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RELIURE
RELIURE

À l’époque du magazine et du livre de poche, abandonnés sitôt que lus, il est difficile de réaliser à quel point, pendant des siècles, le besoin s’est fait sentir de protéger le manuscrit d’abord, plus tard la chose imprimée. C’est l’objet de la reliure (du latin ligare, religare , « attacher »). Elle est une technique et s’affirme comme un art si l’extérieur du livre est décoré. Dans ce cas même, l’art est inséparable de la technique: la beauté d’une reliure ne tient pas seulement au sens artistique dont témoigne le décor, mais à la qualité des matières employées, à l’habileté dont font preuve les artisans, les uns exécutant les opérations du corps d’ouvrage, les autres le décor. Faire l’histoire de la reliure devrait conduire à étudier parallèlement l’évolution de la technique, qui a varié avec la diffusion du livre manuscrit ou imprimé, et l’évolution du décor en liaison avec celle des arts décoratifs en général. Il convient aussi de se demander comment on a relié, d’un côté, les livres d’étude, de l’autre, les ouvrages de luxe, et de rechercher quelle a pu être l’action des mécènes que furent souvent les grands bibliophiles et à quels livres sont allées leurs préférences.

La technique

De nos jours encore, pour toute reliure soignée, les premières opérations demeurent affaire d’artisan. Il s’agit, prenant un livre broché, de collationner le bon ordre des cahiers, puis, après avoir laissé un certain temps le volume sous presse, de coudre entre eux les cahiers. L’ouvrier pratique la couture sur nerfs , formant des saillies au dos du volume, ou le grécage , les fils venant se loger dans des entailles faites à la pliure des cahiers (reliure à dos long). Des cartons rectangulaires forment les plats de la reliure et sont fixés à l’extrémité des nerfs. L’intérieur des plats est protégé par des contre-gardes et des gardes, tandis que la tranche du volume est souvent teinte ou dorée. Le relieur recouvre ensuite de cuir ou de toile la totalité des plats (reliure pleine), ou seulement le dos et les coins (demi-reliure), ou encore le bord des plats (reliure à bandes). Les peaux les plus solides et les plus belles sont le maroquin et le chagrin (peau de chèvre). Le veau est lisse et se prête à de beaux effets, mais il est fragile. Le parchemin a tendance à devenir cassant. La basane (peau de mouton) est moins solide que beaucoup de toiles communément employées de nos jours. La couvrure terminée, un ouvrier spécialisé, le doreur, exécute le décor, qui peut être de son invention, ou encore dû à un maître. Il utilise des fers à dorer (fleurons, filets) et des roulettes, chauffés au four et poussés directement sur le cuir (reliure à froid), ou, plus souvent, pousse ces fers sur des feuilles d’or posées sur le cuir (reliure dorée); souvent aussi, il sertit les plats de fines lamelles de peaux (reliure mosaïquée).

Depuis le XIXe siècle, les opérations de la reliure industrielle ont quelque peu évolué. Aujourd’hui, les cahiers, pliés et empilés mécaniquement, sont munis au dos de mousseline. Celle-ci est encollée à l’intérieur des plats d’un cartonnage, préalablement décoré.

Les premières reliures

L’Orient, l’Antiquité et le Bas-Empire

De tout temps, les hommes ont éprouvé le besoin de protéger textes et documents. À côté des tablettes de terre cuite, épaisses et indestructibles, les Assyriens et les Babyloniens en utilisaient parfois de si minces qu’ils les plaçaient dans un étui, lui-même de terre cuite (British Museum). De bonne heure aussi, on sut réunir par des anneaux ou par des fils les tablettes de bois ou d’ivoire, ce que faisaient les Hittites, dès le VIIe siècle avant J.-C., en liant extérieurement ces tablettes par une lanière de cuir. En Égypte, plus tard en Grèce ou à Rome, il suffisait, pour protéger le livre de papyrus en forme de rouleau (volumen ), de le glisser dans un sac cylindrique. Mais d’autres problèmes se sont posés dans l’Inde et en Extrême-Orient. Dans l’Inde, les feuillets du livre, longs et étroits, faits le plus souvent d’écorce de bouleau, sont percés d’un trou au centre d’un côté, ou de deux trous assez écartés l’un de l’autre réunis au moyen d’un fil, puis enserrés entre des plaques de bois odoriférant, qui écarte les insectes, et dont les faces sont souvent sculptées, dorées, argentées ou laquées de rouge. La Chine a aussi connu ces liasses de feuillets (pothi ), ainsi que le livre en forme de rouleau, sur soie. Mais, dès le IIe siècle de notre ère, apparaît le livre écrit sur papier, soit en forme de rouleau, soit constitué de feuilles collées par leur tranche latérale, de façon à s’ouvrir en accordéon, les feuillets des deux extrémités étant collés à des plaques de bois ou de carton recouvert de brocart.

