SCHIZOPHRÉNIE
L’étiquette «schizophrénie» utilisée pour désigner telle ou telle manière d’être au monde est loin d’avoir une acception univoque. Synonyme de folie pour une grande partie de l’opinion, elle recouvre pour les psychiatres une série de tableaux cliniques disparates, dont le nombre varie avec les pays, les «écoles», l’expérience individuelle. Afin de garder au concept de schizophrénie un sens aussi exact que possible, il est nécessaire de suivre les phases de son évolution historique, qui correspondent à trois aspects fondamentaux de la psychose: l’évolution déficitaire, la dissociation de la vie psychique et l’attitude d’introversion.
À l’affection désignée par l’expression de «démence précoce» (avec ses trois formes classiques: hébéphrénique, catatonique et paranoïde) et isolée des syndromes démentiels par E. Kraepelin qui recherchait une entité anatomo-clinique spécifique, E. Bleuler substitue en 1911 la notion de schizophrénie. Sa conception pathogénique distingue une structure négative plus ou moins déficitaire, effet de la dissociation de la vie psychique, et une structure positive, le délire, fruit de l’émergence des fantasmes. Sous l’influence conjointe des théories socio-psychogénétiques (psychanalytiques en particulier) et des thérapeutiques modernes (biologiques et psychologiques), l’«autisme», élément fondamental de la structure schizophrénique, a vu son sens subir un glissement qui fait abusivement assimiler à la schizophrénie toute forme de «réaction» où les valeurs subjectives prennent le pas sur les valeurs objectives. Si l’absence de limite nosologique précise entrave les recherches psychologiques et biologiques, elle facilite néanmoins l’action thérapeutique.
La «démence précoce» de Kraepelin
La plupart des grands syndromes anatomo-cliniques de la pathologie générale sont nés dans la première moitié du XIXe siècle. En constituant en entité selon le même schéma anatomo-clinique une affection mentale, la «démence paralytique» (méningo-encéphalite que Fournier rattachera à la syphilis), Bayle (1822) va en quelque sorte river la psychiatrie au modèle médical. Mus par cet idéal, les aliénistes amorcent le démembrement du domaine de la démence, incertain et extensif, et tentent de définir de nouvelles formes spécifiques.
La première description clinique d’une démence précoce est faite par le Français Morel (1860). L’Allemand K. Kahlbaum (1863) et son élève E. Hecker décrivent cette maladie sous le nom d’«hébéphrénie». En 1874, Kahlbaum décrit sous le nom de «catatonie», ou folie avec tension musculaire, une entité clinique caractérisée par un affaiblissement mental et des troubles de l’activité musculaire. Le professeur munichois Emil Kraepelin identifie une variété «paranoïde», démence d’apparition plus tardive, associée à des éléments délirants. Dans la sixième édition de son traité de psychiatrie (1899), il réalise la synthèse de ces divers tableaux cliniques, à laquelle il donne le nom de dementia praecox . Dans cette conception, la démence précoce est une affection autonome, qui implique un affaiblissement intellectuel global, progressif et irréversible, chez des jeunes ou adultes jeunes. Elle peut se présenter sous trois formes cliniques (isolées ou se succédant chez le même malade): l’hébéphrénie, la catatonie et la démence paranoïde. Ratifiées par l’ensemble des psychiatres, ces formes sont encore retenues de façon parfaitement légitime.
L’hébéphrénie revêt le type d’un état déficitaire progressif postpubertaire, avec affaiblissement du jugement, diminution de la mobilité et de la productivité mentales, engourdissement affectif, perte de l’énergie.
L’hébéphrénie-catatonie ou catatonie est un syndrome psychomoteur caractérisé par la perte de l’initiative motrice, par un certain degré de tension musculaire avec conservation des attitudes, par des phénomènes parakinésiques (maniérisme, pathétisme, stéréotypies) et des troubles mentaux avec atonie de la pensée, négativisme, stupeur, entrecoupés de rares accès de verbigération et de fureur. (Susceptible d’être reproduite expérimentalement, la catatonie, réaction cérébrale à des agressions diverses, n’est pas spécifique de la schizophrénie.)
