SOLIMAN LE MAGNIFIQUE
Dixième sultan ottoman, Soliman est le plus célèbre de la dynastie. C’est sous son règne (1520-1566) que l’Empire ottoman a atteint son apogée, aussi bien dans le domaine territorial que dans celui de l’influence politique ou du rayonnement artistique et intellectuel. Surnommé Kanun 稜 (le Législateur) par les Turcs et le Magnifique par les Occidentaux, Soliman a été non seulement un conquérant, mais aussi un grand organisateur: les règlements qui datent de son époque en témoignent. Intervenant dans la politique européenne en prenant parti pour François Ier contre Charles Quint, il a porté aux Espagnols et aux Autrichiens des coups sévères en Europe et en Afrique du Nord. Il a été le premier sultan à octroyer à des Européens, les Français, des conditions extrêmement favorables d’établissement et de commerce dans l’Empire, les «capitulations». Son règne a pu à juste titre être considéré comme l’Âge d’or de l’Empire ottoman.
Le conquérant
Soliman Ier le Magnifique, né à Trébizonde, est le fils du sultan Sélim Ier, le conquérant de la Syrie et de l’Égypte, auprès de qui il passa son enfance et son adolescence, notamment en Crimée, de 1509 à 1512. Après l’accession de Sélim au trône (1512), Soliman fut nommé gouverneur de la province de Saroukhan et résida à Manisa (1513); ensuite, lors des expéditions de son père en Syrie et en Égypte (1516-1517), il fut envoyé à Edirné (Andrinople) avec mission de protéger les provinces européennes de l’Empire. Il se trouvait à Manisa lorsque son père mourut; depuis longtemps reconnu comme prince héritier, il monta sur le trône (1er octobre 1520) sans rencontrer d’opposition. Cependant, dès la première année de son règne, il dut faire face à la révolte du gouverneur de Syrie, Djanberdi Ghazali, révolte vigoureusement réprimée (1520-1521), de même qu’une autre révolte en Égypte (1523-1524). Durant son règne, Soliman a mené treize expéditions: dix en Europe, trois en Asie. La première, en 1521, contre la Hongrie, aboutit à la prise de Sabacz et surtout à celle de Belgrade. L’année suivante vit la conquête de l’île de Rhodes, après un siège de six mois; les chevaliers hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem allèrent alors s’installer à Malte. En 1526, nouvelle campagne contre la Hongrie, marquée par l’écrasante victoire de Mohacz et la prise de Buda; à la suite de cette campagne se posa la question de la succession au trône de Hongrie, ce qui amena Soliman à agir directement contre l’Autriche: il entreprit alors le siège de Vienne (septembre-octobre 1529), qui fit planer sur l’Empire autrichien et sur l’Europe une menace extrême; trois ans plus tard, Soliman conduisit ses troupes jusqu’en Styrie, mais les hostilités furent momentanément suspendues (janvier 1533). Ce répit en Europe permit aux Ottomans de se tourner vers l’Est: en réponse à des menaces iraniennes, le grand vizir Ibrahim Pacha pénétra en Azerbaïdjan, puis de là passa en Irak et occupa Bagdad en juillet 1534; Soliman y fit son entrée le 30 novembre. Avec l’occupation du Yémen et d’Aden en 1538, tous les territoires arabes du Proche-Orient étaient tombés sous la domination ottomane.
De 1541 à 1547, plusieurs campagnes opposèrent les Turcs aux Austro-Hongrois qui perdirent Pest (août 1541), toute la Hongrie orientale, et durent payer un tribut pour le reste du pays (juin 1547). Mais c’est seulement à l’issue de dix ans de batailles, de 1552 à 1562, que Ferdinand de Hongrie renonça à ses prétentions sur la Transylvanie. Entre-temps, le sultan avait dirigé une expédition contre le shah d’Iran, Tahmasp: la paix de 1555 consacra la suprématie ottomane. En 1565, le nouveau roi de Hongrie, Maximilien, ayant repris les hostilités, Soliman lança une expédition qui aboutit à la prise de Szeged (8 septembre 1566), mais le sultan était mort dans la nuit du 5 au 6 septembre. La paix entre Ottomans et Autrichiens ne fut signée qu’en février 1568.
