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LAPONS
LAPONS

Seul peuple d’Europe à vivre en majorité au nord du cercle polaire, les Lapons demeurent les représentants les plus occidentaux de la culture du renne, culture qui s’étend sur toute la bordure littorale arctique de l’Eurasie. Bien qu’ils soient à peine plus de trente mille en 1970, ils sont éparpillés dans tout le nord de la Fennoscandie, de l’arrière-pays de Trondheim à l’extrémité orientale de la presqu’île de Kola. Ils y cohabitent avec d’autres populations, généralement plus nombreuses, auxquelles ils tendent de plus en plus à s’intégrer. On compte environ vingt-deux mille Lapons en Norvège, six mille en Suède, moins de deux mille en Finlande, un peu plus de mille en U.R.S.S. La plupart d’entre eux sont aujourd’hui bilingues.

Les Lapons sont-ils les derniers représentants d’un fonds de peuplement paléo-européen inexorablement refoulé vers le nord par l’installation sur la Baltique des tribus proto-finnoises? Sont-ils des Samoyèdes tardivement finnisés? Doivent-ils être mis en relation avec l’une ou l’autre des différentes cultures préhistoriques découvertes dans l’Europe du Nord? Faut-il même, comme l’ont avancé certains esprits téméraires, chercher en eux les descendants de quelque homme de Cro-Magnon que la fin de la dernière glaciation aurait contraints à faire paître le renne – ou à le chasser – sous des latitudes toujours plus septentrionales? Les données de la linguistique et de l’anthropologie, si elles permettent de poser plus clairement l’énigme de leur origine, semblent encore très loin d’en fournir la clef.

Plus solide et non moins fertile s’avère, en définitive, le champ d’étude offert à l’observation de l’ethnologue et du sociologue par les Lapons qui sont passés en quelques générations d’un mode de vie quasi préhistorique de type subarctique à la civilisation la plus moderne.

Répartition

Il est d’usage de diviser les Lapons en trois groupes, dont les limites précises sont toutefois difficiles à marquer.

Les Lapons des montagnes, nomades et éleveurs de rennes, pratiquent la transhumance dans l’intérieur des deux Laponies scandinaves ainsi que dans les régions les plus désertiques de la Laponie finlandaise. Particulièrement protégés contre les influences extérieures par les rigueurs du milieu naturel, ils sont ceux qui perpétuent avec le plus de fidélité la culture et le mode de vie traditionnels. Ils s’abritent en hiver dans les forêts qui tapissent le fond des vallées, et s’ils ne peuvent plus, comme autrefois, remonter en été jusqu’à la côte de l’océan Arctique, du moins suivent-ils leurs troupeaux sur les sommets enneigés des montagnes, là où le vent souffle assez fort pour chasser les nuées de moustiques qui, en juin et juillet, infestent le pays. En Finlande, seuls les hommes nomadisent, les autres membres de la famille menant une vie sédentaire dans des maisons de rondins analogues à celles des Finnois.

Les Lapons de la forêt, dont la pêche était naguère la ressource principale, mènent encore sporadiquement une existence semi-nomade le long des rivières et des lacs. On les rencontre en Laponie suédoise, dans les paroisses finlandaises d’Inari et d’Utsjoki, dans la presqu’île de Kola. Le développement de l’agriculture et de l’élevage aux dépens des activités traditionnelles contribue fortement à leur sédentarisation. Celle-ci était même achevée pour les Lapons d’U.R.S.S., qui avaient été regroupés pour les besoins de la collectivisation.

Les Lapons du littoral arctique, entièrement sédentaires, sont, pour la plupart, les descendants d’anciens éleveurs de rennes – pauvres, venus tenter leur chance parmi les populations norvégienne et finnoise. Ils pratiquent la pêche et l’élevage. Leur niveau de vie, longtemps inférieur à celui des deux autres groupes, semble bénéficier du récent essor de la Laponie norvégienne.

