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ARMATEURS
ARMATEURS

Les Anglais, peuple maritime, n’ont pas de terme propre pour désigner l’armateur. Ils disent tantôt ship-owner et tantôt fitter-out. Dans le premier cas, ils indiquent celui qui est propriétaire d’un navire, et dans le second celui qui l’équipe, c’est-à-dire l’arme. Armer un navire, c’est pourvoir à tout ce qui est nécessaire à la manœuvre, à la subsistance et à la sécurité du bâtiment. Mais, là encore, les définitions restent incomplètes, car un fonctionnaire pourrait très bien, à ce compte, être qualifié d’armateur. S’ajoute donc à la notion d’armement une intention mercantile. Le propriétaire, ou le locataire d’un navire, fait fonction d’armateur lorsqu’il l’équipe en vue d’une expédition commerciale, aventurée (avant l’établissement des routes maritimes) ou régulière.

1. Les armateurs et la puissance politique

L’art de la navigation remonte à la plus haute antiquité. Mais il faut attendre la naissance des nations pour que soient codifiées et les lois de la propriété et celles de la navigation. Certaines règles actuelles de droit maritime sont encore attribuées aux Phéniciens, hardis navigateurs. Elles sont nées d’usages entre professionnels: les armateurs devaient tenir compte des particularismes de leur droit propre et de la nécessité d’un code international de la mer.

Le plus souvent, les armateurs ne sont pas des personnes physiques, mais des sociétés, importantes pour la plupart. Le prix de revient des navires, d’une part, les frais d’exploitation, d’autre part, nécessitent la mise en œuvre de gros capitaux. Il existe donc des entreprises spécialisées dans le transport maritime.

Jusqu’au XVIIe siècle au contraire, il n’y eut guère d’armateurs de métier: c’étaient généralement des commerçants qui armaient des navires pour les besoins de leur négoce. À cette époque existait encore une institution très ancienne, disparue de nos jours, appelée «aventure» ou plus simplement «prêt à la grosse». C’était un prêt consenti moyennant un taux d’intérêt très élevé. Si l’opération projetée réussissait, le prêteur recouvrait la somme prêtée augmentée de l’intérêt stipulé; si l’opération échouait, le navire ayant sombré par exemple, l’armateur n’avait rien à rembourser; le taux élevé de l’intérêt était compensé et justifié par l’aléa de l’opération maritime. Cette institution est à l’origine de l’assurance maritime. De nos jours, les problèmes ne sont plus les mêmes; si les armateurs prétendent parfois que leur profession est une aventure, il est certain que cette aventure n’a aucune commune mesure avec ce qu’elle était il y a trois siècles.

De cette époque subsistent cependant certaines règles, telle celle qui permet aux armateurs de limiter leur responsabilité visà-vis des tiers à une somme calculée en fonction du tonnage de leur navire. Cette notion de fortune en mer a été confirmée, sur le plan international, par la Convention de Londres du 19 novembre 1976.

S’il arrive encore que certains commerçants ou industriels arment des navires pour les besoins de leur exploitation – ainsi les grandes compagnies pétrolières – le plus souvent ils s’adressent à des professionnels. L’armateur exerce généralement son activité à titre principal, ce qui ne l’empêche pas de s’intéresser à des professions voisines, tels la manutention portuaire, le transit, parfois les transports routiers et aériens ou l’hôtellerie.

Enfin, il est nécessaire de rappeler que les navires peuvent être la propriété de plusieurs personnes physiques ou morales: les copropriétaires sont appelés des quirataires, chacune de leurs parts étant un quirat ; longtemps réservée à la pêche, cette institution des quirats est aussi utilisée pour des navires de commerce; des banques, notamment, possèdent des quirats.

L’État auquel est rattaché un navire (car un navire possède une nationalité propre, le pavillon) intervient sur deux plans.

En premier lieu, après avoir défini les conditions que doit remplir un bâtiment pour naviguer sous son pavillon, il confère à ses armateurs certains privilèges et leur accorde certaines protections. C’est ainsi que la pêche dans les eaux territoriales pourra être réservée aux nationaux; de même, les transports au cabotage national, c’est-à-dire entre les ports du pays, pourront leur être réservés. L’intégration progressive des transports maritimes à l’ordre communautaire a remis en question ces privilèges et protections nationaux dans les pays de la C.E.E.

Ces protections, là ou elles existent, ne se borneront pas à des mesures administratives ou de police. La possession d’une flotte marchande importante étant une source de devises et un gage d’indépendance en cas de conflit, de nombreux gouvernements subventionnent directement leur marine et accordent des aides à leurs armateurs.

