BAHREÏN
Archipel de dimension restreinte (678 km2), Bahreïn se distingue des autres émirats du Golfe par ses possibilités agricoles, par sa population chiite majoritaire (60 p. 100 de la population nationale), par sa très faible production pétrolière, enfin par son économie très diversifiée, avec, en particulier, un grand développement des activités bancaires et de service qui font de Man ma, la capitale, la place financière du Golfe. En 1992, la population de Bahreïn était estimée à 520 000 personnes, dont un tiers d’étrangers, ce qui donnait à ce petit émirat une densité de 767 habitants au kilomètre carré, la plus forte enregistrée dans un pays arabe, et contrastait ainsi avec les immensités désertiques voisines de la péninsule arabique.
Au niveau régional, Bahreïn joue un rôle important, sans rapport avec la taille de l’émirat, indépendant depuis 1971. Après un accroissement continu et spectaculaire de l’activité économique jusqu’en 1985, Bahreïn est victime des tensions régionales, d’abord la guerre Irak-Iran puis la crise du Golfe. La prospérité de cet émirat s’est trouvée remise en question, en particulier dans le secteur des banques et des services.
Le cadre physique et l’évolution historique
Bahreïn est un archipel regroupant une trentaine d’îles, dont une dizaine ne sont que de très modestes îlots inhabités. L’île la plus importante, longue de 50 kilomètres et large de 20 kilomètres entre ses points les plus extrêmes, porte le nom de Bahreïn. Cette île est depuis 1986 reliée à l’Arabie Saoudite par un pont-digue, baptisé le «pont de l’amitié». Long de 25 kilomètres et portant une autoroute à quatre voies, ce pont entièrement financé par l’Arabie Saoudite a coûté 1,2 milliard de dollars. Dès 1987, plus d’un million de véhicules ont emprunté le «pont de l’amitié», qui atténue le caractère insulaire de l’émirat de Bahreïn.
Deux autres îles ont une grande importance: celle de Muharraq, la plus peuplée après Bahreïn, et celle de Sitra, qui regroupe les principales unités industrielles de l’émirat. Ces deux îles sont reliées à Man ma par des ponts. En revanche, l’île de Hawar, proche de la péninsule de Qatar, et certains petits îlots sont revendiqués par l’émirat de Qatar. Un débarquement de troupes qatariotes, le 26 avril 1986, sur l’îlot de Facht al Dibel, où travaillaient des techniciens néerlandais pour le compte de Bahreïn, a fait resurgir un conflit vieux de deux siècles entre les deux émirats, et seule une énergique médiation saoudienne a pu éviter que cet incident ne dégénère en guerre ouverte entre Bahreïn et Qatar.
L’archipel de Bahreïn forme un ensemble d’îles plates taillées dans le calcaire. Le point culminant, au centre de l’île Bahreïn, atteint 134 mètres au Jabel Dukhan (ce qui signifie en arabe «montagne de fumée», en raison de la brume qui entoure souvent le sommet de ce bombement calcaire). Le climat de Bahreïn est désertique: la moyenne pluviométrique annuelle est de 60 millimètres, avec des variations considérables d’une année sur l’autre (232 mm en 1976, 17 mm en 1979). Une chaleur accablante, avec des maxima de température dépassant 45 0C, règne d’avril à octobre. Heureusement, grâce à un réseau de rivières souterraines venues du centre de la péninsule arabique, Bahreïn dispose de nappes et de sources d’eau douce.
Ainsi s’explique l’ancienneté du peuplement, d’autant plus que l’île de Bahreïn occupe à l’intérieur du golfe Arabo-Persique une position stratégique remarquable, étant située à mi-distance entre le détroit d’Ormuz et de Chatt el-Arab, au fond du Golfe. Les fouilles archéologiques entreprises dans l’archipel ont montré l’existence de la civilisation de Dilmoun 3 000 ans avant J.-C. Des milliers de tumulus au centre de l’île de Bahreïn révèlent, par la nature des objets trouvés lors des fouilles, que Dilmoun était en relation étroite avec la civilisation sumérienne de Basse-Mésopotamie et avec la civilisation de l’Indus.
