MICROCLIMATS
La succession des états de l’atmosphère qui constitue un climat change profondément de signification selon l’échelle à laquelle on l’envisage [cf. CLIMATOLOGIE]. L’échelle microclimatologique concerne les ordres de grandeur les plus faibles dont l’étude systématique est possible.
Les climats de petite extension ont un certain nombre de caractères bien définis. Ils sont sous la dépendance d’influences étroitement localisées, comme la nature du sol, le couvert végétal, la pente, l’exposition, etc. Leurs variations dans l’espace sont très rapides, puisqu’un déplacement de quelques mètres, voire de quelques centimètres, peut les faire varier de façon significative (ainsi R. Geiger a pu montrer que les deux côtés d’une fourmilière n’ont pas le même climat, et que les fourmis en tiennent compte dans leurs activités). Enfin, ce sont les bilans radiatifs locaux et les mouvements de l’air de faible amplitude qui jouent le rôle essentiel dans la détermination des microclimats.
Il existe différentes manières de concevoir la limite de la notion de microclimat. Certains lui donnent une définition très restrictive, tel Max Sorre qui réduit le microclimat à «l’ensemble des traits de l’atmosphère dans un espace soustrait à l’action des facteurs généraux», c’est-à-dire, en fait, dans les milieux confinés, de façon épisodique ou permanente. De ce point de vue, le microclimat diffère non seulement du climat régional, mais aussi du climat local ou du «topoclimat» (en rapport avec les pentes). D’autres auteurs donnent une définition plus lâche, tel Mac Gehee qui écrit: «On peut définir le microclimat comme le climat de tout espace local qui diffère sensiblement du climat dominant d’ordre de grandeur plus élevé. Cet espace peut être une pente, une vallée, un lit d’oued, une cité, une oasis, un fossé d’irrigation, ou la couche d’air comprise entre le sol et un couvert végétal.» Dans cette perspective, la ligne de clivage essentielle passe entre le microclimat ainsi défini et le climat régional, ou «mésoclimat» des auteurs anglo-saxons. On retiendra ici cette définition assez large.
Les microclimats sont si nombreux et si variés que leur classement systématique est très difficile. On cherchera donc surtout ici à montrer les processus qui leur donnent naissance.
1. Les influences significatives à l’échelle des microclimats
Les influences locales sur les radiations
Des caractères très localisés peuvent faire varier la quantité de chaleur que l’air reçoit des radiations, et donc en modifier de façon appréciable la température. La figure 1 montre sous une forme schématique les mécanismes d’absorption de la radiation près du sol. Les rayons solaires d’onde courte traversent l’atmosphère en subissant une absorption modérée; ils ne fournissent guère de chaleur à l’air. Mais ils échauffent la surface terrestre qui émet à son tour des rayonnements d’onde longue. Ce sont ces derniers qui font varier la température de l’air. La nuit, seule joue la radiation longue, qui dépend de la chaleur emmagasinée pendant le jour.
Apport des radiations d’onde courte
Une première série d’influences microclimatiques joue en faisant varier l’apport des radiations d’onde courte au sol. La plus importante est sans doute la pente. Aux hautes et moyennes latitudes, les surfaces inclinées, sauf si elles sont orientées vers le nord, sont plus échauffées que les surfaces horizontales voisines, car l’angle d’incidence des rayons solaires est plus fort. D’autre part, les pentes exposées au midi sont plus échauffées que celles faisant face à l’ouest ou à l’est. Mais ces dernières sont à leur tour défavorisées par rapport aux pentes regardant l’ouest; en effet, la chaleur du Soleil matinal est en partie utilisée pour l’évaporation de la rosée, et ne sert donc pas à échauffer le sol et l’air à son contact. Les effets de la pente sont moins nets aux basses latitudes: quand le Soleil monte très haut sur l’horizon, ses rayons peuvent tomber avec un angle d’incidence très fort sur les surfaces horizontales. De même la différence des expositions est beaucoup moins significative.
