PSYCHOLOGIE SOCIALE
La psychologie sociale a été définie de plusieurs façons: comme l’étude de l’interaction sociale, ou du comportement de l’individu dans la société, ou encore de l’individu dans les situations sociales. On la définira ici comme l’étude scientifique des activités de l’individu en tant qu’il est influencé par d’autres individus ou par la société. La pertinence du mot «scientifique» pourrait être mise en question par certains, mais la psychologie sociale a gagné une place parmi les disciplines relevant des sciences sociales, son but étant scientifique, et sa méthodologie le devenant de plus en plus. En mettant l’accent à la fois sur l’individu et sur la société, la psychologie sociale se trouve en contact direct et étroit avec la psychologie générale d’un côté, et de l’autre avec la sociologie et l’ethnologie (ou l’anthropologie culturelle). L’influence des facteurs sociaux sur le comportement humain est maintenant si généralement reconnue qu’on a même suggéré que toute psychologie était psychologie sociale. Les situations analysées par les sociologues, tels la stratification sociale, la criminologie, les conflits entre groupes ethniques, touchent aussi bien l’individu que la société. La culture, domaine de l’ethnologie, a une influence sur la personnalité individuelle, mais la causalité inverse est également vraie. Il y aura toujours des chevauchements; néanmoins, ce qui caractérise la psychologie sociale est l’obligation dans laquelle elle se trouve de s’occuper, d’une façon constante, simultanée et interdépendante, et de l’individu et de la société liés en une étroite interaction. De ce point de vue, la psychologie sociale est interdisciplinaire.
Aperçu historique
Les caractéristiques de la psychologie sociale font que le développement de cette discipline représente une convergence des contributions venant de plusieurs directions différentes. Des philosophes tels que Hobbes en Angleterre et Rousseau en France se sont penchés sur la question de la nature humaine et des relations entre l’homme et la société. Darwin et ses disciples ont mis l’accent sur la continuité entre les comportements humain et animal, et ont préparé la voie qui conduisit à l’introduction du concept d’instinct, lequel a joué un très grand rôle en psychologie sociale. Les grands sociologues: Comte, Durkheim, Tarde en France, G. H. Mead aux États-Unis, furent parmi les premiers à soulever des problèmes d’interaction sociale, qui continuent à préoccuper les chercheurs d’aujourd’hui. En ethnologie, Boas, Sapir, Benedict, Linton et Margaret Mead, entre autres, aux États-Unis, Malinowski en Angleterre ont montré par leurs recherches à quel point la culture influe sur le comportement humain. Le Bon a attiré l’attention sur la psychologie des foules. En psychologie, Lewin a fondé la dynamique des groupes, Moreno la sociométrie, l’Allemand W. Moede et le Français Alfred Binet ont posé les bases d’une psychologie sociale expérimentale. Les deux premiers livres intitulés Psychologie sociale ont été publiés en 1908, l’un par un psychologue britannique, W. McDougall, l’autre par un sociologue américain, E. A. Ross. Dans certaines universités, la psychologie sociale est assimilée à la psychologie, dans d’autres à la sociologie, et dans d’autres encore elle est référée à ces deux disciplines.
Quoique les contributions à la psychologie sociale soient venues et continuent à venir de plusieurs pays, c’est sans aucun doute aux États-Unis qu’elle a trouvé son plus grand épanouissement. On a proposé deux explications principales de ce phénomène: d’abord, le fait que les États-Unis se trouvent affrontés à certains problèmes (comme les conflits ethniques, le crime) d’une manière plus aiguë que la plupart des autres pays; en second lieu, l’optimisme caractéristique (ou réputé) des Américains, qui les a poussés vers la recherche de solutions et, pour cela, vers les sciences sociales, tout particulièrement vers la psychologie sociale, où ils semblaient trouver un outil pour une meilleure compréhension de la nature de ces problèmes. Les années 1960 ont été marquées, néanmoins, par un développement accentué des recherches et de l’enseignement de la psychologie sociale en France et dans d’autres pays.
Dans l’histoire de cette discipline, trois tendances importantes se dégagent. D’une part, elle est devenue de plus en plus comparative, en s’intéressant aux variations du comportement humain en fonction de la société et de la culture (depuis 1966, l’Union internationale de psychologie scientifique publie à Paris le Journal international de psychologie , presque entièrement consacré à ce domaine). En deuxième lieu, la psychologie sociale est toujours plus expérimentale, objective, quantitative. Enfin, elle a pris le caractère d’une science appliquée, qui s’oriente vers la solution des problèmes de relations humaines.