Certains transports pourront aussi être réservés au pavillon national; c’est ainsi qu’aux États-Unis les produits livrés au titre de l’aide aux pays en voie de développement doivent, en principe, être acheminés par des navires américains. Les armateurs américains bénéficient aussi de subventions et d’avantages nombreux. En France, un certain pourcentage du tonnage du pétrole importé doit être transporté sous pavillon français. Toutes les grandes nations, d’une manière ou d’une autre, s’efforcent de favoriser le développement de leur marine marchande. Les mesures adoptées sont très diverses et ont souvent pour objet de favoriser non seulement l’exploitation des navires mais encore, et parfois davantage, de sauvegarder l’industrie de la construction navale.

En second lieu, l’État, qui favorise ses armateurs de ces diverses façons, intervient aussi pour leur imposer certaines contraintes; celles-ci ont deux objets essentiels.

Tout d’abord, l’État oblige les armateurs à respecter une réglementation très complète, relative à la sécurité, à l’habitabilité et aux conditions de travail à bord des navires.

Ensuite, il intervient dans les rapports entre armateurs et marins, notamment pour protéger ces derniers. Cette protection est motivée traditionnellement de deux façons:

– d’une part, le marin, lorsqu’il est à bord, dépend pratiquement de son armateur; c’est ainsi que, s’il tombe malade au cours d’un voyage, c’est l’armateur qui devra le faire soigner dans un port d’escale; de même, il devra payer ses frais de rapatriement;

– d’autre part, du moins en France, les marins dépendent d’une administration particulière, les Affaires maritimes, appellation nouvelle de l’Inscription maritime, qui vise les contrats d’engagement. L’Inscription maritime a été créée et organisée par Colbert en vue d’affecter à la Marine royale, dès l’ouverture d’hostilités, un contingent régulier de marins du commerce. On doit aussi à Colbert l’Établissement des invalides de la marine, devenu par la suite la Caisse de retraite et de prévoyance sociale des marins.

En France toujours, les armateurs français doivent, dans la majorité des cas, recourir uniquement aux services de marins français. La plupart des autres pays sont beaucoup moins exigeants à cet égard.

Enfin, contrepartie des diverses protections dont ils bénéficient, les armateurs sont souvent obligés d’assurer certains transports d’intérêt national, indépendamment de la réquisition éventuelle de l’État, pour des besoins importants de tonnage, par exemple en temps de guerre.

On conçoit que, pour échapper aux contraintes nationales, les armateurs aient eu recours à la pratique des «pavillons de complaisance». Les abus auxquels celle-ci donne lieu sont de plus en plus dénoncés, y compris par certaines associations d’armateurs.

Pour enrayer le transfert d’un nombre très important de navires du pavillon national de pays maritimes traditionnels vers ces pavillons, appelés aussi «de libre immatriculation», de nombreux États ont créé des pavillons «bis» ou pavillons «offshore». L’immatriculation sur ces registres permet de réduire l’écart des coûts d’exploitation des navires de pays à niveau de vie élevé avec les conditions offertes par les pavillons de complaisance, sans en avoir les inconvénients. Un des modèles le plus remarquable de ces seconds registres est celui de la Norvège, le Norwegian International Ship Register (N.I.S.).

2. Les différents modes d’exploitation des navires

Une première distinction peut être faite entre l’armement à la pêche et l’armement au commerce (voyageurs ou marchandises).

La pêche

Autrefois, en dehors des terre-neuvas qui partaient chaque année pendant de longs mois pour la pêche à la morue, la pêche était pratiquée le plus souvent par de petites unités appartenant aux «patrons» qui les commandaient. Si cette situation se perpétue dans de nombreux endroits – en Bretagne par exemple –, les chalutiers appartiennent généralement à des sociétés ou à des entrepreneurs qui possèdent une exploitation relativement importante. Les eaux proches des côtes étant moins poissonneuses qu’autrefois, il faut donc des unités plus importantes pour aller chercher le poisson dans des mers lointaines. De plus, il est nécessaire de disposer de navires de plus en plus perfectionnés, notamment de navires congélateurs. En outre, la pêche industrielle fait appel aux études les plus poussées des spécialistes de la faune marine et aux techniques les plus modernes de la navigation, du repérage des bancs de poissons, de la manutention des produits de la pêche. Toutes choses qui mobilisent des capitaux considérables.