L’apport diurne peut aussi varier en fonction de la nature du sol et de son couvert végétal. Il est évident qu’une forêt diminue l’arrivée des rayonnements au sol. D’autre part, si la surface terrestre est dotée d’un fort pouvoir réfléchissant, les radiations d’onde courte sont renvoyées vers l’atmosphère et ne servent pas à échauffer le sol. En particulier, les couvertures de neige diminuent considérablement les apports thermiques, et des différences de température très nettes peuvent apparaître entre les champs de neige et les régions de sol nu.
Émission des radiations d’onde longue
Une deuxième série d’influences, surtout sensible pendant la nuit, agit sur les radiations d’onde longue émises par le sol. Si ces radiations peuvent traverser librement les basses couches de l’atmosphère, leurs effets sont dispersés, et elles n’apportent que peu de chaleur à la couche d’air la plus basse. Par contre, un couvert végétal dense ou une couche de brouillard et de poussière diminuent les pertes en augmentant la «radiation de retour» (fig. 1). C’est la raison pour laquelle il fait en général plus chaud la nuit dans les forêts et sous l’atmosphère polluée des villes.
Influences sur la capacité de stockage de chaleur
La capacité de stockage de chaleur dans les parties superficielles de la lithosphère varie avec la nature du sol. Si celui-ci a une forte conductivité thermique, la chaleur reçue le jour est diffusée en profondeur dans des proportions importantes (fig. 1), et l’air est échauffé un peu plus lentement. Par contre, la nuit, la température du sol et de l’air augmente du fait de la chaleur mise en réserve le jour. Au contraire, les roches et sols à faible conductivité donnent naissance à des microclimats plus chauds le jour et plus frais la nuit, toutes choses étant égales par ailleurs.
De la même façon, au-dessus des étendues liquides, il y a réduction de l’apport thermique diurne, puisque la chaleur est en grande partie utilisée pour l’évaporation et diffusée dans l’ensemble de la masse d’eau. Par contre, la chaleur ainsi stockée est restituée la nuit.
L’influence des mouvements de l’air d’ordre de grandeur faible
D’une manière générale, toute agitation de l’air contrarie les effets signalés ci-dessus, puisqu’ils aboutissent à un mélange avec des couches qui sont moins directement affectées par la proximité du sol; ainsi, les pellicules froides qui se forment au contact de la surface par les nuits claires et calmes sont dispersées quand il y a du vent, et le mélange avec l’air supérieur plus chaud diminue le refroidissement. On comprend dès lors la signification microclimatique de tout ce qui favorise la stagnation de l’air, surtout la nuit. Les creux, les régions abritées par des arbres, certaines parties des villes peuvent ainsi connaître des refroidissements relatifs considérables.
D’autre part, le long des pentes, il se produit des mouvements aux conséquences importantes. Ainsi, la nuit, l’air refroidi acquiert une densité plus forte; il tend à glisser vers le bas, et s’accumule dans les creux. Ceux-ci sont donc refroidis par un double effet: ils reçoivent de l’air froid en provenance des pentes; cet air stagne et continue à se refroidir. Il n’est donc pas étonnant que, sous les latitudes tempérées, les gelées soient bien plus nombreuses dans les régions basses et les dépressions que sur les pentes qui les encadrent. On sait l’influence très profonde de ce phénomène sur les aménagements agricoles (fig. 2). On peut encore signaler les modifications que des phénomènes locaux peuvent apporter aux vents généraux. Les effets de canalisation sont les plus spectaculaires. Les cols, certaines rues ou clairières connaissent des vents très violents parce que leur orientation leur vaut de canaliser l’écoulement de l’air.
Cette violence du vent a de nombreuses conséquences. Elle peut apporter aux hommes un sensible rafraîchissement en été; mais aussi aggraver l’inconfort de l’hiver. L’évaporation due aux vents violents est lourde de conséquences pour la vie des plantes, qu’elle peut dessécher en une nuit.