Le délire paranoïde , plus ou moins extériorisé, est flou, impénétrable, mal systématisé, difluent. Les thèmes les plus variés (persécutoires, hypocondriaques, érotiques) s’y enchevêtrent.
Insistant sur les éléments déficitaires, Kraepelin avait d’abord décrit les formes les plus graves de la maladie. Tel est le «noyau kraepelinien» qui sert encore aujourd’hui de référence; son auteur lui avait cependant apporté un certain nombre de modifications, substituant la notion de syndrome à celle de maladie, introduisant un critère nouveau, l’inaffectivité (1906): l’affaiblissement porte plus sur l’affectivité que sur l’intelligence.
Le groupe des schizophrénies de Bleuler
À la suite de Kraepelin, les psychiatres du début du XXe siècle contestent de plus en plus la réalité du critère d’«affaiblissement démentiel». Sous ce masque de pseudo-démence se cachent en fait: une «discordance psychique» pour P. Chaslin, une «ataxie intrapsychique» pour E. Stransky, une «coupure» dans le fonctionnement de l’esprit, une dislocation de la vie psychique, une division en compartiments anarchiques (Bleuler) où les associations perdent leur cohésion. Intelligence, affectivité, comportement sont «dissociés» (Spaltung ), ce qui entraîne rupture de contact avec l’ambiance et inadaptation progressive au milieu. Tel est le sens du terme de schizophrénie (du grec 靖﨑晴﨣諸, scinder, fendre, déchirer, et 﨏福兀益, esprit), créé par Bleuler, en 1911, dans son célèbre travail intitulé Démence précoce ou groupe des schizophrénies .
L’emploi du pluriel souligne la position antinosographique de la conception bleulérienne, le caractère syndromique, extensif de la forme considérée, et ruine les espoirs de ceux qui avaient souhaité décrire une entité autonome. Mais l’intérêt majeur de l’apport de Bleuler (et de l’école de Zurich) réside dans une conception structurale nouvelle des états schizophréniques, qui distingue: d’une part, une structure déficitaire ou négative, dépendant d’un processus de dissociation fondamental essentiel et d’origine organique; d’autre part, des contenus positifs, une majorité de symptômes secondaires et dérivés, qui traduisent le monde des images et des pulsions instinctivo-affectives spécifique de chaque malade, monde que Freud avait découvert et que son élève C. G. Jung avait tenté d’approcher dans son ouvrage Über die Psychologie der dementia praecox (1907). C’est le grand mérite de Bleuler, psychiatre à tendance «organiciste», d’avoir su intégrer l’apport de ses assistants (dont Jung et Maeder) et d’avoir senti le premier le renouveau que pouvait apporter la psychanalyse à la psychiatrie.
Ainsi, «troisième conséquence capitale, la schizophrénie devient une maladie de la personnalité dans son avènement historico-psycho-somato-social» (C. Brisset). Elle s’exprime en particulier dans le trouble élémentaire de l’association des idées, dans l’autisme (détachement de la réalité avec repli sur soi, prédominance d’une vie intérieure livrée aux productions fantasmatiques), dans l’ambivalence (association simultanée des contraires) qui traduit la difficulté à établir des rapports de valeur entre des qualités contradictoires. Son évolution n’est pas inéluctablement chronique et, selon Bleuler, elle peut offrir des interruptions, des arrêts, des poussées, des rémissions.
Le concept bleulérien subira une extension excessive à la suite de l’abandon des critères de «démence», d’«évolution chronique» et de la survalorisation et de la dilution de la notion d’autisme. Les notions d’introversion de Jung et de perte de contact vital avec la réalité de E. Minkowski (qui applique à l’étude de la schizophrénie la méthode phénoménologique) en constituent les prémices, que d’autres n’hésiteront pas à dépasser abusivement.
