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RÉMINISCENCE
RÉMINISCENCE

RÉMINISCENCE

Avancé par Platon dans le Phédon , le thème mytho-philosophique de la réminiscence se retrouve tout au long de l’histoire de la philosophie occidentale avec une insistance telle qu’il paraît y prendre valeur de paradigme essentiel. Dans son expression strictement platonicienne, la réminiscence est une réponse ambiguë à deux questions: comment est-il possible d’apprendre ce qui ne saurait s’enseigner (en l’occurrence, la vertu)? Quelle est la nature de l’âme? La réminiscence est ambiguë en ce qu’elle implique l’éternité de l’âme qu’elle prétend démontrer par une expérience: le jeune esclave à qui Socrate demande, dans le Ménon , de doubler la surface d’un carré y parvient sans aide extérieure de sorte qu’il faut admettre que «chez celui qui ne sait pas, il existe, concernant telles choses qu’il se trouve ne pas savoir, des pensées vraies concernant ces choses mêmes qu’il ne sait pas». Or ceci n’est possible que si l’âme, immortelle, a contemplé avant son existence présente les vérités éternelles qui, actualisées par le ressouvenir, deviennent des connaissances.

En fait, la réminiscence ne peut être séparée ni des thèmes pythagoriciens, épars dans l’œuvre de Platon, ni du mythe de la caverne, qui semble en limiter les conséquences théoriques et surtout pratiques. Connaître, c’est se ressouvenir et développer dialectiquement les conséquences des idées éternelles; pourtant, la réminiscence n’est pas une notion, mais une expérience. Si Socrate ne fournit au jeune esclave du Ménon aucun savoir, l’ordre même des questions posées rend possible la solution du problème. La réminiscence est ainsi immédiatement liée à une fonction pédagogique d’éveil: c’est le rapport maître-disciple qui lui donne sa garantie pratique; le statut de l’«éveillé» pose par là problème, l’«éveillé» devant en effet devenir l’«éveilleur»: le sage ne peut se satisfaire de la contemplation du principe, soleil de La République , mais doit au contraire venir susciter l’éveil auprès des enchaînés de la caverne, être ainsi cause de la réminiscence, comme le fut Socrate pour l’esclave. On voit que la réminiscence réunit dans la réflexion platonicienne la théorie de la science et la théorie politique jusque dans ses applications institutionnelles.

Par-delà le platonisme est demeurée, inquiète et inquiétante, la question posée à Socrate (Ménon , 80 d): «Et comment chercheras-tu, Socrate, ce dont tu ne sais absolument pas ce que c’est?» Question à l’abord sophistique, puisqu’elle pose implicitement l’objet de l’impossible demande, mais qui, par là même, devient la question de l’angoisse qui interroge ce qu’elle pose comme inaccessible. De sorte que la réminiscence va devenir sans grand changement la réponse de la foi: on retrouve chez saint Augustin un analogue peu modifié de la réminiscence; car nos sensations ne sont jamais que des occasions pour nous de redécouvrir les vérités éternelles qui passent la puissance de l’homme et nous font accéder à la réalité purement intelligible, nécessaire, immuable et éternelle, qui est Dieu; celui-ci, d’une façon très semblable au Bien de La République , est «le soleil intelligible à la lumière duquel la raison voit la vérité». Or la connaissance de ce Dieu ne serait pas possible — du fait du péché originel, qui a brouillé les chemins par lesquels la créature pourrait retrouver son Créateur — s’il n’existait en l’homme une trace de celui-ci. Dieu a laissé en l’homme une trace de son amour: à la fois amour de Dieu pour l’homme et amour naturel de l’homme pour son Créateur. De sorte que la reconnaissance de cette marque et de cet amour est la connaissance la plus essentielle que l’homme puisse se donner à acquérir.

Cette connaissance du Créateur par une idée en nous innée de son infinité se retrouvera tout au long de l’élaboration médiévale des preuves de l’existence de Dieu: il est clair que nous ne pouvons nous former une idée de l’infini à partir de l’expérience du fini; or, tout ce qui nous est donné à éprouver est fini; donc l’infini est en nous une trace laissée par le Créateur, une marque de lui-même qui nous permet de le retrouver et de l’aimer. On ne parle plus alors de réminiscence, l’âme personnelle n’existant pas de toute éternité; du moins la tradition platonicienne reste-t-elle vivace dans le discours théologique.