Mais on ne peut parler de reliure qu’à partir du moment où le livre prend la forme du codex composé de cahiers (Ier s. av. J.-C.). Le plus ancien qui soit conservé (Ier s. apr. J.-C.) a été découvert à Herculanum; les feuillets de bois qui le composent étaient réunis par deux fils, l’un en haut, l’autre en bas. Très tôt, on se préoccupe d’enrichir ces reliures. Martial envoyait à ses amis des livres-bibelots aux plats d’ivoire, et les textes officiels étaient parfois placés entre des plaques d’ivoire semblables aux diptyques consulaires ou aux ivoires impériaux à cinq compartiments (Ivoire Barberini , IVe s., musée du Louvre, Paris). À Byzance et peut-être aussi à Rome, les registres officiels étaient couverts de cuir de différentes couleurs et pouvaient s’orner du portrait de l’empereur, comme on le voit par les manuscrits de la Notitia dignitatum. Les chrétiens enrichissent aussi leurs livres; saint Jérôme s’est élevé contre le luxe des reliures d’orfèvrerie, tandis que Cassiodore établissait pour les copistes de Vivarium, en Italie du Sud, un recueil de décors de reliures. En Égypte, dès le Ier ou le IIe siècle, les communautés coptes recouvraient les manuscrits de plats faits tantôt de papyrus amalgamés, tantôt de plaques ornées de motifs géométriques sculptés, peints à l’or liquide, incisés, ou frappés aux petits fers, parfois même de l’image peinte des Apôtres. Les reliures des manuscrits venus de Rome et d’Orient ont pu servir d’exemple dans toute l’Europe.

Le Moyen Âge

Les ouvrages les plus précieux, et d’abord les livres d’église, sont recouverts d’ivoire, d’orfèvrerie et plus tard d’étoffe. Il peut s’agir d’ivoires antiques réutilisés (couvercle de coffret représentant une joueuse de cithare, IVe s., sur le Tropaire d’Autun , XIe s., bibliothèque de l’Arsenal, Paris; diptyque consulaire de Probianus, Ve s., sur La Vie de saint Luidger , XIe s., Berlin) ou d’ivoires chrétiens (diptyque de saint Pierre et de saint Paul, Ve s., sur manuscrit du XIIe s., bibliothèque de Rouen; plaque à cinq compartiments représentant le Christ et des scènes de l’Évangile, VIe s., sur l’Évangéliaire de Saint-Lupicin , IXe s., Bibl. nat., Paris). Exceptionnelle est la reliure d’orfèvrerie (début du VIIe s.) de l’Évangéliaire de Théodolinde, reine des Lombards (Monza). Mais, avec la renaissance carolingienne, il s’agit de créations toutes nouvelles. En témoignent, entre autres, les plaques d’ivoire entourées de pierreries exécutées à Metz sur plusieurs évangéliaires (IXe-Xe s., Bibl. nat.) et la reliure d’orfèvrerie du Codex Aureus de Saint-Emmeran (fin du IXe s., bibliothèque de Munich). Des ivoires venus de Byzance et de la région de la Meuse sont utilisés aux XIe et XIIe siècles. Dès le XIIIe siècle, les émaux de Limoges se répandent en Europe. Au XIVe siècle, les orfèvres exécutent de véritables chefs-d’œuvre (Évangéliaire de la Sainte-Chapelle , Bibl. nat.). Très nombreuses et très brillantes aussi sont, dès lors, les reliures d’étoffe. Les tissus sassanides aux fils d’or et d’argent (bibliothèque de Reims), les velours de différentes couleurs, ornés de broderies ou d’appliques de métal, ont recouvert bien des livres d’église et quantité d’ouvrages profanes. Des reliures de ce genre se trouvaient dans la bibliothèque de Jean de Berry et dans celle de Louis XII, au château de Blois. Mais beaucoup ont disparu ou sont usées. Sur le continent, leur mode tend à disparaître au XVIe siècle, mais elle subsiste en Angleterre jusqu’au XVIIIe siècle.