2. Types de milieu à caractères microclimatiques accentués
On peut dire que toute portion d’espace a son propre microclimat. Cependant, il existe des types de milieu où les influences locales jouent un rôle de différenciation particulièrement important, donc où les caractères des microclimats sont accentués et changent rapidement. Citons quelques exemples.
Les régions accidentées sont les plus riches en microclimats variés. Chaque pente a ses propres caractères en fonction de sa raideur et de son orientation, qui influencent son échauffement diurne. Les creux et les sommets sont froids, les premiers à cause de l’accumulation d’air nocturne, les seconds à cause de l’altitude. Aux niveaux intermédiaires existe une «zone chaude», sensible dans la répartition de la végétation naturelle et des activités agricoles. La canalisation du vent fait varier les accumulations de neige, donc l’importance et la durée de l’enneigement, qui a elle-même des conséquences thermiques.
Les forêts ont en général des climats bien tranchés et fortement nuancés. Le jour, la couronne des arbres est réchauffée par le rayonnement solaire, mais leur ombre rafraîchit le sous-bois. La nuit, au contraire, celui-ci est plus chaud puisque les radiations d’onde longue sont renvoyées par les feuilles. L’hiver, une forêt dénudée réfléchit moins la radiation que les surfaces nues environnantes, surtout s’il y a de la neige. Elles peuvent donc être un peu plus chaudes.
Les surfaces liquides , lacs et rivières, sont plus froides le jour, car elles réfléchissent une part importante du rayonnement et sont affectées par l’évaporation et la diffusion de la chaleur dans la masse liquide. Celle-ci restitue de la chaleur la nuit, mais comme les lacs et marais sont dans des creux, l’accumulation d’air froid joue un rôle prépondérant. L’atmosphère est donc fraîche et humide près des eaux, et il en résulte de nombreuses formations de brumes et de verglas.
Les villes ont un climat original, comme le sait bien tout habitant d’une banlieue. De nombreux effets de canalisation des vents peuvent rendre certaines rues très inconfortables en hiver, et les urbanistes les ont trop souvent ignorés. Par contre, dans les villes tropicales, les sites aérés sont recherchés, et souvent colonisés par les populations les plus aisées.
Mais, surtout, les villes constituent, aux latitudes moyennes, des «îlots de chaleur», marqués principalement la nuit. En effet, les bâtiments et les surfaces asphaltées ont une forte conductivité et restituent beaucoup de chaleur la nuit. Les poussières urbaines freinent la perte des radiations d’onde longue. Le jour, la radiation solaire est réduite par les poussières, mais cet effet est largement compensé par le fait que les rayons réfléchis viennent frapper les surfaces verticales, ce qui réduit le pouvoir réfléchissant global des aires construites. Une différence de trois à cinq degrés Celsius entre le centre d’une agglomération et ses environs est donc fréquemment observée.
Il ne s’agit là que de quelques exemples. Les influences microclimatiques sont multiples et complexes, et peuvent intervenir dans des milieux en apparence très homogènes: un champ fraîchement labouré n’a pas la même conductivité qu’une friche, donc pas le même microclimat; une haie, un canal suffisent souvent à transformer localement les conditions dans la plus monotone des plaines...
3. Les microclimats et les phénomènes d’ordre de grandeur supérieur
Il y a parfois une tendance regrettable à considérer les microclimats isolément, sans les rattacher aux phénomènes climatiques d’ordre de grandeur supérieur. Or, tout se tient dans la climatologie. Le type de circulation atmosphérique à l’échelle régionale ne peut être négligé. Tel creux sera bien plus froid que le plateau qui le domine par une nuit calme et claire, sous un anticyclone hivernal. Par contre, un jour de tempête d’ouest, le brassage général de l’air égalisera les conditions. Aussi, l’originalité microclimatique du creux sera plus affirmée dans une région où les anticyclones hivernaux sont fréquents que dans un domaine très souvent balayé par des circulations énergiques. À tout le moins, la différence entre plateau et vallée n’aura pas la même signification. Une étude systématique des types d’influences microclimatiques selon les climats régionaux est impossible ici. On dispose d’ailleurs depuis peu des observations qui permettent de la mener à bien.