D’autre part, l’activité des corsaires turcs en Méditerranée centrale et orientale permit de placer sous la suzeraineté ottomane la Tripolitaine, l’Algérie et une partie de la Tunisie; l’occupation complète de ces pays ne fut achevée qu’en 1574, ce qui plaçait la totalité du monde arabo-musulman, à l’exception du Maroc, sous la domination turque.
L’homme d’État
L’Empire ottoman a connu sous le règne de Soliman sa plus grande extension territoriale et sa plus forte influence en Europe, au Proche-Orient et en Méditerranée centrale. Le sultan possédait une puissance considérable, qui lui permit de disputer l’hégémonie à Charles Quint en Europe centrale et en Afrique du Nord, au shah d’Iran en Asie occidentale. Sollicité par François Ier, il apporta son aide à celui-ci pour obliger Charles Quint à disperser ses forces. Si la Hongrie a été un continuel champ de bataille, c’est qu’elle constituait un lieu stratégique dont Soliman avait bien compris l’importance; il y fit porter son action offensive, de même qu’il encouragea les activités de ses corsaires en Afrique du Nord, point faible des Espagnols; en outre, ces corsaires contribuaient à fixer loin des côtes de la Méditerranée orientale la flotte espagnole dont la menace n’était pas négligeable.
Soliman a été d’une très grande tolérance vis-à-vis des étrangers dans l’Empire, ainsi qu’à l’égard des chrétiens et des juifs. L’octroi de capitulations aux Français a été une des marques de sa bienveillance.
Le législateur
L’action de Soliman le Magnifique n’a pas été moindre en politique intérieure, et son surnom de «Législateur» est mérité, car durant son règne il promulgua un grand nombre de règlements visant à organiser ou à améliorer l’administration des provinces, et notamment des provinces récemment conquises: l’étendue même de l’Empire réclamait une remise en ordre de l’administration, un contrôle de son action, en particulier dans le domaine financier; il fallait aussi recruter et entretenir l’armée et la marine, veiller à la sécurité des populations, assurer à celles-ci de bonnes conditions de vie et de travail, d’où la multitude de ces règlements, établis à partir des coutumes et traditions locales et des lois musulmanes en vigueur chez les Ottomans.
Soliman a été un souverain autoritaire, contrôlant de près ses grands vizirs, qui furent tous des hommes remarquables mais n’en subirent pas moins parfois les foudres du sultan. Il ne toléra pas, chez ses fils, la moindre velléité d’indépendance: deux d’entre eux, Moustafa et Bayézid, coupables de rébellion, furent exécutés; le second servit de héros à Racine pour l’une de ses tragédies (Bajazet ). Peut-être cette rigueur de Soliman a-t-elle été encouragée par son épouse Khourrem Sultane, connue par les Occidentaux sous le nom de Roxelane; d’origine slave, elle a exercé une grande influence sur le sultan et s’est employée à ce que son fils, Sélim (Sélim II), puisse accéder au trône.
Les lettres et les arts
Le siècle de Soliman a été particulièrement brillant dans le domaine de la littérature et de l’art. Outre de grands chroniqueurs qui se sont plu à chanter la gloire et les œuvres de la dynastie et du souverain, des poètes considérés, comme des plus grands, Fouzoûlî et Bâkî, ont vécu à cette époque.
Mais c’est surtout l’art qui a marqué cette période: grâce à ses immenses ressources financières, le sultan a pu entreprendre, à Constantinople en particulier, des constructions de grande envergure; il a été aidé en cela par un architecte remarquable, Mimar Sinan, qui, s’inspirant de la basilique Sainte-Sophie, a créé un type de mosquée original et grandiose, dont les plus beaux exemples sont les mosquées de Shahzadé et de Soliman à Istanbul, et de Sélim à Edirné. En outre, la décoration de cette époque a été particulièrement heureuse, et les faïences de Nicée, où apparaît le fameux «rouge tomate», ont ajouté à la splendeur de cet art.
Encyclopédie Universelle. 2012.