La diffusion de la psychanalyse dans les milieux psychiatriques anglo-saxons, liée à l’exode de la plupart des psychanalystes allemands, favorisa l’acceptation par ces milieux des idées de Bleuler. En Allemagne et en France, au contraire, se maintinrent des thèses nosographiques, constitutionnalistes ou dualistes. Pour G. de Clérambault, les délires, dont la schizophrénie, traduisent l’irritation de certaines zones cérébrales; il apporte à l’appui de sa conception la description clinique d’un petit et d’un grand «automatisme mental», autonome, primitif, neutre affectivement, qui constitue la matrice du délire. K. Kleist et K. Leonhard en Allemagne, développent des idées semblables et décrivent le groupe des psychoses dites endogènes, au sens biologique du terme. S. Kretschmer est le chef de file d’une série de chercheurs orientés vers l’exploration de la «constitution» schizophrénique, constitution organo-psychique héréditaire et prédisposante; il distingue ainsi la schizothymie (variation dans le normal), la schizoïdie (état psychopathique) et la schizophrénie (psychose). Partant de la même hypothèse relative à la nature endogène et constitutionnelle de la maladie, de nombreux travaux (tels ceux de l’école suédoise) se sont attachés à rechercher les composantes génétiques sur lesquelles se constitue le terrain propice à la schizoïdie pathologique.
Pour les Français M. Dide et P. Guiraud (1922), la maladie est liée à une atteinte – héréditaire ou acquise – du centre-encéphale; ils désignent sous le nom d’athymhormie la perte de l’ardeur vitale et thymique qui en découle. Le Français H. Claude (1924) adopte une position dualiste: la démence précoce kraepelinienne, d’origine exogène, sans intervention de l’hérédité, reste la forme typique; la schizophrénie de Bleuler est une forme dégradée, qui apparaît lorsque, sous l’influence d’une poussée toxi-infectieuse ou d’un choc affectif, un sujet de constitution schizoïde cesse de s’adapter à l’ambiance. Il y a alors schizomanie, c’est-à-dire refuge massif dans l’autisme, sans signes évidents de dissociation intrapsychique, cet état pouvant évoluer par bouffées épisodiques. Si l’atteinte est profonde, le malade devient schizophrène, tout en restant distinct d’un vrai dément précoce. Schizoïdie, schizomanie, schizophrénie constituent le groupe des schizoses, frappé du sceau de l’hérédité ou de la prédisposition héréditaire.
Éclatement du concept
Les «réactions schizophréniques»
Depuis 1945, les dernières résistances à la pensée bleulérienne s’effondrent, grâce à une meilleure diffusion de l’information entre les divers pays, grâce aussi à l’apport des thérapeutiques psychorégulatrices [cf. PSYCHOPHARMACOLOGIE] qui ont profondément modifié la prise en charge des malades. Sous l’influence du courant antinosographique, la schizophrénie a des limites de plus en plus imprécises. Les conceptions qui tentent de la cerner et qui se développent autour des deux grands axes de l’organogenèse et de la psychogenèse semblent n’avoir plus rien de commun. Le concept de schizophrénie éclate en une série de «réactions».
Le type caractériel de réaction schizophrénique
À la suite de Kretschmer, de nombreux auteurs de langue allemande (Bumke, Hoffmann, Luxenburger, entre autres) ont tenté de définir la schizophrénie à partir d’une disposition endogène des tendances caractérielles tempéramentales. Malgré leurs mérites respectifs, les recherches anatomo-pathologiques, neuro-physiologiques, génétiques, biochimiques (actuellement centrées sur l’étude de l’altération des synapses cathécolaminosensibles de l’hypothalamus antérieur), poursuivies parallèlement n’ont jusqu’alors abouti qu’à des résultats paradoxaux. Comme le soulignait lui-même Bleuler, il n’est pas possible de réduire la maladie à une simple constitution. Il convient de tenir compte non seulement des données somatiques (héréditaires ou acquises) mais des données de l’histoire du malade.