Au cours de sa longue histoire, Bahreïn sera toujours un point stratégique très convoité. Citons, par exemple, le passage des armées d’Alexandre le Grand, l’occupation de l’île par les Perses Sassanides, du IVe au VIIe siècle, ou la domination portugaise au XVIe siècle. Ensuite, les Portugais cèdent la place aux Perses qui contrôlent Bahreïn au XVIIe et au XVIIIe siècle, malgré les tentatives des princes du sultanat d’Oman de s’installer dans l’archipel. Les Perses furent chassés de Bahreïn par Ahmed al-Khalifa, fondateur de l’actuelle dynastie qui règne à Bahreïn depuis 1783. Tout au long du XIXe siècle, les al-Khalifa vont lutter et faire face aux prétentions perses, wahhabites, turques ou omanaises, mais, surtout, en signant en 1820 un traité avec les Britanniques, Bahreïn se plaça pour un siècle et demi dans l’orbite de l’Angleterre. D’autres traités, signés en 1855, en 1880 et en 1891, lièrent encore un peu plus Bahreïn à la couronne britannique et contribuèrent à affirmer la toute-puissance du résident britannique installé à Man ma. L’un des plus célèbres fut Charles Belgrave, en poste de 1926 à 1957, dont le départ fut obtenu à la suite d’une agitation sociale et politique.
Après l’abandon, seulement en 1970, des prétentions iraniennes sur l’archipel, et après le refus de l’émir de Bahreïn, Cheikh Isa Ben Salaman al-Khalifa, d’adhérer au projet britannique de créer une grande fédération des émirats, regroupant Bahreïn, Qatar et les Émirats arabes unis, l’indépendance de Bahreïn est proclamée le 14 août 1971. Tous les anciens traités liant l’émirat à la Grande-Bretagne sont abolis, mais un traité d’amitié est aussitôt signé entre le Royaume-Uni et Bahreïn. Les Britanniques ont d’ailleurs conservé une grande influence dans l’émirat.
Le nouvel État indépendant connaît une brève expérience parlementaire. Une Assemblée constituante est élue en décembre 1972, et élabore une Constitution (1973) inspirée de celle de Koweït. La nouvelle Assemblée nationale élue en 1973 permet à l’opposition de critiquer ou de bloquer certains projets du gouvernement, ce qui inquiète l’émir mais aussi les monarchies pétrolières voisines, en particulier l’Arabie Saoudite. Finalement, en août 1975, l’émir décrète la dissolution de l’Assemblée nationale.
D’autres tensions politiques vont apparaître après l’arrivée au pouvoir à Téhéran de l’im m Khomeyni en 1979. Bahreïn, où les chiites sont majoritaires, est directement concerné par la révolution islamique iranienne et par les prolongements de la guerre Irak-Iran. Un complot contre le régime est découvert à Man ma en décembre 1981: selon les autorités, les comploteurs, entraînés en Iran, devaient proclamer leur attachement de Bahreïn à l’Iran. La création du conseil de coopération du Golfe, regroupant depuis 1981 l’Arabie Saoudite et tous les émirats, permet à Bahreïn de bénéficier éventuellement de l’appui militaire des «pétromonarchies» voisines. La tension dans le Golfe n’est pas sans conséquence sur l’économie de Bahreïn.
Les transformations liées au pétrole
Plaque tournante du Golfe, Bahreïn a parfois été comparé à Hong Kong ou à Singapour, surtout dans la période d’euphorie pétrolière allant de 1974 à 1981. En fait, la prospérité de Bahreïn est ancienne, bien antérieure à la découverte du pétrole en 1932, et reposait sur l’agriculture et surtout sur des activités liées à la mer (constructions navales, pêche des perles, commerce maritime). Les nombreuses sources d’eau douce ont longtemps permis à l’émirat d’affirmer une vocation agricole, ce qui est assez exceptionnel dans cette région désertique, et faisaient de Bahreïn un point de ravitaillement privilégié pour les navires qui sillonnaient le Golfe. Avec la richesse apportée par le pétrole et l’urbanisation généralisée, les surfaces cultivées ont reculé de façon spectaculaire, et une grande partie des palmeraies est à l’abandon. En 1992, l’agriculture ne représente plus que 2 p. 100 du P.N.B.
Les constructions navales ont été une spécialité de Bahreïn qui fabriquait les meilleurs bateaux du Golfe. Encore aujourd’hui, les Bahreïnis construisent des sambouks, boutres de belle allure qu’ils vendent aux émirats voisins. Autrefois, les bateaux de Bahreïn sillonnaient le Golfe et l’océan Indien, faisant de l’émirat le premier entrepôt du Golfe. Cette activité commerciale a été pour Bahreïn un facteur de modernité, bien avant l’exploitation du pétrole. Quelques grandes familles d’armateurs Bahreïnis ont pu ainsi acquérir une inestimable expérience. Beaucoup plus tard, lorsque Man ma deviendra à partir de 1975 la grande place financière du Golfe, on retrouvera ces mêmes familles dans les activités bancaires. Enfin, la pêche des perles a été longtemps la grande spécialité de Bahreïn. Le déclin de l’activité perlière s’amorça à partir de 1930 pour trois raisons: la concurrence des perles de culture japonaises, trois fois moins chères, la crise mondiale de 1929 qui toucha les pays européens, principaux acheteurs des perles du Golfe, enfin la découverte du pétrole qui assura des emplois plus stables mieux rémunérés.