Tout autre est l’usage que fait Kierkegaard du thème platonicien: il ne s’agit plus pour lui de prouver l’existence de Dieu, mais de rendre sensible ce qu’il appelle le paradoxe — l’existence historique du Dieu éternel — et le scandale — la mort historique de ce même Dieu. Pour Kierkegaard, Socrate avait trouvé par la réminiscence qu’en se connaissant lui-même l’homme connaissait Dieu: c’est là, ajoute-t-il, la limite du socratisme. En effet, qu’arrive-t-il lorsqu’il s’agit du salut éternel et non plus de la vérité socratique? Il faut alors que l’instant devienne décisif, moment qui sépare l’histoire entre un avant de la perte et de l’éloignement du dieu, et un après qu’ouvre la venue d’un sauveur qui remplace alors le maître socratique. Cette réflexion que développent les Miettes philosophiques permet à Kierkegaard d’opposer la réflexion socratique, suprême étape d’une philosophie pré-existentialiste, pour laquelle l’instant est nécessairement contingent, à la véritable réflexion chrétienne, pour laquelle l’instant est décisif, étant à la fois moment de la conversion et moment du salut. Pour le socratisme (en fait le platonisme), le disciple était la vérité même qu’il lui fallait seulement retrouver. Pour le christianisme, le disciple (la créature) est essentiellement la non-vérité (par le péché). Le maître, lui, reste l’occasion pour le disciple de découvrir sa non-vérité, le péché, et ce faisant il l’écarte de lui plus encore. Mais, de plus, le maître est celui qui apporte au disciple la condition de la vérité qu’il a perdue (la reconnaissance de sa non-vérité), et c’est en cela qu’il est sauveur.

Ainsi se trouve répétée par Kierkegaard, quoiqu’en un projet différent, ce qui constitue l’essence même de la réminiscence, la prise en compte par le sujet intéressé à son histoire et à son destin de sa détermination propre par rapport au temps et à la vérité.

réminiscence [ reminisɑ̃s ] n. f.
• v. 1330; lat. philos. reminiscentia, de reminisci « se souvenir »
1Psychol. Retour à l'esprit d'une image non reconnue comme souvenir. « La réminiscence est comme l'ombre du souvenir » (Joubert).
Spécialt (1767) Élément d'une création artistique inspiré par une influence plus ou moins inconsciente; cette influence. « des improvisations frénétiques, nourries de réminiscences » (Duhamel).
2Philos. Théorie platonicienne de la réminiscence, selon laquelle toute connaissance est le souvenir d'un état antérieur où l'âme possédait une vue directe des Idées.
3 Cour. Souvenir vague, imprécis, où domine la tonalité affective. Vagues réminiscences. Réminiscences d'un passé lointain. « Qui dit réminiscences [...] dit ressouvenirs confus, vagues, flottants, incertains, involontaires » (Sainte-Beuve).

réminiscence nom féminin (bas latin reminiscentia, du latin classique reminisci, se souvenir) Retour à la conscience claire de souvenirs non accompagnés de reconnaissance. Souvenir vague ou incomplet, difficile à localiser : Avoir de vagues réminiscences d'un événement. Emprunt fait inconsciemment à des souvenirs de lecture, de représentation : On trouve chez cet auteur des réminiscences de Stendhal.réminiscence (citations) nom féminin (bas latin reminiscentia, du latin classique reminisci, se souvenir) Platon Athènes vers 427-Athènes vers 348 ou 347 avant J.-C. L'instruction serait une réminiscence. Phédon, 76a (traduction L. Robin)

réminiscence
n. f.
d1./d PSYCHO Rappel à la mémoire d'un souvenir qui n'est pas reconnu comme tel.
d2./d Didac. Emprunt plus ou moins conscient fait par l'auteur d'une oeuvre artistique ou littéraire à d'autres créateurs. Poésie pleine de réminiscences mallarméennes.
d3./d Souvenir vague et confus. Réminiscences lointaines.