La réaction schizophrénique au milieu
Au début du siècle, en Amérique du Nord, Adolph Meyer avait fait adopter une conception de la schizophrénie où s’associaient, hors de toute préoccupation nosographique, les données de la constitution, de l’histoire de l’individu et de son mode d’existence. Mais l’école sociologique américaine a rapidement donné la prévalence puis l’exclusivité aux facteurs du milieu dans la genèse des troubles: ainsi est née une nouvelle possibilité de donner une extension excessive au concept de schizophrénie dans lequel on allait ranger toute «réaction autistique», toute «conduite de refus ou de fuite», d’inadaptation aux conditions d’existence. L’étude du milieu s’est centrée depuis sur la cellule familiale et tout particulièrement sur les rapports mère-enfant dans les premiers mois de la vie.
Schizophrénie et «réaction névrotique»
Beaucoup d’auteurs délaissent la schizophrénie pour s’intéresser au schizophrène. Qu’on adopte l’une ou l’autre des perspectives phénoménologique (Minkowski, Binswanger, Wyrsch), psychanalytique (Schilder, Sullivan, Sèchehaye, Osborne, Nacht, Racamier) ou clinique du psychiatre «traitant», l’étude minutieuse de chaque cas «rapproche» le schizophrène. Il se «névrotise», son discours insensé vient à prendre un sens, relationnel le plus souvent. Forte d’intentionalité thérapeutique, une telle attitude, niant à l’extrême toute référence nosographique, conduit à assimiler schizophrénie, états limites, certains états névrotiques, etc.
La réaction schizophrénique aiguë
Certaines psychoses réactionnelles de combat ont reçu le nom de «schizophrénie aiguë». Une partie de l’école allemande et l’ensemble de l’école américaine font ainsi entrer dans le cadre de la schizophrénie tous les états psychotiques aigus et réversibles dont les auteurs français continuent d’affirmer l’autonomie, les rangeant sous l’appellation de psychoses délirantes aiguës, d’états confuso-oniriques. Une telle conception interdit toute distinction pronostique, alors que la plupart de ces états aigus (25 à 60 p. 100 selon les auteurs) guérissent sans récidive.
Ainsi, après une première phase clinique, descriptive et d’autonomisation, la schizophrénie est entrée dans l’ère thérapeutique. Sous l’influence conjointe des traitements biologiques (de choc ou pharmacologiques) et psychothérapeutiques (individuels et collectifs), son image initiale s’est trouvée modifiée: ses symptômes ont été «gommés», les évolutions continues et progressives ont fait place de plus en plus aux évolutions intermittentes et périodiques. Placée en exergue, la dimension psychopathologique de la maladie a conduit à une dilution du concept de schizophrénie dans un cadre élargi et dégradé, où figurent une série de réactions et de comportements inadaptés sans rapport avec le «noyau» schizophrénique. La majorité des psychiatres français reste attachée à une conception qui correspond à un certain type de structure (cf. Bleuler) et d’évolution.
schizophrénie [ skizɔfreni ] n. f. ♦ Psychiatr. Psychose caractérisée par une désagrégation psychique (ambivalence des pensées, des sentiments, conduite paradoxale), la perte du contact avec la réalité, le repli sur soi. ⇒ autisme, hébéphrénie. — Schizophrénie affective. ⇒ schizonévrose. — Adj. SCHIZOPHRÉNIQUE .
● schizophrénie nom féminin (allemand Schizophrenie, du grec skhizein, fendre, et phrên, pensée) Psychose délirante chronique caractérisée par une discordance de la pensée, de la vie émotionnelle et du rapport au monde extérieur. ● schizophrénie (synonymes) nom féminin (allemand Schizophrenie, du grec skhizein, fendre, et phrên, pensée) Psychose délirante chronique caractérisée par une discordance de la pensée...
Synonymes :
schizophrénie
n. f. PSYCHIAT Psychose caractérisée par une dissociation des différentes fonctions psychiques et mentales, accompagnée d'une perte de contact avec la réalité et d'un repli sur soi (autisme).