Culture et comportement
Après la parution du livre de McDougall sur la psychologie sociale, en 1908, on a noté une tendance à expliquer le comportement social humain en faisant appel aux facteurs biologiques, notamment aux instincts. D’autres psychologues ont dressé leurs propres listes d’instincts, plus ou moins semblables les unes aux autres. Ce point de vue a été critiqué, d’un côté, par les béhavioristes, qui ont mis l’accent sur l’importance du conditionnement, et, de l’autre, par les ethnologues, qui ont démontré l’influence de la culture sur le comportement humain. Aussi le concept d’instinct a-t-il disparu de la psychologie, et tout particulièrement de la psychologie sociale, excepté toutefois chez les psychanalystes, qui continuent à parler des instincts, ainsi que chez les éthologistes, qui, par leurs observations sur le comportement des animaux dans des situations «naturelles», ont été conduits à chercher l’explication de la conduite humaine dans les origines biologiques (Lorenz, 1967). Il existe cependant une différence énorme entre l’homme et tous les autres animaux, l’humanité étant la seule espèce dont le comportement soit à ce point influencé par son appartenance culturelle.
Les variations culturelles touchent tous les aspects du comportement humain. Résumant les données concernant le «relativisme culturel» dans la nature humaine, l’ethnologue C. Kluckhohn (1954) part du comportement biologique interne et indique à quel point non seulement l’appétit, mais aussi les rythmes d’alimentation et de digestion subissent un contrôle culturel. Le comportement sexuel varie énormément; l’homosexualité, par exemple, est acceptée dans certaines sociétés, inconnue dans d’autres. Il existe des variations dans les habitudes motrices, les gestes, les façons de marcher ou de s’asseoir, dans la perception des couleurs, dans le fonctionnement de la mémoire, l’expression des émotions, dans l’éducation des enfants, dans le contenu et la structure des rêves, dans la psychopathologie. Ces variations sont connues non seulement grâce aux observations ethnologiques, mais aussi grâce aux enquêtes psychologiques comparatives, dont l’étendue et la diversité sont en croissance toujours plus rapide. Cela ne veut pas dire que les facteurs biologiques ne comptent pour rien. Les ethnologues eux-mêmes, tout en soulignant l’importance du relativisme culturel, ont souvent parlé de «l’unité psychique de l’humanité». Pour montrer à quel point le biologique et le social sont imbriqués, un psychologue canadien (Hebb, 1949) affirme que le comportement est dû pour 100 p. 100 au milieu et pour 100 p. 100 à l’hérédité. D’autres psychologues ont parlé de l’homme comme d’un être «biosocial» (Murphy, 1947): c’est la position la plus raisonnable qu’on puisse adopter à cet égard.
Parmi les composantes de la culture, il convient de retenir tout particulièrement le rôle du langage, souvent considéré comme le facteur le plus distinctif du comportement humain. Le problème de la nature du langage et de la communication en général a préoccupé les philosophes depuis longtemps, et dépasse de loin les limites de la psychologie sociale, mais les temps récents ont vu un très grand développement des recherches en ce domaine. La question centrale à laquelle on a tenté de répondre est celle du degré d’influence qu’exerce le langage sur la façon de percevoir et de penser d’un peuple. On a suggéré que la même évidence physique peut amener deux observateurs à la même perception de l’univers seulement s’ils ont de semblables cadres de référence linguistiques; les façons de voir et de penser seraient donc imposées aux individus par les habitudes linguistiques de leur communauté propre. Même au sein d’une seule société, on a remarqué des différences entre les classes sociales à cet égard. Il se peut que le déterminisme linguistique ait été un peu exagéré, et qu’on doive plutôt mettre l’accent sur les aspects universels et même innés du langage humain (cf. Chomsky, 1968), mais les recherches sur ce problème et sur des problèmes annexes – comme le bilinguisme – se poursuivent néanmoins avec une intensité justifiée. C’est ainsi qu’une nouvelle discipline est apparue, la psycho-linguistique (S. Saporta, 1961; R. W. Brown, 1965; J. Stoetzel, 1963).