Une origine controversée

La langue lapone – il vaudrait mieux dire les parlers lapons, tant l’écart est grand entre les différents dialectes – fait partie de la famille finno-ougrienne. Si la géographie, d’une part, de nombreuses ressemblances, surtout lexicales, de l’autre, suggèrent une parenté plus étroite avec les langues de la branche fennique (finnois, estonien, etc.), rien dans l’état actuel des connaissances ne permet de distinguer avec certitude les éléments issus d’un héritage commun de ceux résultant d’emprunts anciens au finnois ou au proto-finnois. Ethniquement, les Lapons diffèrent, d’une manière évidente, de tous leurs voisins tant finnois que russes ou scandinaves. Par la pigmentation de la peau, ils sont indubitablement des Européens. Mais leur taille plutôt petite, leurs cheveux bruns, leur pilosité peu développée, leurs pommettes marquées, leurs yeux parfois très légèrement bridés, leurs jambes relativement courtes par rapport à la hauteur du tronc, les font considérer par les anthropologues comme un type ethnique original. Aussi suppose-t-on généralement qu’ils sont les descendants d’une population subarctique non finno-ougrienne – mais peut-être ouralienne – qui se serait linguistiquement «finno-ougrisée». Selon que la langue empruntée aurait été le proto-finnois, le finno-ougrien commun, voire l’ouralien commun, le lapon serait: soit une langue fennique qu’un substrat plus ancien aurait fait s’écarter considérablement des autres langues du groupe; soit un rameau à part du finno-ougrien; soit, à lui seul, une troisième branche de l’ouralien, à côté du finno-ougrien et du samoyède. Les deux premières hypothèses sont les plus communément défendues.

Le vocabulaire lapon contient un nombre important d’éléments anciens qui semblent avoir été empruntés au balte directement, c’est-à-dire sans l’intermédiaire du finnois. La toponymie, confirmée par quelques documents écrits, prouve que vers la fin du Moyen Âge il y avait encore des Lapons dans le sud de la Finlande. Il est donc logique de supposer qu’ils auront été séparés des Baltes puis, peu à peu, à la fois assimilés et repoussés vers le nord par les Proto-Finnois venus occuper le littoral du golfe de Finlande.

Cette dernière déduction n’est pas contredite par le premier document écrit faisant, semble-t-il, mention des Lapons: La Germanie de Tacite. Celui-ci parle en effet des Fenni , vivant de l’autre côté de la mer des Suèves – la Baltique – au voisinage des Aestii , dans les régions où l’on s’accorde à situer les Proto-Finnois au début de notre ère. C’est l’ensemble de ces derniers – et non les seuls Estoniens – que désignerait le nom de Aestii . En norvégien, le mot Finn se rapporte exclusivement aux Lapons. Il se peut qu’il ait d’abord désigné les habitants de la Finlande et n’ait pris que plus tard le sens de finnois dans les autres langues, notamment en suédois. À noter cependant que Ptolémée, dans sa Géographie , fait déjà état de deux peuples distincts portant le même nom de Phinnoi et dont l’un habite la partie septentrionale de l’«île de Scandie».

La première mention circonstanciée des Lapons se trouve, en fait, dans la description des habitants de Thulé – autrement dit de la Norvège – rédigée par Procope aux alentours de 500 après J.-C. Il y parle des Skrithiphinoi qui «ne boivent pas d’alcool ni ne récoltent leur nourriture de la terre». Skrittfinn – l’ancien nom germanique des Lapons – signifie mot à mot «Finnois marcheur». Ce serait une allusion à l’usage des skis.

Dès le début de leur histoire, les Lapons sont soumis à l’impôt par leurs différents voisins: toutefois, la première tentative d’évangélisation n’a lieu qu’à la fin du XIIIe siècle, en Norvège. Dans le royaume de Suède-Finlande, ils n’entrent guère en contact avec le christianisme avant le milieu du XVIe siècle, et plusieurs pasteurs du XVIIIe siècle sont connus pour l’énergie avec laquelle ils combattirent chamanisme et sorcellerie. La fondation du monastère orthodoxe de Petsamo (Petchenga), en 1550, marqua le début de la conversion des Lapons de Kola à l’orthodoxie. Au XIXe siècle, le mouvement évangélique fondé par le pasteur Laestadius a fait de nombreux adeptes parmi les Lapons, surtout en Finlande et en Norvège.