⇒RÉMINISCENCE, subst. fém.
A. — PHILOSOPHIE
1. [Chez Platon] Souvenir d'une connaissance acquise dans une vie antérieure, quand l'âme, qui vivait dans le monde supra-sensible des essences, contemplait les Idées. Réminiscence platonicienne; mythe, théorie de la réminiscence. Ce que Platon appelait réminiscence, Descartes l'appelait idées innées (P. LEROUX, Humanité, 1840, p. 273). C'est sur la réminiscence que Platon fonde la possibilité de la connaissance; c'est par elle qu'il expliquera les idées premières, antérieures et supérieures à l'expérience (É. CHAMBRY, Platon, 1967, p. 317).
2. [Chez Aristote] ,,Faculté de rappeler volontairement les souvenirs`` (LAL. 1968). Synon. mémoire volontaire (v. mémoire1).
B. — PSYCHOLOGIE
1. Retour à la conscience d'une image, d'une impression si faibles ou si effacées qu'à peine est-il possible d'en reconnaître les traces. Réminiscence du passé; confuse, vague réminiscence. On dirait très-bien de quelqu'un dont la tête faiblit (...): « Il n'a que des réminiscences, il n'a plus de souvenirs ». La réminiscence est, en un mot, un réveil fortuit de traces anciennes dont l'esprit n'a pas la conscience nette et distincte (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 9, 1864, p. 136):
... qu'il s'agît (...) de réminiscences comme celle de l'inégalité des deux marches ou le goût de la madeleine, il fallait tâcher d'interpréter les sensations comme les signes d'autant de lois et d'idées, en essayant de penser, c'est-à-dire de faire sortir de la pénombre ce que j'avais senti...
PROUST, Temps retr., 1922, p. 878.
2. a) Souvenir où domine plus ou moins l'élément affectif. Réminiscence de l'enfance, de la jeunesse; réminiscence de lecture. Les plus belles choses qu'un auteur puisse mettre dans un livre, sont les sentimens qui lui sont apportés, par réminiscence, des premiers jours de sa jeunesse (CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 135).
b) Souvenir qui inspire, qui influence la création artistique et, p. méton., l'emprunt, le plagiat inconscient ainsi réalisé. Réminiscence littéraire, musicale, poétique. Un poëte, qui, en faisant des vers, imite un autre poëte sans bien s'en rendre compte, et qui refait des hémistiches déjà faits est dit avoir des réminiscences (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 9, 1864, p. 136).
3. Mémoire profonde, lointaine, comme venue du fond des âges. Synon. mémoire collective (v. mémoire1 I A 2 d). Réminiscence ancestrale, héréditaire. Tout au fond de son cœur restait trop vivace l'amour des espaces et l'instinct sauvage (...). Une réminiscence venue des tréfonds de l'être, comme une grande vague d'équinoxe sauvage, balaya tout le passé, et ses ailes frémissantes s'ouvrirent largement pour l'essor et la fuite vers la forêt (PERGAUD, De Goupil, 1910, p. 235). Est-ce une réminiscence lointaine des fêtes païennes du solstice qui célébraient la fuite de l'hiver et le retour du soleil printanier? (THARAUD, An prochain, 1924, p. 7).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694: re-; dep. 1718: ré-. Étymol. et Hist. 1. a) Fin XIIe-déb. XIIIe s. « retour à l'esprit d'une image dont l'origine n'est pas reconnue » (Gloss. rom. ds T.-L.); en partic. 1580 « chez Platon, souvenir d'un état antérieur où l'âme possédait une vue directe des Idées, et qui fonde le pouvoir de connaissance des hommes » (MONTAIGNE, Essais, éd. Villey-Saulnier, II, XII, p. 548); b) 1684 « mémoire » (LA FONTAINE, Ragotin, III, 7, vers 713 ds Œuvres, éd. H. Régnier, t. 7, p. 339); c) 1968 psychol. exp. (Lar. encyclop. Suppl.); 2. 1651 « souvenir vague, difficile à localiser dans le passé » (SCARRON, Rom. com., I, 15 ds LITTRÉ); 3. 1767 « emprunt généralement inconscient d'un auteur à ses souvenirs » (DIDEROT, Le Salon de l'année 1767, Le Dauphin mourant ds Œuvres, éd. J. A. Naigeon, t. XIV, p. 145). Empr. au b. lat. reminiscentia « ressouvenir, réminiscence », terme de philos.; dér. de reminisci « rappeler à son souvenir, faire acte de souvenir ». Fréq. abs. littér.:355. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 533, b) 476; XXe s.: a) 409, b) 553.