Bahreïn dispose de modestes réserves pétrolières: le gisement d’Aw l 稜 est en voie d’épuisement, et la production pétrolière de Bahreïn stagne depuis de nombreuses années autour de 2 millions de tonnes par an. En revanche, Bahreïn est devenu un grand centre de raffinage qui traite du pétrole brut importé d’Arabie Saoudite: en 1992, la capacité de raffinage de Bahreïn était de 12,5 millions de tonnes. Cette grosse raffinerie, une des plus anciennes installées dans un pays arabe, a permis le développement d’une industrie pétrochimique.
Après avoir été le premier pays arabe du Golfe à produire du pétrole, Bahreïn a été aussi le premier à entrer dans l’«ère de l’après-pétrole» en diversifiant au maximum son économie. Avec l’aide financière des principautés pétrolières riches, principalement l’Arabie Saoudite et Koweït, de grands projets industriels ont été réalisés à Bahreïn. En 1971 était mise en service la fonderie d’aluminium de la société Alba («aluminium Bahreïn»), dans laquelle la participation saoudienne est de 20 p. 100. D’autres usines produisant des câbles en aluminium, des barres en aluminium, de la poudre d’aluminium ont été construites en 1977 et en 1978, tandis qu’en 1986 commençait à fonctionner l’usine de laminage de la Gulf Aluminium Rolling Mill Company, où sont associés les principaux pays arabes voisins. Toutes ces usines spécialisées dans le secteur de l’aluminium sont localisées dans l’île de Sitra. Bahreïn dispose également depuis 1977 du plus grand chantier de réparations navales de la région: la cale sèche géante de l’A.S.R.Y. (Arab Ship Repair Yard), qui appartient conjointement aux sept membres de l’O.P.A.E.P. (Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole), permet la réparation des super-pétroliers. Mais l’insécurité, qui a longtemps régné dans les eaux du Golfe, a considérablement freiné l’activité de cette cale sèche. En 1992, l’industrie occupe 34 p. 100 de la population active et contribue à la formation de 23 p. 100 du P.N.B., alors que les services emploient 60 p. 100 de la population active et assurent 55 p. 100 du P.N.B.
Bahreïn est devenu la grande place financière du Golfe, lorsqu’en octobre 1975 apparaît la possibilité de créer dans l’émirat des «banques offshore», destinées à opérer vers l’extérieur. Ces banques, de leur vrai nom Offshore Banking Units (O.B.U.), étaient au nombre de 74 en 1985. Le total des actifs des établissements financiers offshore installés à Man ma a rapidement progressé, passant de 28 milliards de dollars en 1979 à 63 milliards de dollars en 1983, pour atteindre encore 60 milliards de dollars en 1985. Depuis cette date, beaucoup de banques étrangères ont quitté Bahreïn, car la chute du prix du pétrole et la guerre du Golfe ne favorisaient pas le recyclage des pétrodollars des États pétroliers voisins, ce qui est la raison d’être des banques offshore. La fuite massive des capitaux après l’invasion du Koweït (2 août 1990) représente 30 p. 100 des dépôts bancaires, entraînant la fermeture de certaines banques offshore. Elles ne sont plus que 51 en 1992. Bahreïn a donc fondé son développement sur la richesse de ses voisins. Man ma a sans doute bénéficié de l’effacement de Beyrouth à partir de 1975, début de la guerre du Liban. Mais, surtout, plusieurs facteurs ont permis l’installation à Bahreïn de cette «zone franche financière»: la facilité et la qualité des communications (télex, téléphone, desserte aérienne), l’importance de l’équipement hôtelier déjà en place en 1975, le sérieux du contrôle exercé par la Bahreïn Monetary Agency, enfin la situation géographique de Bahreïn qui permet aux banques de Man ma de fonctionner avant la fermeture de la place financière de T 拏ky 拏 et après l’ouverture de celle de New York.
