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QUIÉTISME
QUIÉTISME

Le quiétisme est une forme de la mystique chrétienne, tendant à l’hétérodoxie, qui a été condamnée en 1687 par une constitution du pape Innocent XI (erreurs de Molinos) et en 1699 par un bref d’Innocent XII (erreurs relatives à l’amour pur de Dieu, à propos d’un livre de Fénelon). L’étymologie du mot évoque le complet repos, ou quiétude (latin quies ), dans lequel se trouverait l’âme plongée en Dieu et transformée en Lui, et la totale passivité où elle devrait se maintenir pour laisser agir Dieu en elle; les conséquences implicites de cette théorie seraient la mésestime pour l’Église hiérarchique, la suppression de toute forme intellectuelle et de tout objet distinct dans la contemplation, le refus de tout désir pour soi et de tout acte (prière, remerciement, résistance à la tentation) et l’abandon au péché: le péché sans consentement ne troublerait pas la parfaite union avec Dieu.

Ces thèses ne sont ainsi formulées que dans les documents hostiles aux quiétistes; et ces derniers se sont défendus de les avoir soutenues sans nuances. Comme, par ailleurs, les mystiques orthodoxes ont souvent encouru les mêmes accusations, on ne peut parler d’hérésie déterminée, mais de tendances hérétiques qui apparurent et furent condamnées à diverses reprises, mais qui cristallisèrent à la fin du XVIIe siècle, principalement en Italie et en France, une longue tradition d’antimysticisme.

Les origines

Depuis le Moyen Âge, des groupes mystiques ont été critiqués et condamnés pour des erreurs qui seront attribuées plus tard aux quiétistes: il n’y a sans doute pas d’influence directe entre les hérétiques dualistes, les messaliens du IVe siècle et les bogomiles du Xe, les frères du Libre Esprit et les béghards du XIIIe siècle, les alumbrados (illuminés) espagnols du XVIe et les quiétistes du XVIIe; mais en certaines circonstances la mystique, tendance latente de toute spiritualité, semble susciter des courants illuministes que la hiérarchie ecclésiastique condamne en des formules largement stéréotypées qui ne permettent pas d’atteindre la spécificité de chaque groupe: ainsi, les canons du Concile de Vienne (1311) contre les béghards, la bulle condamnant Eckhart (1329), et l’édit de 1525 contre les alumbrados «annoncent» les actes de la condamnation des quiétistes de 1687; si cela ne suffit pas pour ne voir dans ces mouvements que l’expression idéologique d’un refus des institutions ecclésiastiques, et dans leur condamnation répétée que l’impossibilité d’intégrer la mystique dans une organisation sociale, il n’est pas douteux que la récurrence des situations et des thèses exprime les problèmes jamais résolus des rapports de la foi, comme expérience mystique ou prophétisme, avec l’institution.

Le quiétisme est l’aboutissement du renouveau mystique du XVIe siècle: le développement du Carmel espagnol, l’essor de la spiritualité française au XVIIe siècle, avec la redécouverte du Pseudo-Denys et des mystiques rhéno-flamands, mettent l’expérience intérieure du divin, sans images ni réflexion, au sommet de la vie spirituelle, au risque d’amener certains à considérer l’humanité du Christ comme un intermédiaire à dépasser dans la contemplation, pour s’attacher à la seule essence divine et s’y laisser anéantir. À côté des grands mystiques comme Mme Acarie ou Benoît de Canfeld, de nombreux auteurs spirituels vulgarisent l’oraison mentale, de quiétude ou de simple présence de Dieu, considérée comme la seule voie conduisant à l’union avec Lui, en dehors même de la médiation de l’Église.

Ces faits redonnèrent vigueur à l’antimysticisme: témoin la nouvelle condamnation des alumbrados en 1623 par l’Inquisition espagnole; et plusieurs affaires en différentes régions de France témoignent, au cours du XVIIe siècle, de la persistance d’un antimysticisme presque obsessionnel qui répète sans fin les anathèmes traditionnels.

