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SUN YAT-SEN
SUN YAT-SEN

Sun Yat-sen (forme coutumière cantonaise de Sun Yixian) a marqué de sa personnalité l’histoire de la Chine à l’époque où s’engageait la longue lutte qui devait faire de ce pays une nation moderne délivrée de l’humiliation coloniale. Attiré à l’origine par l’idéologie et par les méthodes des rébellions paysannes traditionnelles, Sun s’ouvre aux conceptions politiques et sociales de l’Occident; il devient le chef d’un parti révolutionnaire, nationaliste et républicain qui prépare activement la chute de l’empire. Après le succès de la révolution de 1911, il est l’éphémère président d’une République qui ne tarde pas à se transformer en dictature avant de sombrer dans l’anarchie. Porté par une foi inébranlable dans le destin national, Sun s’efforce alors d’organiser à Canton une base révolutionnaire destinée à rallier les forces du progrès et à préparer la réunification et l’émancipation du pays. L’hostilité des puissances occidentales le pousse peu de temps avant sa mort à accepter l’alliance de l’Union soviétique et à s’inspirer de son exemple pour réorganiser le Guomindang (parti nationaliste) et pour renouveler la formulation de sa doctrine, les Trois Principes du peuple. Sous la générosité du tempérament se dessinent certaines faiblesses: les idées du penseur politique sont parfois confuses ou contradictoires, les entreprises du chef militaire se terminent souvent mal et les partis successifs organisés par le dirigeant politique manquent de cohésion. Mais ces défaillances ne sauraient ternir l’image d’un homme d’idéal entièrement dévoué à la cause de son pays et de son peuple. C’est à ce titre qu’aujourd’hui son héritage est également revendiqué par les nationalistes chinois qui révèrent en lui «le père de la République» et par les communistes qui le célèbrent comme le «pionnier de la révolution».

À l’école de l’Occident

Originaire de la province méridionale du Guangdong, Sun quitte la ferme paternelle à l’âge de treize ans pour aller à Hawaii seconder son frère aîné devenu dans l’émigration un négociant assez prospère. C’est dans une école missionnaire de Honolulu que le jeune Sun apprend l’anglais, s’initie à la science occidentale et se convertit au christianisme. Il achève ses études dans un collège médical de Hong Kong de 1887 à 1892; son intérêt pour la politique se précise à cette époque. Il doit à sa tradition familiale et à ses origines paysannes une grande familiarité avec les sociétés secrètes demeurées fidèles à la dynastie déchue des Ming: il partage leur hostilité à l’égard des Mandchous, cette race étrangère qui a usurpé l’empire, et il adoptera souvent leurs méthodes d’action directe. Mais ses séjours à Honolulu et à Hong Kong l’ont mis en contact avec les communautés chinoises d’outre-mer, éprises de progrès, déjà à demi occidentalisées et désireuses de voir la Chine prendre rang parmi les nations modernes. Aussi, tout en s’appuyant sur les structures et les organisations que lui offrent les sociétés secrètes, Sun s’efforce-t-il de renouveler le contenu de l’opposition traditionnelle et de l’adapter aux aspirations démocratiques et nationalistes de la bourgeoisie naissante. Jusqu’en 1900, sa carrière est celle d’un aventurier: organisateur d’une société secrète pour la régénération de la Chine (Xingzhonghui), jamais découragé par l’échec des soulèvements qu’il organise (à Canton en 1895, à Waizhou en 1900), il vit en exil au Japon et voyage aux États-Unis et en Europe. La tentative d’enlèvement par la police impériale, dont il est la victime et le héros à la légation chinoise de Londres en 1897, consacre sa réputation et confirme sa vocation révolutionnaire. Il lui reste cependant à s’imposer aux milieux intellectuels et à étendre son influence des bases d’outre-mer et des franges méridionales du Guangdong vers le cœur du pays.