Le dynamisme de Bahreïn a attiré de nombreux étrangers, accentuant ainsi la croissance de la population, déjà stimulée par un taux de natalité très élevé dans la population nationale où le taux de mortalité a beaucoup baissé, d’où un taux d’accroissement naturel de 38 p. 100 en 1986. Depuis 1941, des recensements ont été régulièrement effectués à Bahreïn et permettent d’analyser avec précision l’évolution démographique, ce qui est rarement le cas dans les émirats voisins, sauf à Koweït. Ainsi, la population a été multipliée par quatre entre 1941 et 1981. Le recensement de 1981 dénombrait 112 378 étrangers, soit 32 p. 100 des effectifs globaux de l’émirat. À l’intérieur de cette population étrangère, les Arabes sont minoritaires (12,7 p. 100 des étrangers). Les Asiatiques (Indiens, Pakistanais, Sud-Coréens, Thaïlandais, Philippins) constituent les contingents les plus importants (77,2 p. 100 des étrangers, alors que les Européens représentent 7,8 p. 100 de la population étrangère recensée en 1981).
La population est concentrée essentiellement dans les villes (taux d’urbanisation de 80,7 p. 100 en 1981). En 1981, Man ma, la capitale, regroupait 121 986 personnes, dont 52,4 p. 100 d’étrangers. La commune urbaine de Muharraq, située sur une île à 2 kilomètres, fait désormais partie intégrante de l’agglomération de Man ma, car elle est reliée à la capitale par un pont. En englobant Muharraq (61 853 hab. en 1981) et divers faubourgs, l’agglomération de Man ma comptait plus de 200 000 personnes en 1981, et sans doute plus de 250 000 habitants en 1988. Man ma et Muharraq sont des villes anciennes, où l’on notait déjà la présence d’Asiatiques bien avant le XXe siècle. En effet, Bahreïn a toujours entretenu des relations commerciales avec l’Inde, et surtout l’île avait été choisie au XIXe siècle pour être le centre du dispositif anglais chargé de contrôler l’ensemble des émirats, ce qui avait conduit les Britanniques à faire venir beaucoup de sujets de l’Empire des Indes.
Il y a aussi dans l’émirat des villes nouvelles. Aw l 稜 a été construite dans les années 1930, après la découverte du pétrole par la B.A.P.C.O. (Bahrain Petroleum Company), afin de loger les cadres et techniciens étrangers de cette société pétrolière. Cette petite ville, typiquement anglo-saxonne par son urbanisme, est une «cité-jardin» qui pourrait se trouver aussi bien en Angleterre qu’aux États-Unis, et semble donc parachutée sur un environnement désertique. Cet espace urbain, constitué de petites maisons individuelles entourées de jardins où chaque pelouse est entretenue avec autant de soins que dans la banlieue londonienne, mérite le qualificatif de «ville coloniale», d’autant plus que, jusqu’à l’indépendance de Bahreïn en 1971, Aw l 稜 était réservée aux étrangers. La population d’Aw l 稜 est actuellement en baisse, en raison du départ progressif des cadres et techniciens occidentaux, remplacés par des Bahreïnis. En 1986, Aw l 稜 rassemblait à peine 15 000 habitants dont la moitié de Bahreïnis.
Bahreïn possède une autre ville nouvelle achevée en 1969, Isa Town. Elle regroupait 21 275 personnes au recensement de 1981, essentiellement des Bahreïnis (93,4 p. 100 de la population d’Isa Town). Cette ville nouvelle n’échappe pas à une certaine monotonie avec ses logements absolument identiques. Même les mosquées ont été construites sur le même modèle. Bien que située à une douzaine de kilomètres au sud de Man ma, Isa Town ne s’est pas transformée en banlieue résidentielle et offre des activités suffisamment variées pour fournir du travail à l’essentiel de la population active de cette petite ville dynamique.
Ces quelques exemples montrent la diversité du phénomène urbain à Bahreïn. Mais, partout dans l’émirat, le taux d’analphabétisme est peu élevé: 27 p. 100 de la population Bahreïnie était analphabète en 1987, soit beaucoup moins que dans les monarchies pétrolières voisines. Bahreïn a, en effet, bénéficié d’une scolarisation précoce: la première école pour garçons a été ouverte en 1919, et en 1928 fonctionnait le premier établissement scolaire pour filles. Bahreïn est d’ailleurs l’émirat où les femmes disposent du plus de liberté et sont le plus engagées dans la vie professionnelle.
Bahreïn
(al-Bahrayn) archipel et émirat du golfe Persique, relié à l'Arabie Saoudite par un pont de 30 km; 678 km²; 490 000 hab. (Bahreïnis), croissance démographique: + 2,7 % par an; cap. Manama, dans l'île de Bahreïn. Monnaie: dinar. Relig.: islam (90 %). Gaz et pétrole font la richesse du pays, grande place financière du Golfe (zone franche). Industries.
— Gouverné à partir de 1783 par la dynastie Khalifah, l'émirat devint protectorat brit. en 1820; il est indépendant depuis 1971.
Encyclopédie Universelle. 2012.