4. Les conséquences des microclimats
Chaque microclimat définit un milieu original, et c’est à lui que sont adaptées les espèces vivantes, animales ou végétales. L’écologie doit donc se soucier au premier chef des influences microclimatiques. Celles-ci ont trois types de conséquences.
La multiplication des microclimats permet d’abord l’existence côte à côte d’espèces qui ont des exigences très différentes. L’exemple le plus connu est celui des juxtapositions de forêts entre lesquelles existent de véritables oppositions physionomiques sur les versants d’exposition nord et sud dans les montagnes tempérées. La forêt de conifères sur les premiers et de feuillus sur les seconds marque profondément le paysage même pour les observateurs non avertis. À plus grande échelle encore, on ne trouve pas les mêmes associations végétales dans les parties hautes des versants que dans les parties basses ou les fonds de vallée. On sait le parti que l’homme a tiré de la raréfaction des gelées en haut des pentes pour la mise en place de cultures délicates, comme celle de la vigne et de certains arbres fruitiers dans le Bassin parisien, par exemple.
Ensuite, les microclimats permettent à certaines espèces ou formations de vivre dans des milieux dont le climat régional leur est apparemment défavorable. On peut dire qu’elles sont «a-macroclimatiques». Ainsi, dans certains marais du Laonnois (région parisienne), on rencontre des plantes qui sont habituelles dans les hautes latitudes ou dans les montagnes. Cette découverte surprenante s’explique par la présence du marais qui limite l’échauffement lors des belles journées estivales (dans une touffe de sphaigne, on a enregistré une température de 8 0C, alors que celle de l’air était de 30 0C dans les régions voisines). Inversement, sur les pentes crayeuses exposées au sud des méandres encaissés de la Seine, on trouve des plantes d’affinités nettement méditerranéennes. Les animaux, également, peuvent utiliser les microclimats pour survivre dans des milieux auxquels ils ne sont pas complètement adaptés. Ainsi, certains lézards des déserts ne survivent pas s’ils sont exposés à de très fortes températures. Ils ne peuvent donc supporter l’été que dans la mesure où ils s’enfouissent dans le sol ou creusent des terriers.
Enfin, les associations végétales sont souvent variées dans la mesure même où les plantes créent des microclimats dont vont profiter les autres espèces de l’association. Le cas le plus important est celui des associations forestières, où les sous-bois contiennent des essences d’ombre, dont les adaptations physiologiques sont assez différentes de celles de la strate supérieure. Ainsi, dans la forêt tropicale humide, les grands arbres doivent offrir une certaine résistance à l’évaporation, tandis que les plantes du sous-bois doivent supporter une très forte humidité, qui réduit l’évaporation.
On comprend que les microclimats pèsent lourdement sur les activités humaines. Ce qui précède montre que ce fait est évident pour l’agriculteur, le forestier, l’éleveur. Mais c’est vrai aussi bien pour le citadin ou l’automobiliste. Le premier éprouvera des sensations de confort ou d’inconfort variées selon les microclimats et le parti qu’en ont tiré les architectes et les urbanistes; le second sait bien les dangers que lui font courir les plaques de verglas et les voiles de brouillard des creux humides.
Or, l’action sur les microclimats est, pour le moment encore, un des seuls moyens pour l’homme de modifier son environnement climatique. Les agriculteurs savent par exemple se prémunir contre les risques de gel en évitant de faire des cultures délicates dans les creux. Il existe aussi des moyens de lutte plus actifs, par exemple en limitant la perte de chaleur par radiation grâce à des voiles de fumée artificielle, ou en brassant l’air au moyen de ventilateurs géants par les nuits calmes au cours desquelles des pellicules d’air très froid pourraient se former au contact du sol.
Encyclopédie Universelle. 2012.