Paquebots et ferries

Si, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le transport aérien a supplanté rapidement les paquebots de lignes régulières, deux formes de transport maritime de passagers se sont développées: liaisons courtes et croisières. La desserte maritime d’îles proches ou de destinations peu éloignées est assurée par des car-ferries , à bord desquels les passagers peuvent embarquer avec leur véhicule. Avec la «démocratisation» des croisières touristiques, l’exploitation des paquebots s’est rapidement développée sur ce nouveau marché.

Navires de lignes régulières et tramps

Dans le domaine du transport des marchandises, il existe de même plusieurs modes d’exploitation. On peut essentiellement distinguer les navires de lignes régulières et les «tramps» (ou vagabonds) qui font des transports à la demande, généralement par cargaisons complètes, sur des parcours qui varient à chaque voyage.

Les navires de lignes régulières effectuent toujours les mêmes parcours et se présentent dans les ports à des époques déterminées et fixées à l’avance pour prendre les marchandises à destination d’un des ports desservis, sur la base d’une tarification préétablie. Ils partent à jour fixe, qu’ils aient ou non rempli leurs cales. Les contrats passés entre les propriétaires des marchandises transportées et les armateurs sont des contrats de transport maritime constatés par un «connaissement». Ce document joue un double rôle: il est à la fois le contrat lui-même, et la représentation de la marchandise transportée. Ce second rôle permet de vendre la marchandise en cours de transport par le simple «endossement» du connaissement, qui est un titre négociable.

Les conférences maritimes

Une conférence maritime est un groupement d’armateurs exploitant la même ligne régulière en vue d’y rationaliser la concurrence. Cet objectif se manifeste à la fois à l’égard des membres de la conférence, auxquels elle impose ses règles, à l’égard des armements tiers ou outsiders , qu’elle vise à éliminer, et à l’égard des chargeurs, vis-à-vis desquels elle présente une position commune, notamment pour la détermination des tarifs du transport. D’essence britannique, la première conférence est apparue en 1875 entre l’Inde et la Grande-Bretagne. Une conférence est dite «ouverte» lorsqu’un armateur susceptible d’ouvrir un service régulier sur le trafic couvert par la conférence peut en devenir membre après avoir réglé un droit d’entrée substantiel. L’entrée dans une conférence «fermée» dépend au contraire de la décision excluvise de ses membres. Le système des conférences est largement remis en cause, tant par la multiplication d’interventions gouvernementales que par les groupements de chargeurs contestant les conditions de leur fonctionnement, qu’ils estiment défavorables à leurs intérêts.

Nés de la «conteneurisation» et de l’importance des investissements nécessaires à la mise en œuvre de cette technique, les consortiums constituent une forme plus avancée du groupement des armateurs de lignes régulières. Leur objet est l’exploitation en commun d’un courant de trafic où ils intègrent souvent au transport purement maritime un service terrestre de porte à porte.

Les tramps

Les tramps, par définition, n’effectuent pas un trafic régulier. Autrefois, ils appartenaient à des armateurs qui avaient le goût de l’aventure; lorsque, les navires étant plus demandés, les taux d’affrètement montaient, ils gagnaient des sommes considérables. En revanche, lorsqu’il y avait pléthore de navires et que les taux baissaient, ils étaient souvent obligés de désarmer leurs bâtiments.

Si cette définition est encore exacte, il ne faut pas s’imaginer tous les tramps perpétuellement à la recherche d’une cargaison. Ils sont affrétés pour une durée plus ou moins longue par des chargeurs importants, par exemple des compagnies pétrolières ou des importateurs de minerais. Les navires modernes coûtent en effet fort cher; les chargeurs, qui doivent établir le prix de revient de leurs marchandises, ne peuvent plus se permettre de payer des frets qui, en quelques mois, risquent de varier du simple au triple. C’est pourquoi, avant de commander un navire, un armateur se préoccupe de son emploi futur et s’efforce de trouver un chargeur qui accepte de l’affréter pour une durée de plusieurs années, huit ou douze ans par exemple. Le loyer du navire sera alors calculé moyennant un taux raisonnablement rémunérateur pour son propriétaire, une formule de variation de fret étant en outre prévue en fonction de paramètres qui, selon les contrats, appelés chartes-parties, peuvent être très divers.

Il y a encore des navires affrétés au jour le jour. Ils constituent le volant de sécurité indispensable pour que l’offre de transport corresponde, autant que possible, à la demande; ils sont affrétés soit par des chargeurs occasionnels, soit par des chargeurs réguliers qui ont besoin d’un complément de tonnage, soit par des armateurs de lignes régulières qui, momentanément, désirent renforcer leur service. Les variations des taux de fret sont d’autant plus grandes que les marchés cherchent en permanence à ajuster l’offre à la demande.

Encyclopédie Universelle. 2012.