Avant la condamnation de 1687

Le quiétisme proprement dit apparut en Italie dans les années 1670-1680, préparé dans la péninsule par une littérature mystique où sont prônés l’annihilation, le sommeil mystique et l’indifférence complète; des groupes de «parfaits», tels ceux qui se réunissaient en Lombardie et qui furent condamnés en 1657 ou les membres de l’entourage des frères Leoni, laissent deviner en quels milieux ces tendances se répandaient. L’œuvre importante du cardinal Petrucci, les opuscules de V. A. Ripa, évêque de Verceil, développaient en ces années une spiritualité nettement orientée vers la mystique. Mais ces tendances ne se limitaient pas à l’Italie: l’œuvre de l’Espagnol Falconi, celle du Français Malaval, de Marseille, et surtout celle de l’Espagnol Miguel Molinos (1628-1696), qui est venu résider à Rome en 1663, en montrent le caractère international: la Guía espiritual de Molinos, publiée en 1675, fut rapidement traduite en six langues; l’ouvrage, moins original que le bruit soulevé autour de l’auteur ne le ferait croire, constitue l’aboutissement de la tradition mystique du siècle par son exaltation de la contemplation au-dessus de la méditation, de l’abandon total à Dieu et au directeur spirituel et de l’anéantissement de soi.

Une vive opposition se développa à Rome et en Italie: à cette occasion, en 1682, la dénomination de «quiétistes» fut employée pour la première fois par le cardinal Caracciolo, archevêque de Naples, dénonçant ceux qui vantaient exclusivement l’oraison de pure foi et de repos. Le procès de Molinos aboutit en 1687 à la condamnation de soixante-huit propositions par la constitution Coelestis pastor , et montra l’importance des motifs de discipline et de politique ecclésiastiques à côté des motifs théologiques: si tout n’est pas clair dans cette condamnation, elle n’en marque pas moins le début d’un reflux, d’autant plus que la mystique, en tant qu’expérience du divin, est tributaire d’un support social et de représentations intellectuelles qui ont profondément changé au cours du siècle.

Il est significatif que des piétistes allemands comme A. H. Francke aient admiré Molinos et aient rencontré dans l’Église luthérienne une opposition aussi vive que celle dont les quiétistes étaient l’objet au sein de l’Église romaine.

Mme Guyon et Fénelon

L’expérience de Mme Guyon (1648-1717) est profondément marquée par la tradition mystique: par l’intermédiaire des milieux de Verceil et de Turin, et en vertu de l’influence qu’exerça sur elle la lecture assidue des mystiques, son œuvre se situe dans la ligne de multiples courants; le Moyen court et très facile de faire l’oraison (1685) et ses abondants écrits rédigés dans la spontanéité de l’inspiration en portent la marque. Les voyages pendant lesquels elle se livra, accompagnée du père La Combe, à un actif apostolat mystique, attirèrent l’attention sur elle de façon inquiétante: l’archevêque de Paris la fit emprisonner en 1687, mais les amis qu’elle s’était faits obtinrent sa liberté; un petit cercle à la Cour était attentif à ses leçons, et parmi ces disciples se trouvait Fénelon. Ce dernier, dont la sécheresse intérieure était grande, constata avec admiration l’expérience de l’union à Dieu en cette femme, et était prêt à lui demander conseil; ce fut le début d’une longue et riche correspondance.

Mais l’influence de Mme Guyon et de Fénelon dans la maison royale de Saint-Cyr suscita la méfiance de Mme de Maintenon; pour défendre Mme Guyon, il fut fait appel en 1693 à l’arbitrage de Bossuet ; l’évêque de Meaux était assez favorable à Fénelon, mais sa formation intellectuelle et théologique, sa sensibilité aussi le rendaient peu capable de comprendre vraiment la mystique; cela explique les graves équivoques qui caractérisent sa lecture des textes de Mme Guyon et ses jugements sur les mystiques. Pour éclaircir les choses, Mme de Maintenon accepta l’idée d’entretiens entre Bossuet, Noailles, évêque de Châlons, Tronson et Fénelon: les articles rédigés à Issy à la fin de ces conférences (1694) ne donnèrent cependant pas de la mystique une définition acceptable par tous sans réticences; aussi, peu après, Bossuet et Fénelon, chacun de son côté, se jugèrent dans la nécessité d’élaborer une interprétation: l’Explication des maximes des saints (1697) de Fénelon analyse méthodiquement les états d’amour de Dieu distingués selon leur degré de désintéressement jusqu’au «pur amour»; l’Instruction sur les états d’oraison de Bossuet, publiée peu après, est moins un traité qu’une réfutation des mystiques où l’on retrouve les arguments de l’antimysticisme repensés par Bossuet dans le sens d’un net intellectualisme.