Le père de la révolution

Beaucoup d’intellectuels révolutionnaires hésitent en effet à reconnaître l’autorité d’un homme que sa carrière aventureuse et son incomplète formation classique font considérer comme «un hors-la-loi sans culture». L’amitié de Huang Xing, militant révolutionnaire originaire du Hunan, aide Sun à surmonter la défaveur du préjugé mandarinal, cependant qu’un activiste japonais, Miyasaki Toraz 拏, facilite ses contacts avec le groupe fort nombreux des étudiants chinois de T 拏ky 拏. En 1905, Sun fonde dans cette ville le Tongmenghui (Parti de la ligue jurée) dont le succès consacre les progrès réalisés dans l’unification du mouvement révolutionnaire et dans la définition de son idéologie. C’est à cette époque en effet que Sun formule pour la première fois la doctrine des Trois Principes du peuple (san min zhuyi ), dans laquelle se retrouve l’influence de la philosophie libérale de l’Occident. Le premier de ces principes, le nationalisme, vise avant tout les Mandchous, ces usurpateurs étrangers dont la faiblesse encourage la pénétration impérialiste en Chine. La démocratie, deuxième principe, demande l’établissement d’une constitution républicaine garantissant les droits égaux des citoyens et la séparation des pouvoirs. Le troisième principe, celui du bien-être du peuple, témoigne des aspirations socialistes de Sun qui ne songe pas cependant à aborder le problème essentiel qui se pose alors au pays: celui du régime agraire et de la misère paysanne. Mais les faiblesses de l’analyse comptent moins ici que la foi communicative de Sun et sa conviction que les Chinois sauront brûler les étapes pour établir une république moderne. L’impatience des jeunes étudiants s’accommode mieux de ces visions exaltantes que des lenteurs du processus historique soulignées par celui qui est à l’époque le principal rival de Sun: Liang Qichao. Cette opposition entre réformistes et révolutionnaires, c’est déjà le conflit entre réalistes et volontaristes sans cesse renaissant dans l’histoire chinoise du XXe siècle. Sun va donc tenter de forcer le cours des événements en adoptant une stratégie de soulèvement armé qui vise à l’établissement de bases révolutionnaires dans les provinces chinoises. Mais le manque d’organisation et de coordination ainsi que la violente répression exercée par le pouvoir impérial vouent à l’insuccès les nombreux soulèvements que Sun prépare pendant cette période.

Le fondateur de la République

L’initiative de la révolte qui éclate à Wuchang le 10 octobre 1911 appartient non pas à Sun, mais à de jeunes officiers qui sont rapidement amenés à faire appel à la collaboration de notables locaux dont l’opposition au pouvoir impérial traduit surtout des préoccupations conservatrices. Alors que la dissidence s’étend aux provinces centrales et méridionales, Sun et la Ligue jurée réussissent à prendre le contrôle partiel du mouvement. Grâce à l’appui de la grande bourgeoisie shanghaïenne, ils créent un second centre révolutionnaire à Nankin: comme souvent en Chine, la lutte pour le pouvoir se traduit par un déplacement géographique du centre de gravité politique. L’organisation d’un gouvernement national provisoire, inauguré le 1er janvier 1912 et dont Sun reçoit la présidence, marque le début d’une ère nouvelle: l’an I de la République chinoise. Mais cette tentative de régime parlementaire à l’occidentale ne survit guère au départ de Sun, obligé de démissionner dès avril 1912 en faveur de Yuan Shikai. La provocation policière et l’assassinat politique permettent à l’ancien ministre des Mandchous d’écraser rapidement l’opposition constitutionnelle que dressent contre lui Sun et son nouveau parti: le Guomindang ; les fonds étrangers l’aident à vaincre en 1913 le soulèvement armé des provinces centrales et méridionales et à établir sa dictature. Toutefois, l’arrivée au pouvoir de Yuan Shikai ne saurait ramener la révolution de 1911 à un simple changement dynastique conforme au schéma cyclique de l’historiographie chinoise traditionnelle. Sun n’a pas réussi à ancrer dans la réalité le mythe vacillant d’une république dont il a emprunté le modèle à l’Occident. Mais les principes dont s’inspire alors son action se sont assez largement imposés aux esprits pour écarter toute éventualité de restauration impériale, pour faire coïncider la chute de la dynastie avec celle d’un régime millénaire. Le vide ainsi créé provoque à brève échéance une certaine régression et précipite la Chine dans l’âge sombre du militarisme et de la guerre civile; mais à long terme, il appelle des solutions nouvelles dont Sun le premier semble avoir eu l’intuition.