Un mode de vie traditionnel

Alimentation

Si le renne sauvage, trop tardivement protégé par la loi, a de nos jours presque totalement disparu, le renne semi-domestique reste dans l’ensemble la principale richesse des Lapons. De tous les peuples arctiques, ce sont eux qui disposent des techniques d’élevage les plus élaborées. À la fin du XIXe siècle, certains éleveurs possédaient jusqu’à cinq mille têtes; aujourd’hui, on en compte rarement plus de mille par famille. En Suède, l’élevage du renne est le domaine réservé des Lapons. En Finlande et en Norvège, en revanche, les Finnois sont devenus des concurrents redoutables, de même que les Zyriènes de la presqu’île de Kola avant la constitution des kolkhoz. Chaque éleveur possède une marque traditionnelle, qui consiste en une combinaison de lignes et de trous incisés dans l’oreille de chaque renne. En Laponie finlandaise, le paliskunta réunit plusieurs éleveurs en une sorte de coopérative qui représente également une division administrative. Le renne n’est jamais un animal entièrement domestique. Il se suffit à lui-même et se laisse difficilement approcher par l’homme. Aussi les skis et le lasso sont-ils les outils indispensables de l’éleveur.

Une famille de Lapons montagnards consomme en moyenne un renne par semaine. Un troupeau de trois cents à trois cent cinquante bêtes est nécessaire pour assurer la subsistance d’une famille de six personnes. Les meilleurs morceaux et la plupart des peaux sont vendus. La période de l’abattage va de septembre à la fin de l’hiver. Salée et séchée, la viande de renne est une excellente nourriture au moment de la transhumance estivale.

Le poisson, qui constitue en été la principale nourriture des Lapons de la forêt, est consommé soit grillé, soit sous forme de soupe, soit enfin séché, fumé ou salé. Les Lapons du littoral norvégien utilisaient autrefois la graisse de phoque comme nourriture. Naguère encore, on accrochait aux arbres des sortes de caisses en bois connues en Finlande sous le nom de uuttu , et l’on prélevait un tribut sur les œufs qu’y venaient pondre certains grands oiseaux, notamment le harle.

Avant l’introduction de la pomme de terre, les végétaux propres à la consommation se limitaient à certaines variétés d’oseille et de baies polaires qui permettaient au moins de prévenir le scorbut.

La boisson nationale des Lapons est aujourd’hui le café, sauf pour ceux de la presqu’île de Kola qui, sous l’influence russe, ont adopté le thé. L’alcool n’est apparu qu’au XVIe siècle, le tabac au XVIIe, mais les Lapons, dès les temps le plus anciens, connaissaient les vertus stimulantes de la sève de bouleau printanière.

Certains tabous, hérités du chamanisme, se sont perpétués, jusqu’à une date souvent très récente, sous forme d’usages et de croyances. C’est ainsi qu’une ancienne coutume, commune à tous les peuples arctiques, interdisait jadis aux Lapons de boire de l’eau à même une source ou un cours d’eau; il fallait l’aspirer au moyen d’un tube constitué le plus souvent d’un tibia d’oiseau. La viande et le poisson étaient traditionnellement préparés par le père de famille. Les femmes n’avaient pas le droit de consommer certaines parties des animaux. Elles ne pouvaient toucher certaines viandes – ours notamment – autrement qu’avec des bâtonnets de bois.

Habitat

L’habitat lapon actuel ne se distingue plus guère de celui des Norvégiens ou des Finnois de Laponie.

La tente traditionnelle, la kota , encore employée par un petit nombre de montagnards, consiste en une armature de quatre troncs de bouleau d’environ trois mètres chacun, émondés et recourbés à leur sommet. La jointure de ces quatre piquets principaux supporte l’extrémité d’une poutre horizontale, la «poutre à fumée», dont l’autre extrémité est supportée par deux piquets qui constituent le chambranle de la porte. Sous cette poutre, un adulte peut se tenir debout. Un nombre variable de piquets secondaires, disposés de façon à ménager une ouverture par où s’échappe la fumée, complète cette armature, qui est ensuite recouverte, selon la saison, d’une toile grossière ou de couvertures de laine. Des documents du XVIe siècle montrent que les Lapons recouvraient jadis leurs tentes avec des plaques d’écorce de bouleau amollies dans l’eau chaude et cousues ensemble selon une méthode encore pratiquée par les Vogouls et les Ostyaks en Sibérie occidentale. Il n’est pas certain que les Lapons aient jamais utilisé des peaux de rennes pour recouvrir la kota. Celle-ci est généralement dressée la porte au sud, à proximité d’une source ou d’un cours d’eau.