réminiscence [ʀeminisɑ̃s] n. f.
ÉTYM. XIIIe; lat. philos. reminiscentia, de reminisci « se souvenir ».
1 Psychol. Retour à l'esprit d'une image dont l'origine (perception antérieure) n'est pas reconnue. Mémoire, souvenir.
1 Nous n'employons, dans la plupart de nos raisonnements, que des réminiscences : c'est sur elles que nous bâtissons; elles sont le fondement et la matière de tous nos discours.
Vauvenargues, Introd. à la connaissance de l'esprit humain, I, II.
2 La réminiscence est comme l'ombre du souvenir.
Joseph Joubert, Pensées, III, XXXVI.
3 À l'aspect de ce quai, de ce bassin, de ces maisons, nous éprouvons une sensation indéfinissable. Il nous semble les connaître déjà. Un souvenir confus s'ébauche au fond de notre mémoire; serions-nous venus à Hambourg sans le savoir ? (…) Pendant que nous cherchions la raison philosophique de cette réminiscence de l'inconnu, l'idée de Henri Heine se présenta subitement à nous, et nous comprîmes. Souvent le grand poète nous avait parlé de Hambourg avec ces mots plastiques dont il possédait le secret et qui équivalent à la réalité.
Th. Gautier, Voyage en Russie, p. 13.
(1767, Diderot). Spécialt. Élément d'une création artistique, littéraire, inspiré par une influence, généralement inconsciente; cette influence.
4 Il s'installait devant le grand piano de Cécile et se livrait à des improvisations frénétiques, nourries de réminiscences qui n'étaient pas toujours inconscientes ni même involontaires.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, III, VIII.
2 (1651). Philos. Chez Platon, Souvenir d'un état antérieur où l'âme possédait une vue directe des Idées, et qui fonde le pouvoir de connaissance des hommes. || Théorie platonicienne de la réminiscence.
Chez Aristote, Faculté de rappeler volontairement les souvenirs (par oppos. à mémoire, retour spontané à l'esprit).
5 Ce n'était pas une nouvelle qui se communiquât de bouche en bouche (…) elle se répandait de l'un à l'autre comme une contagion de vie intérieure, de connaissance intérieure, de reconnaissance, presque de réminiscence platonicienne, de certitude antérieure (…)
Ch. Péguy, la République…, p. 150.
3 (1651). Cour. Souvenir ancien, vague, imprécis, à forte tonalité affective. Ressouvenir. || Vagues réminiscences (→ Conjurer, cit. 4). || Évoquer des réminiscences (→ Humeur, cit. 14). || Réminiscences d'un passé lointain.Fait de se souvenir. || Faire, sentir qqch. par réminiscence (vieilli).
6 Ce n'est point le présent que je crains, c'est le passé qui me tourmente. Il est des souvenirs aussi redoutables que le sentiment actuel; on s'attendrit par réminiscence; on a honte de se sentir pleurer, et l'on n'en pleure que davantage.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, IV, I.
7 Qui dit réminiscences, en effet, dit ressouvenirs confus, vagues, flottants, incertains, involontaires. Un poète qui, en faisant des vers, imite un autre poète sans bien s'en rendre compte, et qui refait des hémistiches déjà faits, est dit avoir des réminiscences. On dirait très bien de quelqu'un dont la tête faiblit et qui ne gouverne plus bien sa mémoire : « Il n'a que des réminiscences, il n'a plus de souvenirs ». La réminiscence est, en un mot, un réveil fortuit de traces anciennes dont l'esprit n'a pas la conscience nette et distincte.
Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, 28 nov. 1864.

Encyclopédie Universelle. 2012.