La traversée du désert

Il faudra une dizaine d’années pour que Sun tire les conclusions de son échec et que, renonçant à chercher aide et inspiration auprès de l’Occident, il se tourne vers la Russie soviétique. Pendant cette traversée du désert, il vit le plus souvent en exil au Japon. D’abord tenté par un retour aux méthodes des sociétés secrètes, il organise un parti révolutionnaire (Zhonghua geming dang) mais se heurte à la réticence de ses propres partisans. Sa réflexion l’entraîne alors vers des conceptions dont le caractère souvent prophétique s’accorde mal aux réalités de son temps. Le panasiatisme dont il se fait le défenseur se fonde sur une collaboration sino-nipponne inconcevable à une époque où l’impérialisme japonais se développe au détriment d’une Chine impuissante mais consciente du danger. Aussi, de façon assez paradoxale, Sun reste-t-il relativement étranger au Mouvement de mai 1919, né de la volonté de résistance et de survie nationales face à l’agression japonaise. C’est aussi à cette époque que Sun élabore un plan de reconstruction de la Chine (Jianguofanglüe) dans lequel il accorde une importance particulière aux problèmes du développement économique. L’ampleur des programmes qu’il propose – 100 000 miles de voies ferrées! –, la confiance qu’il met dans la coopération désintéressée des puissances donnent à Sun la réputation d’un utopiste. Il n’a cependant pas renoncé à rétablir le régime parlementaire constitutionnel. Pour arracher le pouvoir aux militaristes qui ont mis la main sur le gouvernement de Pékin, il cherche à se créer une base territoriale à Canton. Grâce à l’appui des généraux sudistes et de la bourgeoisie locale, il établit successivement un gouvernement militaire (1917-1918) et un gouvernement national (1921). Sa diplomatie subtile essaye de mettre à profit les intrigues qui divisent le monde des seigneurs de la guerre et de rallier le suffrage des puissances occidentales, tandis que ses proclamations annoncent une reconquête militaire sans cesse remise par manque de moyens. Ses adversaires le surnomment Sun Dabao, «Sun-le-gros-canon»!

La base révolutionnaire de Canton

L’échec de cette politique pousse Sun à réorienter complètement son action en tenant compte des forces nouvelles qui émergent alors sur la scène chinoise comme sur la scène internationale. Le succès de la révolution d’Octobre, les manifestations populaires dont s’accompagne l’explosion nationaliste de mai 1919, la première grande vague des grèves ouvrières en Chine (1920-1922) attirent son attention sur le rôle des mouvements de masse et sur la stratégie léniniste de la prise du pouvoir. La collaboration avec l’Union soviétique et le jeune Parti communiste chinois (créé en 1921) est sanctionnée par l’accord Sun-Joffé signé en janvier 1923. Peu après, des conseillers soviétiques, tels Borodine ou Blücher, arrivent à Canton pour aider Sun à réorganiser son parti et à développer son action. Le Ier Congrès national du Guomindang (janv. 1924) donne au parti une nouvelle constitution qui en fait une organisation étroitement disciplinée et hiérarchisée, dans laquelle les communistes sont admis à titre individuel. Le Congrès décide l’établissement de l’Académie militaire de Huangpu, dont la direction est confiée à Tchiang Kaï-chek et qui reçoit pour mission de recruter et de former une armée placée sous l’autorité directe du parti. Le Congrès est enfin pour Sun l’occasion de redéfinir les Trois Principes du peuple en mettant l’action sur la lutte anti-impérialiste et sur le rôle des masses, ouvrières et paysannes. La mort prématurée de Sun Yat-sen en mars 1925 à Pékin l’empêche de prendre la tête de cette expédition révolutionnaire vers le nord (1926-1927), qu’il avait tant espérée et dont, par sa politique de front uni, il avait su préparer le succès; elle l’empêche aussi de préciser une ligne dont il était seul à pouvoir assumer l’ambiguïté; celle-ci se résoudra par la tragique rupture de 1927 entre communistes et nationalistes.

Sun Yat-sen a été le premier homme d’État moderne d’une Chine qui émergeait à peine de l’ère «féodale». Il subit avec impatience les contraintes d’une réalité à laquelle il superpose sans cesse l’image d’un avenir exaltant. D’où ses contradictions: son opportunisme et son utopisme. Mais c’est aussi sa grandeur: à l’époque où le peuple chinois n’est plus, selon sa propre expression, «que sable dispersé», il a conservé une foi inaltérable dans le destin national.

Sun Yat-sen ou Sun Zhongshan
(1866 - 1925) homme politique chinois. Il fit des études de médecine et se convertit au protestantisme. En 1894, il fonda un mouvement nationaliste (qui devint en 1911 le Guomindang). Après plusieurs échecs, suivis d'exils, il fit proclamer la république à Nankin, à la faveur du mouvement révolutionnaire de 1911, et exerça la présidence, mais il dut s'effacer (1912) devant Yuan Shikai. Quand celui-ci mourut (1916), la rupture entre le Nord et le Sud était complète. Sun Yat-sen organisa à Canton un gouvernement en sécession (1918). Il réorganisa le Guomindang, dans lequel il fit entrer les communistes, car l'U.R.S.S. le soutenait, et fut élu président de la Rép. (1921). à sa mort, Tchang Kaï-chek lui succéda.

Encyclopédie Universelle. 2012.