Sur les livres de travail, on utilise des reliures de cuir. La plus ancienne que l’on connaisse (Évangile de saint Cuthbert , VIIe s., Stonyhurst College) comporte un décor moulé sur cordelettes qui trahit une influence copte. On a cru déceler les mêmes influences sur deux manuscrits ayant appartenu à saint Boniface († 755), mais cette fois le cuir est découpé et orné aux petits fers (Ragindrudis Codex , avant 755, dôme de Fulda). C’est d’abord grâce à certaines particularités de la couture sur nerfs que l’on peut dater les reliures carolingiennes. Sur d’épais ais de bois, une peau grossière, souvent teinte à l’origine, mais aujourd’hui grisâtre, reste généralement sans décor. Parfois, le relieur pousse à froid des filets dessinant une croix ou des diagonales, accompagnés de palmettes et d’entrelacs. Après le démembrement de l’Empire carolingien et la décadence artistique qu’il entraîne, on ne connaît guère de reliures de cuir qui soient ornées. Mais une nouvelle renaissance se produit au XIIe siècle, dont les écoles parisiennes sont le centre. C’est sans doute à Paris, où travaillent déjà copistes et libraires laïcs, qu’ont été exécutées la plupart de ces reliures, d’une facture beaucoup plus fine, souvent couvertes de veau brun ou d’une basane colorée, que l’on a cru d’abord d’origine anglaise, voulant les rattacher à des abbayes cisterciennes, mais dont les prototypes pourraient être les reliures exécutées pour le prince Henri (vers 1121-1175), fils du roi Louis VI, lorsqu’il étudiait aux écoles de Paris. Elles sont très différentes des reliures carolingiennes; leur décor est obtenu au moyen de fers de gros module inspirés de la stylistique romane (figures de saints, de prophètes, monstres fantastiques) et musulmane (entrelacs de tresses), disposés en registres rectangulaires et verticaux couvrant tout le plat. En France, à partir du XIIIe siècle, le décor est réalisé au moyen de fers carrés de plus petit module, et prévaut jusqu’au XVe siècle. Au XIVe siècle, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Angleterre, des filets se recoupent souvent en diagonales, délimitant des losanges à l’intérieur desquels sont frappés des petits fers. En Espagne, sur les reliures de style mudéjar, les fers sont à décor de tresse. En Allemagne, on incise souvent à la pointe un grand motif, par exemple un animal héraldique, parfois une scène à personnages, recouvrant tout le plat.

Après l’invention de l’imprimerie

Vers 1460-1470, l’imprimerie s’est répandue dans les grandes villes d’Europe. Au manuscrit se substitue le livre imprimé sur papier, plus maniable et moins coûteux. En même temps, le livre cesse d’être la propriété d’une communauté pour devenir celle d’un individu. Dans les bibliothèques des couvents et des collèges, les livres sont encore pourvus d’ais de bois, aux coins munis de cornières de métal et enchaînés sur les rayons. Mais, de plus en plus, les plats des volumes sont constitués de feuillets de papier amalgamés en carton. Certains ouvrages sont même pourvus de reliures souples. La matière la plus employée reste le veau brun ou fauve. Très tôt pourtant, l’Italie et l’Espagne connaissent le maroquin, et l’Allemagne emploie de préférence la peau de truie blanche. Le matériel change. Les relieurs continuent à disposer les fers suivant le parti traditionnel, mais, de plus en plus, à côté des motifs habituels apparaissent des fers héraldiques, marques de propriété d’un grand amateur ou d’une abbaye. Parfois même, ces fers portent le nom d’un relieur. Surtout, devant le nombre croissant des livres, il faut aller plus vite en besogne. Comme on le faisait aux Pays-Bas, peut-être dès le XIIIe siècle, on utilise des plaques gravées représentant un sujet inspiré de l’Ancien ou du Nouveau Testament, ou bien la marque du libraire, et permettant de couvrir d’un seul coup le plat du volume. Si l’ouvrage est de grand format, on dispose côte à côte deux ou quatre plaques. Passé 1530, les reliures de ce type sont beaucoup moins fréquentes, sauf en Allemagne. À côté des plaques, le relieur emploie aussi un disque fixé au bout d’un manche, la roulette. Étroite, sa tranche sert à pousser les filets; un peu plus large, elle peut porter des ornements analogues à ceux des petits fers, et parfois le nom d’un libraire. Parfois aussi, et d’abord en Italie, les ouvrages sont revêtus de couvertures imprimées, décorées au moyen de bois gravés.