Fénelon en appela à Rome; d’où le double théâtre de la querelle; à Paris, Bossuet et Fénelon publièrent de nombreux ouvrages théologiques et la polémique devint très personnelle avec la violente Relation sur le quiétisme de l’évêque de Meaux; à Rome, les intrigues du neveu de Bossuet et les pressions politiques ne furent pas étrangères à la condamnation de Fénelon: la division des examinateurs montrait en effet la complexité des problèmes théologiques et la difficulté qu’il y avait à distinguer le quiétisme et la mystique orthodoxe. Par le bref Cum alias (1699), Innocent XII condamnait, sans les qualifier d’hérétiques, vingt-trois propositions tirées des Maximes des saints : c’était la fin du quiétisme.

L’antiquiétisme devint alors l’argument de ceux qui s’opposaient à la mystique; le courant mystique fut, au moins dans l’Église catholique, tari ou contraint de mener une vie souterraine. Dans les pays protestants, au sein des milieux piétistes ou illuministes, l’influence de Mme Guyon et de Fénelon resta importante et cette tradition quiétiste fut une des voies par lesquelles se prépara, en marge des Églises, le renouveau mystique de la fin du XVIIIe siècle: le méthodisme de Wesley y puisera une part de son inspiration.

quiétisme [ kjetism ] n. m.
• v. 1671; lat. ecclés. quietismus (1682), de quies, quietis « repos, quiétude »
Hist. relig. Doctrine mystique qui faisait consister la perfection chrétienne dans un état continuel de quiétude et d'union avec Dieu, où l'âme devient indifférente aux œuvres et même à son propre salut. La querelle du quiétisme, à la fin du XVII e siècle.

quiétisme nom masculin (latin quietus, paisible) Doctrine religieuse du XVIIe s., élaborée par le théologien espagnol Miguel de Molinos, rendue célèbre en France par les traités spirituels de Mme Guyon et un ouvrage de Fénelon, et qui, affirmant la présence continuelle de Dieu à l'âme, prônait un abandon total à l'effusion divine. ● quiétisme (synonymes) nom masculin (latin quietus, paisible) Doctrine religieuse du XVII e siècle , élaborée par le théologien...
Synonymes :
- molinosisme

quiétisme
n. m. RELIG Doctrine mystique du théologien espagnol Miguel de Molinos (1628 - 1696), selon laquelle la perfection chrÉtienne consiste dans un état de contemplation passive (quiétude).