Par un autre aspect encore, la psychologie sociale s’établit en étroite relation avec le problème de la culture et du comportement: le domaine de la psychologie différentielle. Quand les tests d’intelligence ont été élaborés, notamment par Binet, beaucoup de psychologues imaginaient avoir obtenu un outil permettant la découverte de différences (ou de ressemblances) génétiques entre diverses populations. Aussi a-t-on utilisé ces tests pour comparer les couches sociales dans la même communauté, les groupes ethniques (ou races), les hommes et les femmes. Peu à peu, il est devenu évident qu’on ne pouvait pas séparer les facteurs génétiques des facteurs culturels aussi longtemps que les différents sous-groupes n’avaient pas eu la même possibilité d’apprendre (problème qui avait été reconnu et souligné par Binet lui-même). Cet apprentissage passe non seulement par l’école, mais aussi par l’influence des parents, par le langage, la motivation, les relations interpersonnelles en général. La position de la majorité des psychologues sociaux d’aujourd’hui serait la suivante: quand les tests sont appliqués aux individus (ou aux familles) d’une même classe sociale appartenant à la même société, et donnant à tous les mêmes possibilités d’apprendre, les différences obtenues permettent, avec une très haute probabilité, de conclure à des différences génétiques; il faut, par contre, rester très sceptique face aux résultats de tests qui prétendent différencier classes sociales, groupes ethniques ou sexes. Il importe de souligner que l’existence de telles différences psychologiques innées n’a jamais été démontrée d’une façon rigoureuse, en dépit des allégations contraires de quelques rares psychologues. Les tests servent désormais à évaluer des différences culturelles plutôt que des différences génétiques (A. Anastasi et J. P. Foley, 1970; O. Klineberg, 1967, 1971).
Il faut enfin mentionner, parmi les aspects culturels du comportement, l’importance du rôle et du statut. Même dans les sociétés relativement simples et traditionnelles, il existe des différences individuelles; le comportement d’une personne ne peut jamais être l’expression de la culture tout entière. L’ethnologue R. Linton (1959) a proposé de mettre un certain ordre dans ces variations: la place qu’un individu donné occupe dans un système particulier, à un moment donné, est ce qu’on appellera son statut; le rôle sera l’aspect dynamique du statut, ce que l’individu doit faire pour confirmer son droit à son statut. Ainsi, le statut du médecin implique un rôle – et peut-être aussi une «personnalité» – très différent de celui d’un politicien. Le psychologue ajouterait que cela n’explique pas tout, car il y a aussi des différences entre le comportement de deux médecins. Néanmoins, le concept du rôle a stimulé beaucoup de recherches en psychologie sociale (A.-M. Rocheblave-Spenlé, 1962).
La psychologie sociale expérimentale
Le Traité de psychologie expérimentale publié sous la direction de P. Fraisse et J. Piaget (1963-1964) consacre un volume entier (t. IX) à la psychologie sociale expérimentale; d’autres expériences du même genre sont également relatées dans les volumes précédents. L’expérimentation en cette matière a une longue histoire, si l’on tient compte des études de Binet sur la suggestibilité, de Moede sur la rivalité et la compétition, de F. H. Allport sur la facilitation sociale. Mais c’est surtout du développement de la dynamique des groupes par Lewin et ses collègues que cette tendance a reçu son impulsion capitale.
La dynamique des groupes est fondée sur la conviction qu’il est possible d’établir des lois du comportement du groupe et de la relation entre le groupe et les individus qui le composent. Dans ce dessein, on a étudié comment un groupe arrive à une décision et dans quelles conditions les individus suivront la décision prise. Les chercheurs ont également porté leur attention sur la productivité du groupe, l’interaction entre ses membres, la cohésion, la communication, la locomotion vers un but, la perception sociale, le rôle de l’autorité et le commandement (leadership ). À propos de ce dernier point, les recherches indiquent qu’il faut tenir compte non seulement des caractéristiques et de la compétence du leader, mais aussi de celles du groupe qu’il mène, de la situation dans laquelle il est appelé à le mener, et de l’interaction entre ces différents facteurs. Certaines de ces expériences ont démontré la supériorité du leader démocratique sur le leader autoritaire. Lewin lui-même était passionnément convaincu de l’importance de l’application des méthodes démocratiques à la solution des problèmes aigus de notre société (J. Maisonneuve, 1968; Lewin, 1959).