La Renaissance et la reliure à décor doré

Le monde musulman aimait les reliures dorées ou laquées de vives couleurs. Dès le XVe siècle, en Italie, surtout à Florence et à Bologne, certaines reliures estampées à froid comportaient, en outre, des petits disques colorés à la main. Un tout autre parti prévaut dans les dernières années du siècle, d’une part à Naples, d’autre part à Venise. Les relieurs imitent les exemples venus d’Orient et pratiquent la dorure. Et tandis que le roi de Hongrie, Mathias Corvin, gendre de Ferdinand Ier d’Aragon, fait ainsi relier sa bibliothèque, la mode gagne l’Italie du Nord. Elle est bientôt imitée en France, puis en Angleterre, aux Pays-Bas, en Suisse et en Allemagne. Les fers copient les modèles italiens et, pour alléger le décor, sont souvent striés de petites raies obliques (fers azurés); leur disposition même rappelle celle des reliures italiennes. Tandis qu’à l’époque précédente ils remplissaient le plat, ils laissent maintenant apparaître largement le cuir et sont disposés avec la plus grande élégance. Nombre de reliures comportent des entrelacs et un décor de cires aux couleurs variées. À partir de 1540, la reliure française produit une suite incomparable de chefs-d’œuvre exécutés par Étienne Roffet, Claude de Picques et différents ateliers anonymes, pour François Ier, Henri II ou pour de grands amateurs comme Jean Grolier, Thomas Mathieu, le connétable de Montmorency et bien d’autres. C’est aussi en France que certains amateurs anglais, comme Thomas Wotton, font relier leurs livres, mais les exemples parisiens sont bientôt imités dans la plupart des pays d’Europe, notamment en Angleterre par Thomas Berthelet. L’Italie connaît pourtant un renouveau d’originalité avec des reliures portant en leur centre un médaillon ovale (Apollon sur son char ) que l’on a cru longtemps exécutées pour Canevari, mais qui, on le sait aujourd’hui, furent commandées par J.-B. Grimaldi, prince de Monaco. En Allemagne, les princes électeurs de Heidelberg se montrent aussi de grands bibliophiles et l’on doit au relieur Krause quantité de chefs-d’œuvre.

Les guerres de religion auraient marqué en France, le déclin de la reliure d’art si, vers 1560, un autre type de décor n’était apparu : celui de la reliure à la fanfare , entièrement décorée de médaillons et de feuillages. Ces reliures devaient être à leur tour imitées à l’étranger. Aux Pays-Bas notamment, Christophe Plantin se souvient visiblement de ses origines françaises.

Les reliures plus simples comportent elles-mêmes au centre et aux angles un fleuron doré. Les reliures décorées à la plaque font appel à la dorure et celles de Geoffroy Tory restent parmi les plus élégantes. D’autres, dont le dessin s’inspire parfois de grands maîtres, utilisent à la fois la dorure et les cires polychromes.

Le classicisme

Les reliures les plus courantes sont faites de veau brun, et seul le dos en est décoré. Plus luxueuses, elles emploient le maroquin, le plus souvent de couleur rouge, parfois olive. En France, jusqu’au début du règne de Louis XIII, la décoration demeure luxuriante. Signe du classicisme, des types plus sobres apparaissent pourtant. Les reliures à semé , entièrement décorées par la répétition d’un ou de deux fers, connaissent une grande vogue; beaucoup sont l’œuvre du relieur du roi, Clovis Eve. Un autre style consiste en un motif central et en des écoinçons en quart de cercle (reliures à l’éventail ). Le décor le plus dépouillé comporte un double encadrement rectangulaire de trois filets dorés avec fleurons d’angle et, au centre, les armes du possesseur (reliures à la Du Seuil ). Passé 1635, ces différents types sont toujours de mode, mais les reliures à la Du Seuil s’enrichissent souvent dans les angles de motifs mosaïqués. En outre, le décor, au lieu d’être réalisé au moyen de petits fers plein or, utilise souvent des fers pointillés , notamment un fer représentant une petite tête vue de profil que l’on trouve sur des reliures à compartiments géométriques dont plusieurs sont signées de Florimond Badier. Nombre de ces reliures ont été exécutées pour le roi, pour Mazarin et le chancelier Séguier, et sont parfois abusivement attribuées à Le Gascon. Sous le règne de Louis XIV, à côté des reliures à semé et des reliures à la Du Seuil, apparaissent deux autres types: l’un comprend un encadrement rectangulaire formé d’une large dentelle (dentelle du Louvre ), l’autre est obtenu par la juxtaposition de compartiments quadrilobés poussés aux petits fers. Un peu partout à l’étranger, on imite ces différents types de décor.