⇒SCHIZOPHRÉNIE, subst. fém.
A. — PSYCH. Psychose chronique caractérisée par une dissociation de la personnalité, se manifestant principalement par la perte de contact avec le réel, le ralentissement des activités, l'inertie, le repli sur soi, la stéréotypie de la pensée, le refuge dans un monde intérieur imaginaire, plus ou moins délirant, à thèmes érotiques, mégalomanes, mystiques, pseudo-scientifiques (avec impression de dépersonnalisation, de transformation corporelle et morale sous l'influence de forces étrangères, en rapport avec des hallucinations auditives, kinesthésiques). Le trouble essentiel de la schizophrénie est constitué par la perte de contact vital avec la réalité (...). Un déficit spécifique d'ordre pragmatique en résulte (...). Les troubles de l'idéation, de l'affectivité et des manifestations volitionnelles, dont Bleuler fait les symptômes élémentaires de la schizophrénie et dont le caractère principal est la discordance, se laissent déduire aisément (E. MINKOWSKI, La Schizophrénie, 1927, p. 236):
• Bleuler étudia (...) les déments précoces. Il décrivit fort bien ces sujets tout absorbés par eux-mêmes, plongés dans des rêves et des méditations intérieures, retranchés du monde extérieur jusqu'au repli morbide sur soi-même, qui oscillent entre une sensibilité exagérée et une anesthésie totale des sentiments (...). Pour eux Bleuler créa le mot de schizophrénie qui signifie « divisé », « séparé ». Divisés, séparés, les malades le sont (...) dans leur esprit lui-même où s'est produit une véritable fracture mentale.
H. BARUK, Des hommes comme nous, 1976, p. 81.
B. — P. anal. Ambivalence psychique, manque de réalisme, comportement extravagant qui évoque la schizophrénie. Le formalisme pourrait entraîner le chercheur dans un désert scolastique. Seul alors, un nouvel apport de matière fraîche (le contact, par exemple, avec une théorie physique), peut arracher le mathématicien à la schizophrénie qui le guette, l'incite à poser de vrais problèmes (Gds cour. pensée math., 1948, p. 203). Le journal [La Voix du Nord] fait chorus avec les écologistes. Il dénonce la « schizophrénie macadamisante » des aménageurs (Le Sauvage, 1er janv. 1977, p. 71, col. 1).
REM. Schizophréniser, verbe. a) Empl. trans. Rendre schizophrène. Empl. abs. Le paradoxe veut que le capitalisme (...) soit le mode d'organisation qui « schizophrénise » le plus et qui libère le moins. Car il est en proie à des tendances contradictoires. Il engendre la schizophrénie comme son surproduit (Encyclop. univ. t. 14 1972, p. 736, col. 1, s.v. schizophrénie). b) Empl. intrans. Devenir schizophrène. Schizophréniser, c'est couper les codes qui restreignent le désir (Lar. encyclop. Suppl. 1975).
Prononc.:[]. Étymol. et Hist. 1917 (J. ROGUES DE FURSAC, Manuel de psych., p. 243). Comp. des élém. formants schizo- et -phrénie, par l'intermédiaire de l'all. Schizophrenie (1911, P. E. BLEULER, Dementia praecox oder die Grupper der Schizophrenien).