Dans le domaine de l’expérimentation, un deuxième développement, très lié au premier, se trouve représenté par Moreno (1954) et par la sociométrie. Une des techniques principales de cette discipline, le test sociométrique, a été définie comme un instrument servant à mesurer le degré d’organisation dont témoigne un groupe social; l’accent est mis sur l’importance du choix: choix d’un partenaire, d’un ami, d’un leader. Cette méthode permet d’étudier et d’évaluer les relations afin de les rendre plus harmonieuses. Moreno a utilisé aussi les techniques du psychodrame et du sociodrame; le premier met l’accent sur l’individu, le second sur l’aspect social ou collectif, mais tous les deux consistent en un jeu dramatique qui permet une libre expression des pensées ou des émotions, en vue de provoquer une catharsis . Moreno parle aussi de prise de rôle (role taking ): assumer un rôle, en psychodrame, par exemple, et de jeu de rôle (role playing ): jouer un rôle par choix, dans le dessein d’explorer, d’expérimenter, ou d’entraîner un changement (A. Angelin-Schützenberger, 1971). Parfois, dans une situation de conflit, on peut inverser les rôles, chacun des protagonistes étant amené à jouer le rôle de l’autre; une meilleure compréhension de la position de l’autre pourrait ainsi aboutir à un rapprochement qui facilite la solution du conflit.
Parmi les problèmes qui ont été abordés par la méthode expérimentale, on pourrait citer l’influence du groupe sur le jugement ou la perception de l’individu, et la tendance vers le conformisme, la perception ou la connaissance des autres, l’empathie, la communication, l’interrelation entre la situation sociale et les réactions physiologiques, l’influence sur le comportement des attentes des autres, la «prédiction créatrice», le rôle de l’apprentissage dans le développement des normes sociales.
La recherche portant sur les attitudes et opinions, laquelle représente une des préoccupations majeures de la psychologie sociale, n’est pas habituellement considérée comme relevant de l’expérimentation; le sondage d’opinion publique, qui en est l’exemple le plus connu, est une méthode de diagnose plutôt qu’une manipulation expérimentale. Il représente toutefois une approche quantitative, qui est aussi objective que possible, surtout dans le choix d’un échantillon vraiment représentatif de la population (Stoetzel, 1963). Les psychologues sociaux ne se sont généralement pas contentés des sondages, qui sont le plus souvent limités à une ou deux questions, mais ont développé des questionnaires, des échelles d’attitudes ou des interviews en profondeur (constituant une approche plutôt clinique) en vue de mieux comprendre la nature d’une attitude donnée. Ils se sont orientés aussi dans le sens d’une méthodologie expérimentale proprement dite, pour éclaircir le processus de modification des attitudes et opinions, et même du comportement.
Un des exemples les plus frappants de ces recherches est représenté par les études sur la manière dont la perception des scènes de violence transmises par les moyens de communication de masse, surtout la télévision et le cinéma, influe sur les attitudes agressives de l’observateur. En général, les résultats indiquent que la perception de la violence engendre la violence, mais des recherches se poursuivent en vue de préciser la nature de cette relation. Dans le domaine des relations entre groupes ethniques, les expériences se sont orientées dans le sens de la possibilité de modifier les attitudes par l’information, par le contact ou par une connaissance approfondie de l’origine des préjugés dans la personnalité de l’individu. D’autres expériences ont porté sur l’influence de la propagande et sur la façon d’immuniser l’individu contre cette influence. De telles recherches autorisent à prédire sans hésitation que la psychologie sociale expérimentale connaîtra une grande extension (G. Lindzey et E. Aronson, 1970; R. Daval, 1964).
La psychologie sociale appliquée
Les implications pratiques de la psychologie sociale sont évidentes. Les sondages servent non seulement à la prédiction des résultats d’une élection, mais aussi à l’étude des marchés (market research ), de l’efficacité de la publicité, des préférences pour certains programmes de télévision; et les résultats de tels sondages contribuent à déterminer la politique des dirigeants. Les techniques relevant de la dynamique des groupes ont été introduites dans l’industrie («relations humaines» dans l’industrie), dans les écoles et dans l’armée, surtout aux États-Unis. Le psychodrame et le sociodrame ne sont pas seulement des méthodes de recherche, mais aussi des techniques psychothérapeutiques. Beaucoup de recherches sont également d’un intérêt pratique dans le domaine de la psychopathologie (étude du rapport entre facteurs sociaux, crime ou délinquance et maladies mentales).
On a même essayé de recourir à la psychologie sociale pour l’élucidation des problèmes intéressant les relations internationales, lesquelles représentent en quelque sorte une forme d’interaction humaine (H. Kelman, 1965; Klineberg, 1964). Les questions abordées concernent l’importance des stéréotypes et des préjugés, la modification des attitudes belliqueuses et chauvinistes, le rôle du leader politique, l’opinion publique, l’évaluation des programmes destinés à faciliter la compréhension internationale, les caractéristiques des nations (A. Miroglio, 1971), les méthodes d’aide technique aux pays en voie de développement. En ce domaine, toutefois, les résultats demeurent à ce jour très modestes.
Encyclopédie Universelle. 2012.