En Angleterre pourtant, après la restauration de Charles II (1660), la reliure connaît une véritable originalité grâce aux relieurs Stephen, Thomas Lewis, Henry Evans, Samuel Mearne et bien d’autres. De nouveaux décors s’inspirent de tapis persans; le plus singulier comporte un grand motif rectangulaire dont le haut et le bas forment un pignon de maison (style cottage ). Certains fers sont des créations anglaises, comme le fer en poignée de tiroir que l’on trouve aussi aux Pays-Bas, mais la plupart imitent les modèles français. L’influence française est particulièrement perceptible aux Pays-Bas, dans les décors au pointillé réalisés à Amsterdam par Albert Magnus.

Le XVIIIe siècle

Comme le XVIe siècle, le XVIIIe siècle est une époque brillante pour les arts graphiques, et, de même que la typographie et l’illustration, la reliure y brille d’un vif éclat. Elle témoigne d’un grand raffinement, et d’abord par le choix des matières employées. À côté du maroquin rouge, les maroquins vert, bleu, citron ont de plus en plus de vogue, et, à côté du veau blond, les veaux écaille, granité, marbré ou raciné. Pour les volumes précieux, les gardes sont souvent faites de tabis rose ou bleu, de papier imprimé d’or et de vives couleurs, ornées de fleurs et de fruits. Les fers sont d’une grande finesse et les reliures mosaïquées se trouvent beaucoup plus souvent qu’à l’époque précédente. En France, on le constate dès le temps de la Régence (1715-1723) sur une série de reliures exécutées pour le Régent lui-même ou des membres de sa famille. Elles s’ornent d’armoiries entourées de feuillages luxuriants et peuvent être attribuées avec certitude à Augustin Du Seuil. D’autres comprennent des compartiments ou des bandes losangées et sont l’œuvre de son cousin Antoine-Michel Padeloup. Les reliures dorées, mais sans mosaïque, sont d’un dessin plus sobre. Les plats, portant souvent au centre des armoiries, sont entourés d’un encadrement rectangulaire de petits fers. Au début du règne de Louis XV, ce décor se diversifie et les petits fers, d’une belle finesse, sont disposés avec une variété infinie dans un encadrement chantourné (reliure à la dentelle ). Parmi les fers employés, un oiseau aux ailes déployées est parfois considéré, bien à tort, comme la signature de Padeloup. Il est pourtant certain que l’on doit à cet artiste nombre de ces dentelles. D’autres sont l’œuvre de Jacques-Antoine Derôme et de Louis Douceur. Preuve aussi de l’amour porté au beau livre, on dore d’un seul coup, à la plaque, les almanachs, dont le décor rappelle celui des dentelles, et les ouvrages de dévotion ornés dans le goût des reliures à compartiments de l’époque précédente, qui continuait lui-même celui des reliures à la fanfare. Nombre de ces plaques peuvent être attribuées à Pierre-Paul Dubuisson. Autrement somptueuses, les reliures mosaïquées de cette époque sont ornées tantôt d’un décor à répétition en forme de pavage comme celles de Padeloup, tantôt de grandes compositions à personnages dans le style des chinoiseries, ou encore d’une fleur remplissant le plat, les unes et les autres œuvres des Monnier.

Sous le règne de Louis XVI, les reliures, notamment celles de Derôme le Jeune, sont ornées de grecques, d’oves, de fers assez maigres, composant des encadrements rectangulaires, et l’anglomanie amène les relieurs français à utiliser le maroquin à grain long. Mais la chute de l’Ancien Régime porte un coup fatal à la reliure; si quantité de volumes courants sont ornés, de façon toute nouvelle, d’emblèmes révolutionnaires, les reliures de luxe restent fort rares.

Au XVIIIe siècle encore, le style français, et d’abord celui des dentelles Louis XV, prévaut à l’étranger, avec moins d’élégance peut-être en Italie et en Allemagne. En Angleterre, à côté de Walther et de quelques autres qui imitent les modèles français, la plupart des ateliers montrent une fois de plus leur originalité dans des reliures ornées d’une large bordure et d’un losange central dans le style harléien ; des œuvres très typiques sont exécutées en Irlande et en Écosse. Dans la seconde moitié du siècle, l’Anglais Roger Payne crée un style très personnel, et ses reliures au dos décoré de toutes petites fleurs autour d’un ombilic central seront imitées en France au début du siècle suivant. Mais, déjà, le style néo-classique apparaît en Angleterre avec des œuvres que l’on peut attribuer à différents relieurs, comme Baumgarten, venus d’Allemagne et employés par les souverains de la maison de Hanovre.

