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HAGIWARA S.
HAGIWARA S.

HAGIWARA SAKUTAR 牢 (1886-1942)

La naissance d’une «poésie nouvelle» japonaise, dégagée des formes fixes qui avaient été cultivées jalousement pendant des siècles, remonte aux années 1880. Mais les premières tentatives n’étaient que des curiosités, comme en témoignent les Poèmes nouveaux (Shintaishi sh 拏 , 1882) dont font état les histoires de la littérature: quelques universitaires avaient traduit, non sans emphase, des pièces de l’ère victorienne. Shimazaki T 拏son donna vie à ce genre, tout en conservant le vocabulaire et certains rythmes de la tradition. Le début du siècle coïncide avec une soudaine floraison. Des cercles de poètes se forment. Ils conquièrent un public, lancent des revues. La plus remarquable d’entre elles est My 拏j 拏 (1899-1908), qu’anime Yosano Tekkan. Yosano Akiko, sa femme, invente un nouvel art du waka , suscite l’étonnement, l’enthousiasme par sa liberté de ton et son lyrisme flamboyant (Cheveux fous , Midaregami , 1900). Ueda Bin, traducteur prodigieux de science et de goût, révèle la poésie moderne d’Europe, et tout particulièrement celle de Baudelaire, Verlaine, Verhaeren (Bruits de la mer, Kaich 拏.on , 1905). Susukida Ky kin et Kanbara Ariake veulent à leur tour créer une «poétique du symbole», recherchent des images singulières, souvent baignées de mystère, associent des mots rares et tissent entre eux des réseaux de correspondances. Lorsque la revue My 拏j 拏 doit cesser sa parution en novembre 1908, Subaru (1909-1913) lui succède dès le mois de janvier de l’année suivante. Quelques pionniers paraissent plus réservés, hésitants. D’autres déjà prennent la relève: Takamura K 拏tar 拏, Kitahara Hakush , Kinoshita Mokutar 拏, Yoshii Isamu... Chacun d’entre eux choisit le poème comme moyen exclusif, ou du moins privilégié, d’expression. Alors que les multiples possibilités de l’art romanesque retiennent l’attention des écrivains, la poésie moderne a prouvé, en moins de vingt ans, sa vitalité. Tous ceux qui ont contribué à ce renouveau ont innové, tant par l’inspiration que par la forme. Ils usent toutefois, presque sans exception, de la langue classique. Pour garder à leur intuition ce qu’elle a de particulier, ils ont recours aux richesses du vocabulaire ancien, voire archaïque. La cause semblait entendue: le langage commun n’était pas fait pour transmettre l’émotion poétique. En 1903, Hagiwara Sakutar 拏 publie trois waka dans My 拏j 拏 . Il a été attiré durant son adolescence par cette conception du lyrisme. Mais il cherche bientôt une autre voie.

En 1913, il se lie avec Muroo Saisei. L’amitié qui s’établit avec cet homme, doux et rebelle, qui parvint à une grande maîtrise dans la prose comme dans la poésie mais ne voulut jamais respecter pour seul principe que la spontanéité, l’encourage. Il poursuit en solitaire ses recherches, entrecoupées de moments de silence et de doute. Avec son ami, il fonde des revues qui disparaissent après quelques années ou quelques mois. Dans la petite ville de province où il est né, Maebashi, à quelque cent kilomètres au nord de T 拏ky 拏, il organise un «cercle de poésie et de musique», enseigne la mandoline... Au terme de cette période de maturation, il propose deux recueils: Hurler à la lune (Tsuki ni hoeru , 1917) et Chatbleu (Aoneko , 1923), qui demeurent ses œuvres maîtresses. Les poètes de la génération précédente, qu’ils chantent les élans du cœur et de l’instinct ou qu’ils suivent les obscurs cheminements de la pensée, semblent toujours fascinés par une beauté d’exception. Souvent, ils se laissent entraîner par le goût de l’ornement. Hagiwara Sakutar 拏 fait surgir les paysages ordinaires qui délimitent sa vie: les alentours d’une gare, quelques bambous, une rivière qui traverse la plaine. Il s’en dégage une tristesse sourde, soudain poignante: elle se devine dans le regard du chatbleu (terme qu’il forgea, ainsi qu’il l’indique lui-même, en songeant à blue cat ) dont il a fait son compagnon. Inlassablement, il reprend les mêmes sujets, qui donnent naissance à des suites de variations. Il a choisi d’emblée la langue de son temps et n’hésite pas à y introduire des formes du langage parlé qui n’avaient jamais trouvé place dans un poème. Il naît un mouvement pesant, d’abord irrégulier, mais peu à peu s’impose le sentiment d’une harmonie profonde. Qu’importe la banalité du paysage? Sakutar 拏 ne se soucie que du rythme. Il retrouve la musique cachée au creux de chaque mot. En 1922, il achève un premier volume d’aphorismes, Un nouveau désir (Atarashiki yokuj 拏 ). Dans ces fragments de longueur inégale, souvent brefs (qui ne sont pas sans rappeler ceux que compose vers la même époque Akutagawa Ry nosuke), il passe de l’observation ironique à la discussion philosophique, de la colère à la confidence et aborde sous les angles les plus divers les problèmes de la société, de la morale, de la destinée, de l’art, pour revenir toujours à cette source première de la vie et de la création que sont à ses yeux le désir ou le sentiment.

Son inclination pour la réflexion théorique et la vivacité de son intelligence s’affirment dans de nombreux écrits de cette veine: Principes de la poésie (Shi no genri , 1928), Illusoire Justice (Kyom 拏 no seigi , 1929), La Mission du poète (Shijin no shimei , 1937), Résister à partir de rien (Mu karano teik 拏 , 1937), dont la vente fut interdite par la censure. Son inspiration poétique ne tarit pas. En 1929 et 1930, il a dû surmonter de graves difficultés personnelles. Il quitte sa ville pour s’établir à T 拏ky 拏. Mais il demeure fidèle aux lieux et aux thèmes de ses débuts. Il a renoncé pourtant à l’usage exclusif de la langue contemporaine. Île de glace (Hy 拏t 拏 , 1934) marque un revirement, peut-être un déchirement secret: aux mots d’aujourd’hui se mêlent des termes et des tournures de la tradition. Jusqu’à l’approche de la mort, il déploie une intense activité. Des écrivains plus jeunes se réunissent autour de lui et les générations suivantes verront en lui une figure exemplaire, le poète par excellence du Japon moderne. Aucune de ses œuvres ne révèle l’exceptionnel. Dans chacun de ses poèmes, il ne reste que le sillage d’une vie, et que fut la vie de cet homme qui avait renoncé à toute carrière, qui connut l’échec et l’isolement et sembla les accepter volontairement? Il ne reste que les racines des arbres qui s’enfoncent au plus profond de la terre, l’amitié d’un chat sauvage, des cours d’eau proches qu’il appelle par leur nom et des ponts métalliques qui enjambent des voies ferrées.

Encyclopédie Universelle. 2012.