Au centre de la tente se trouve le foyer, formé d’une dizaine de pierres qui, en hiver du moins, doivent être emportées à chaque déplacement. Deux longues perches, posées parallèlement sur le sol, de part et d’autre du foyer, de l’entrée au fond de la tente, divisent cette dernière en trois sections, susceptibles d’être à leur tour subdivisées longitudinalement. Derrière le foyer se trouve le posio , considéré comme la place d’honneur; c’est là que sont rangés la nourriture et la vaisselle. Les autres sections, appelées loito , sont jonchées, selon la saison, de rameaux de bouleau ou de conifère. Elles sont occupées par les différents membres de la famille suivant un ordre traditionnel rigoureux. Si deux familles partagent une même tente, chacune en occupe une moitié.

Les Lapons de la forêt vivaient autrefois dans des huttes de planches recouvertes de tourbe dont la forme et le plan rappelaient ceux de la kota. Aujourd’hui, seul le laavu , sorte de tente rudimentaire ouverte d’un côté, est encore largement utilisé par les chasseurs et les bergers. Il peut abriter de trois à cinq personnes.

Vêtement

L’élément le plus remarquable du costume lapon est la blouse de laine bleue, grise ou noire selon les régions, souvent comparée à celle portée au Moyen Âge par les Scandinaves. Des passements rouges ou jaunes en rehaussent, le plus souvent, les épaules et le dos. Les hommes portent un col droit assez haut, ainsi qu’une large ceinture de cuir incrustée d’étain ou d’argent, à laquelle est suspendu l’indispensable poignard. Le pantalon est le même pour les hommes et pour les femmes. Sous sa forme la plus ancienne, il était de cuir dans la partie supérieure, de peau de renne pour les cuisses, d’étoffe rouge ou bleue pour la partie des jambes visible sous la blouse. Les bottes de fourrure peuvent, par temps très froid, être doublées de bottes plus larges et plus massives, généralement fabriquées avec la peau de la tête du renne. Au moment du dégel, les Lapons du littoral utilisent également des bottes en peau de phoque. Autrefois, de l’herbe sèche tenait lieu de chaussettes. On en mettait aussi dans les moufles, confectionnées avec la peau des pattes du renne. Quant au fameaux «bonnet des quatre vents», l’élément le plus connu du costume lapon, il serait une copie du bonnet porté au début du siècle dernier par les capitaines des navires marchands russes qui venaient commercer dans les fjords de Norvège.

Les moyens de transport

Comme les Finnois et les Zyriènes, les Lapons ont longtemps utilisé des skis de longueur inégale. Le ski gauche, plus long, servait à glisser, le droit à se propulser. On distingue trois types de traîneaux. Le plus élémentaire, appelé dieska en lapon du Sud, est formé d’une simple peau de renne dans laquelle on enveloppe le gibier ou la marchandise. Sur une neige normale, il peut servir pendant deux ou trois jours. Le ahkio , construit comme une barque, n’a qu’un seul patin. Réservé aux marchandises, il est entièrement fermé, ce qui le distingue du pulkka , où prennent place les voyageurs. Une famille lapone prospère a besoin normalement de trois à six pulkkas et de quinze ahkios pour se déplacer.

Bien que leur nombre ait légèrement augmenté depuis le début du siècle, les Lapons sont, sans aucun doute, l’une des minorités les plus menacées de disparition de toute l’Europe occidentale. Intérieurement divisés par des dialectes assez différents pour interdire l’intercompréhension, de plus en plus minoritaires, ils doivent, en contrepartie des avantages que leur offre la civilisation moderne, s’intégrer chaque jour davantage aux États dont ils sont citoyens. L’abandon d’un mode de vie ancestral parfaitement adapté au milieu naturel est ressenti par certains d’entre eux comme une véritable aliénation.

Des lois, visant à leur assurer ce que d’aucuns n’hésitent pas à appeler des «réserves», ont été promulguées en Suède et sont discutées en Finlande. Les Lapons seraient-ils les Indiens de l’Europe?

Encyclopédie Universelle. 2012.