Le XIXe siècle

En France, le goût de l’antique s’impose sous l’Empire, et le style officiel, érigé en système par Fontaine et Percier, marque les reliures de maroquin souvent vert, œuvres des frères Bozérian, Bradel, Courteval. Les conquêtes napoléoniennes amènent les étrangers, et notamment les Italiens, à imiter ce style, mais l’Espagne fait bientôt preuve d’originalité avec des reliures ornées de filets obliques imitant les plis de rideaux. Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, au temps du romantisme, en même temps que s’affirme la mode des charmants cartonnages gaufrés et des reliures d’éditeur, plusieurs types de décors se trouvent concurremment sur les reliures de luxe : encadrements de filets reliés aux angles par des fleurons de style rocaille comme ceux des Simier, père et fils; plaques à la cathédrale (mode venue d’Angleterre avec celle des keepsakes ); encadrements de filets dorés combinés avec des plaques et des écoinçons poussés à froid ou jeux de filets d’une sobriété toute classique comme ceux de Bauzonnet. Cependant, les amateurs collectionnent surtout les livres anciens jetés sur le marché par la Révolution; avec l’imitation du décor à la fanfare, exécutée par Thouvenin pour Nodier (1829), la reliure entre dans la voie du pastiche. Un excellent doreur d’origine allemande, Trautz, l’y maintiendra jusqu’en 1875. Le pastiche prévaut

aussi en Angleterre avec les œuvres de Lewis. Mais, dans les dernières années du XIXe siècle, un renouveau se produit en même temps en Allemagne avec Kersten, en Angleterre avec Cobden-Sanderson, en France avec Marius Michel. Le décor, né du Jugendstil et du modern style, fait souvent appel à la flore. Mais, en France surtout, étant donné le goût des amateurs pour les livres illustrés, il constitue souvent aussi une allusion à l’œuvre littéraire et au style de l’illustration. Bientôt même apparaissent les compositions incisées dans le cuir et peintes.

Les reliures contemporaines

Pour des raisons d’ordre économique, les éditeurs étrangers présentent de plus en plus leurs ouvrages sous des reliures de toile ou des cartonnages, et cette habitude gagne peu à peu la France. C’est au détriment de la reliure artisanale, du moins pour les ouvrages courants. Mais la reliure d’art n’a jamais eu autant d’admirateurs. Les tendances manifestées à la fin du XIXe siècle y prévalent longtemps. Dès 1917, un décorateur, Pierre Legrain, crée un style tout moderne en reliant la bibliothèque de Jacques Doucet. De nouvelles matières, de larges aplats, des compositions abstraites, la place faite à la lettre donnent à ses œuvres une allure très personnelle. Son influence se fait sentir sur bien des artistes, et d’abord sur Rose Adler, pourtant très originale. Par sa forte personnalité, Paul Bonet varie à l’infini ses décors, où la lettre joue souvent aussi un grand rôle. Il crée des reliures tantôt très classiques, comme ses Irradiantes , tantôt surréalistes, et incorpore même des photographies sur les plats. À côté de lui, des artistes de talent comme Creuzevault, Martin, Germaine de Coster, Leroux et bien d’autres ont réalisé une œuvre très personnelle. Un mouvement comparable s’observe avec plus ou moins d’exubérance en Angleterre avec Sybil Pye et George Fisher, en Belgique avec Tchekerul et Micheline de Bellefroid, en Espagne avec Emilio Brugalla, en Italie avec G. Pacchioti, en Allemagne avec Paul Kersten et Otto Dorfen; dans les pays scandinaves avec le Danois Anker Kystel, comme aux États-Unis avec Otto Zahn et Edith Diehl, l’art de la reliure, longtemps demeuré plus strict et architectural, participe aussi de ce renouveau général. Toutefois, de l’avis général, la France occupe encore dans ce domaine la place qu’elle y occupe depuis des siècles: la première.

reliure [ rəljyr ] n. f.
• 1548; de relier
1Action ou art de relier (les feuillets d'un livre). Donner un livre à la reliure. Apprendre la reliure.
2Manière dont un livre est relié; couverture d'un livre relié. Plats, dos, nerfs, coins, gardes d'une reliure. Reliure pleine, entièrement en cuir. Demi-reliure, dont le dos seul est en cuir. Reliure d'amateur ou amateur, à dos et coins ou bande en cuir. Reliure à la Bradel : variété de reliure à dos brisé. Reliure en basane, en chagrin, en veau, en vélin, en parchemin, en maroquin. « J'aime les livres dont la reliure coûte très cher » ( Goncourt).