DÉR. Schizophrénique, adj. a) Psych. Qui est de la nature de la schizophrénie (supra A) ou qui la dénote. Le schizophrène ne vit plus dans le monde commun, mais dans un monde privé (...). De là l'interrogation schizophrénique: tout est étonnant, absurde ou irréel, parce que le mouvement de l'existence vers les choses n'a plus son énergie (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 332). « Attitudes schizophréniques », toutes signalées par leur caractère abstrait et apragmatique, par leur stérilité, leur fixité et leur immobilité (Minkowski): véritables « stéréotypies psychiques » qui finissent par régler tout le comportement du schizophrène (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 363). b) P. anal. Relatif à la schizophrénie (supra B), qui est déphasé de la réalité, marqué d'une scission interne, d'une dualité insurmontable. [Les centristes en Suède] se trouvent dans une position schizophrénique: d'une part, toute la bourgeoisie traditionnelle a voté pour eux, dans l'espoir de se débarrasser enfin de cet horrible socialisme qui les empêche de dormir; d'autre part, une bonne partie des électeurs s'est laissé séduire par le thème de la liberté, du changement. Il est impossible de satisfaire les deux (Le Nouvel Observateur, 27 sept. 1976, p. 44, col. 2). — []. — 1re attest. 1917 (J. ROGUES DE FURSAC, Manuel de psych., p. 268); de schizophrénie, suff. -ique. — Fréq. abs. littér.: 12.
BBG. — QUEM. DDL t. 29 (et s.v. schizophrénique).
schizophrénie [skizɔfʀeni] n. f.
ÉTYM. 1911, in D. D. L.; all. Schizophrenie, 1911, Bleuler : « Je nomme la dementia præcox Schizophrénie parce que la dissociation (Spaltung) des fonctions psychiques (…) en est une des caractéristiques les plus importantes (…) » (trad. in Porot); du grec schizo- (→ Schizo-), et phrên « esprit ».
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1 Psychiatrie. Psychose caractérisée par une désagrégation psychique (ambivalence des pensées, des sentiments, conduite paradoxale), la perte du contact avec la réalité (repliement sur soi, désintérêt, apathie, inertie, parfois délire) et des troubles endocriniens, sympathiques et métaboliques (⇒ aussi Schizophrénique). || Schizophrénie et autisme. || Schizophrénie affective. ⇒ Schizonévrose. || Schizophrénie infantile, survenant avant la puberté. || Schizophrénie juvénile : forme la plus fréquente de schizophrénie, apparaissant après la puberté et se développant jusqu'à l'âge mûr. || La schizoïdie, terrain prédisposé de la schizophrénie. ⇒ aussi Schizomanie, schizose.
1 (…) la schizophrénie ou démence précoce, caractérisée par la perte totale du contact avec l'ambiance, la dissolution des synthèses mentales qui assurent l'adaptation au réel permettant alors une libération sans frein de l'autisme, chez ces sujets qui se meuvent dans un univers qui n'a plus de commune mesure avec le nôtre, qui lui est devenu aliéné, c'est-à-dire, comme l'étymologie l'indique, étranger.
Jean Delay, la Psycho-physiologie humaine, p. 81.
2 Dans la cour intérieure de notre impasse, nous avions pour voisin un retraité nommé S., qui vivait comme un ours, sans jamais parler à personne, pas même bonjour ou bonsoir, dans un état que je sais maintenant être celui de la plus dangereuse schizophrénie.
Raymond Abellio, Ma dernière mémoire, t. I, p. 150.
REM. Ce mot a remplacé folie simple. Il a d'abord signifié « disjonction des éléments de la personnalité, notamment dans la démence précoce »; le psychiatre français Chaslin parlait alors (1912) de discordance; l'idée de « perte de contact avec la réalité » s'ajoute avec Minkowski. Il s'est parfois employé très largement, incluant toutes les formes de « folie » (psychose) non étiquetées comme paranoïas, manies, délires, etc., et constitue une catégorie très vague, souvent critiquée.
2 Psychan., didact. (Conçue non comme une maladie ou un syndrome, mais comme une tendance psychique générale). Prédominance des mécanismes de refoulement et du désinvestissement de la réalité sur les mécanismes de restitution (chez Freud); refus des symboles et des codes formateurs du moi et garants de la société, maintien de l'inconscient et du désir au niveau des « flux » et des « molécules » des « machines désirantes » (Deleuze et Guattari), etc. || Conditions favorisant la schizophrénie. ⇒ Schizogène.
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DÉR. Schizophrène, schizophrénique, schizophréniser.
Encyclopédie Universelle. 2012.