⇒QUIÉTISME, subst. masc.
A. — HIST. RELIG. Doctrine mystique inspirée des œuvres de l'Espagnol Molinos, répandue en France à la fin du XVIIe s., suivant laquelle la perfection chrétienne réside dans la quiétude, c'est-à-dire l'« amour pur » et la contemplation de Dieu, en l'absence de toute activité propre de l'âme. Synon. molinosisme. [Nicole] avait pris la plume dans sa dernière année contre le quiétisme; Fénelon n'y figurait pas encore par ses écrits, mais seulement le père La Combe et Madame Guyon (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 394). C'est (...) l'erreur même du quiétisme de prétendre entrer par notre propre industrie dans une passivité que Dieu seul peut donner (MARITAIN, Primauté spirit., 1927, p. 169).
P. anal. Tendance mystique rappelant cette doctrine par certains aspects (notamment la contemplation passive, le désintéressement vis-à-vis du salut personnel). Un fait digne de remarque, et qui prouve que la doctrine du quiétisme n'est pas uniquement chrétienne, et qu'avant tout elle se rattache à une origine orientale, c'est qu'elle est presque inconnue, du moins avec son caractère exclusif, aux premiers siècles de l'Église, tandis que dès le troisième, elle s'exprime de la manière la plus précise dans l'école d'Alexandrie (FRANCK 1875). Je ne puis ni espérer reconnaître après coup ce que voulait Dieu, ni — ce qui revient d'ailleurs au même — affirmer massivement que tout ce qui arrive est voulu par lui. Un autre problème surgit d'ailleurs ici, celui du quiétisme: Comment ne serais-je pas tenté de m'abandonner purement et simplement à la volonté divine? (G. MARCEL, Journal, 1920, p. 259):
1. La disposition où veut nous mettre Condren « n'est pas un état de paresse et de nonchalance, comme quelques-uns se le sont imaginé, disait déjà le P. Amelote, c'est un recueil des principales vertus chrétiennes »; non pas seulement des principales, mais de toutes. Rien de plus inintelligent que de les soupçonner de quiétisme, ou de je ne sais quel dilettantisme religieux.
BREMOND, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 388.
P. méton. Repos de l'âme dans la contemplation; quiétude. Je doute que le tableau du paradis, qui est vis-à-vis celui de l'enfer, produise sur eux [des Indiens] un aussi bon effet: le quiétisme qu'il représente, et cette douce satisfaction des élus qui environnent le trône de l'Être suprême, sont des idées trop sublimes pour des hommes grossiers (Voy. La Pérouse, t. 2, 1797, p. 262). Quitter la solitude pour la foule, les chemins verts et déserts pour les rues encombrées et criardes où circule pour toute brise un courant d'haleine humaine chaude et empestée; passer du quiétisme à la vie turbulente, et des vagues mystères de la nature à l'âpre réalité sociale, a toujours été pour moi un échange terrible, un retour vers le mal et le malheur (M. DE GUÉRIN, Journal, 1834, p. 214).
B. — P. anal. Attitude ou état d'indifférence, de passivité, d'inaction. Il y demeure [à l'Ermitage] par paresse aussi, par cette sorte de quiétisme profond qu'il y a en lui. Le quiétisme est une langueur et une frénésie tout ensemble, mais détruit dans l'être le sens de la responsabilité (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1950, p. 217):
2. Avec cette métaphysique trop élevée, tu peux être à droite et à gauche, agir ou ne pas agir à volonté: c'est du quiétisme politique. Or le temps n'est pas au quiétisme, et la destinée humaine et sociale de chaque individu travaillant en ce bas monde à son bien et à celui de l'ensemble ne comporte pas devant Dieu le quiétisme. Les événements n'étant jamais neutres, l'homme n'a jamais le droit de l'être lui-même.
LAMART., Corresp., 1832, p. 258.
Prononc. et Orth.:[], [-]. V. quiet. Ac. 1718, 1740: quietisme; dep. 1762: quié-. Étymol. et Hist. 1688 (Nouv. de la république des lettres, t. 1, p. 217). Dér. sav. du lat. quietus, ou dér. de quiet; suff. -isme. Fréq. abs. littér.:84. Bbg. QUEM. DDL t. 18.

quiétisme [kjetism; kɥijetism] n. m.
ÉTYM. V. 1671; en polit., « attentisme », 1798; lat. ecclés. quietismus, 1682; dér. sav. du lat. quietus. → Quiet.
Hist. des relig., théol. Doctrine qui faisait consister la perfection chrétienne dans un état continuel d'union avec Dieu, où l'âme devient indifférente aux œuvres et même à son propre salut. Passivité; quiet. || L'hérésie (cit. 5) de quiétisme. || Le prêtre espagnol Molinos ( Molinosisme) et Mme Guyon furent les initiateurs du quiétisme, doctrine en partie adoptée par Fénelon, puis abandonnée par lui. || La querelle, l'affaire du quiétisme (→ Couleur, cit. 16).
0 Le quiétisme est l'hypocrisie de l'homme pervers, et la vraie religion de la femme tendre.
Diderot, Sur les femmes, Pl., p. 983.

Encyclopédie Universelle. 2012.