reliure nom féminin (de relier) Ensemble des opérations qui donnent à un ouvrage sa forme définitive et par lesquelles on l'habille d'une couverture rigide ou souple pour le protéger et le parer ; le secteur des industries graphiques exerçant cette activité. Couverture cartonnée, recouverte de cuir, de toile, etc., dont on habille un livre pour le protéger et le décorer. ● reliure (expressions) nom féminin (de relier) Reliure d'amateur, dans laquelle la gouttière et les marges de pied sont ébarbées, et la tête rognée. Reliure à la grecque, où le dos des feuilles est entaillé pour y introduire les ficelles des cahiers. Reliure à nerfs, dans laquelle les ficelles des cahiers forment de petites saillies sur le dos du livre. Reliure pleine, où le volume entier est recouvert d'une même peau ou toile. Reliure sans couture, dans laquelle les feuillets sont maintenus par la seule application d'une couche de colle à prise rapide. (Elle est utilisée industriellement en grandes séries.)

reliure
n. f.
d1./d Art, métier du relieur.
d2./d Manière dont un livre est relié; couverture rigide d'un livre.

⇒RELIURE, subst. fém.
A. — Action ou art de relier les livres. Reliure artisanale, industrielle; reliure d'art; art de la reliure; apprendre la reliure; donner un livre à la reliure. Votre atelier de reliure arrange tout. Je craignais que vous n'ayez qu'une seule pièce (COCTEAU, Parents, 1938, II, 3, p. 239). Les principales peaux employées en reliure sont: la basane, peau de mouton pleine ou sciée (...). Le chagrin (chèvre d'Espagne, du Maroc, de Madras) (Civilis. écr., 1939, p. 12-3).
BIBLIOTHÉCON. Train de reliure.
B. — P. méton. Couverture d'un livre relié; façon dont un livre est relié. Reliure en maroquin, en veau, en velin; reliure de style; reliure romantique; reliure aux armes (de qqn); reliure de luxe, d'éditeur. Sur la gauche, un peu au-dessus de ses cheveux d'un gris bleuté, je remarquai des livres sur une étagère. Les reliures étaient belles (SARTRE, Nausée, 1938, p. 113):
Elle avait l'intention de laisser le volume comme par distraction, sur le guéridon ovale où il avait déposé les livres qu'il venait d'acheter, avec l'argent de ses étrennes. Attiré par la joliesse de la reliure, nul doute qu'il le prendrait et essayerait de le lire.
DANIEL-ROPS, Mort, 1934, p. 427.
P. métaph. Musette avait ce jour-là une ravissante toilette; jamais reliure plus séductrice n'avait enveloppé le poëme de sa jeunesse et de sa beauté (MURGER, Scènes vie boh., 1851, p. 234).
En partic. Reliure pleine. Reliure où dos et plats sont recouverts d'un même morceau de peau. Aujourd'hui une reliure pleine en maroquin, en chagrin ou en veau est une reliure de luxe (Civilis. écr., 1939, p. 12-3). Demi-reliure. Reliure où seul le dos est recouvert de peau, de toile, etc. Vous m'obligerez beaucoup de presser cette demi-reliure et j'espère que vous ne me ferez pas trop attendre mon Voltaire (BALZAC, Corresp., 1829, p. 386). Reliure à dos brisé. Reliure où la peau qui recouvre le dos ne tient pas aux cahiers. Les saillies qui peuvent apparaître au dos d'un volume ainsi cousu sont de faux nerfs, simples ornements constitués par une ficelle rapportée. Ces reliures sont dites à dos brisé parce que, à l'ouverture, le dos du livre se sépare du dos de la reliure (Civilis. écr., 1939, p. 10-16). Reliure à la Bradel. ,,Reliure dans laquelle on ne touche pas aux marges d'un volume et dont les plats et le dos sont formés de couvertures imprimées`` (ADELINE, Lex. termes art, 1884). Reliure à la fanfare. V. fanfare II. Reliure janséniste. V. janséniste B 2 b.
P. anal. Reliure mobile ou amovible. Couverture munie d'un système à pinces ou à anneaux permettant le classement des documents ou la conservation des brochures. Son catalogue collectif, monté en reliures amovibles, compte 312 000 fiches représentant les fonds de 32 bibliothèques (Civilis. écr., 1939, p. 46-13).
P. méton. Volume relié. Lui s'était levé, était allé à sa bibliothèque, et prenant dans un rayon une merveilleuse reliure en peau de truie, feuilletait une minute (LORRAIN, Sens. et souv., 1895, p. 223).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694, 1718: relieure; 1740, 1762: reliûre; dep. 1798: reliure. Étymol. et Hist. 1. 1548 relieure « couverture d'un livre relié » (RABELAIS, Quart livre, Anc. prol., éd. R. Marichal, p. 287, 21); 2. 1549 « action de relier les livres » (EST., s.v. relier). Dér. de relier (un livre); suff. -ure. Fréq. abs. littér.:210. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 124, b) 301; XXe s.: a) 367, b) 404.

