonds mémoires d'Henri Poincaré sur la topologie combinatoire (étude de propriétés algébriques et géométriques qui lui sont liées) et après la large diffusion de la théorie des ensembles qui permit d'en concevoir une nouvelle branche très vaste, la topologie ensembliste ou topologie générale.
René Taton, in Encycl. Pl., Hist. de la science, p. 704.
REM. Poincaré emploie l'expression Analysis situs (cf. Géométrie, cit. 4).
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DÉR. Topologique, topologue.
Encyclopédie Universelle. 2012.