reliure [ʀəljyʀ] n. f.
ÉTYM. 1548, relieure, Rabelais; de relier.
1 Action ou art de relier (les feuillets d'un livre). Relier, I., B. || Donner un livre à la reliure. || Reliure artisanale et reliure industrielle. Assembler, brocher, cambrer, compasser, ébarber, emboîter, encarter, endosser, glairer, jasper, lavure, marbrer, nerver, onglet, rogner, tranche, tranchefile. || Reliure d'art. || Apprendre la reliure. || Atelier-école de reliure. || Histoire de la reliure.
1 Il brandit le bouquin avec un rire amer (…) il me cria : « Allez donc (…) Ça m'connaît, moi, la r'liure ». Et maniant, retournant, ouvrant et fermant le volume, voilà cet ivrogne (…) qui entame toute une démonstration savante (…) On eût dit que le contact du livre avait changé cette chose humaine errante en Docteur de la Reliure.
Valéry, Regards sur le monde actuel, p. 270.
2 (1680). Manière dont un livre est relié; couverture d'un livre relié. Enveloppe. REM. Techniquement, reliure désigne les ouvrages en cuir, cartonnage et entoilage ceux qui sont en carton et en toile; dans la langue courante, reliure inclut les entoilages, etc. — Plats, dos, nerfs, coins, gardes d'une reliure. || Reliure pleine, entièrement en cuir. || Demi-reliure, dont le dos seul est en cuir (et parfois aussi les coins). || Reliure à dos plein ou fixe (où la peau qui recouvre le dos tient aux cahiers), à dos brisé (où la peau ne tient pas aux cahiers, et où le dos n'adhère pas au volume). || Reliure à la Bradel : variété de reliure à dos brisé. || Reliure en basane, en chagrin, en veau, en vélin, en parchemin, en maroquin. || Reliure janséniste, ornée. || Reliure à la cathédrale. Dentelle, fer, filet, listel, plaque, roulette. || Reliure mosaïquée, dont le décor est fait d'une mosaïque de peaux de diverses couleurs. || Reliure originale : reliure dont le décor a été dessiné par un artiste et dont l'exécution est réalisée par lui-même ou sous sa direction. || Reliure manuelle, industrielle. || Reliures anciennes d'orfèvrerie, d'ivoire, d'étoffes précieuses. || Reliures monastiques sur ais de bois. || Reliures des Aldes. || Reliure de luxe des premiers bibliophiles (Grolier, Maïoli). || Reliures à la fanfare. || Reliures du XVIIe siècle (Le Gascon), du XVIIIe siècle (Padeloup)…, à dentelle, aux armes… || Reliures romantiques (Thouvenin, Simier…), à la cathédrale… || Reliures de Trautz-Bauzonnet, Marius-Michel, Legrain, Paul Bonet… || Reliure de l'époque (→ Hollande, cit. 2), reliure de style (→ Placard, cit. 4). || Reliures d'éditeur.
2 (…) d'irréprochables reliures en soie antique, en peau de bœuf estampée, en peau de bouc du Cap, des reliures pleines, à compartiments et à mosaïques, doublées de tabis ou de moire, ecclésiastiquement ornées de fermoirs et de coins, parfois même émaillées (…) d'argent oxydé et d'émaux lucides.
Huysmans, À rebours, XII.
3 Beaucoup de bibliophiles aiment les livres dans de médiocres reliures (…) J'aime les livres dont la reliure coûte très cher. Les belles choses ne sont belles pour moi qu'à la condition d'être bien habillées.
Ed. et J. de Goncourt, Journal, 9 févr. 1872, t. V, p. 18.
Par ext. Volume relié (→ 1. Garde, cit. 21; planchette, cit.).

Encyclopédie Universelle. 2012.