BELGIQUE - Les élections de 1995
Belgique: les premières élections de la Belgique fédérale
Le 21 mai 1995 se sont déroulées simultanément les élections des différentes assemblées disposant de pouvoirs législatifs aux niveaux fédéral, régional et communautaire. Cet événement a été un moment essentiel dans la mise en œuvre des changements institutionnels qui avaient été décidés au cours de la précédente législature et qui avaient consacré officiellement le caractère fédéral de l’État belge. L’impact de ces changements sur le comportement des électeurs a toutefois été limité.
Les nouvelles assemblées à élire
Il s’agissait d’élections anticipées en ce qui concerne la Chambre des représentants et le Sénat dont le mandat venait à son terme normal en fin d’année. Il s’agissait de premières élections directes en ce qui concerne le Conseil flamand et le Conseil régional wallon. Il s’agissait enfin d’élections retardées en ce qui concerne le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, qui avait été élu pour la première fois le 18 juin 1989 pour cinq ans.
Le système bicaméral, caractéristique du régime parlementaire de la Belgique depuis 1831, a fait l’objet de profondes modifications lors des réformes institutionnelles décidées au cours de la législature 1991-1995. La Chambre des représentants et le Sénat élus le 21 mai diffèrent fortement des précédents, tant du point de vue du nombre de leurs membres que de la répartition du travail parlementaire. Le nombre de députés passe de 212 à 150, celui des sénateurs de 184 à 71. Cette réduction traduit la volonté d’éviter une inflation du nombre total de membres des assemblées, au moment où il est mis fin au cumul du mandat de député ou de sénateur avec celui de membre du Conseil flamand, d’une part, et celui de membre du Conseil régional wallon et du Conseil de la Communauté française, d’autre part.
Le mode de composition du Sénat change tout particulièrement. La catégorie des sénateurs provinciaux, existant depuis 1894, est supprimée, tandis qu’apparaît une catégorie nouvelle, les sénateurs de communauté. Quarante sénateurs sont élus directement, dont 15 par le collège électoral francophone (Wallonie et Bruxelles) et 25 par le collège électoral flamand (Flandre et Bruxelles); comme aux élections européennes, les électeurs bruxellois ont la faculté de voter soit pour une liste francophone, soit pour une liste flamande. Il s’y ajoute 21 sénateurs de communauté, choisis par et dans le Conseil flamand (10), le Conseil de la Communauté française (10) et le Conseil germanophone (1), et enfin 10 sénateurs cooptés (6 flamands et 4 francophones). Une représentation de la région de Bruxelles-Capitale est assurée au Sénat. Il existe par ailleurs des sénateurs de droit. Ce sont les enfants du roi ou, à défaut de ceux-ci, les descendants belges de la branche de la famille royale appelée à régner (article 72 de la Constitution).
Le travail parlementaire connaît une nouvelle répartition entre les deux assemblées fédérales, essentiellement par réduction des compétences du Sénat. Désormais, c’est devant la Chambre des représentants seule que le gouvernement exerce sa responsabilité politique. Désormais aussi, la Chambre ne peut plus renverser le gouvernement qu’en adoptant une motion de défiance constructive, c’est-à-dire en proposant une formule alternative.
Parmi les assemblées communautaires et régionales, deux sont élues dans les mêmes conditions que précédemment: le Conseil de la Communauté germanophone, composé de 25 membres élus directement, et le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, composé de 75 membres élus directement sur des listes soit francophones, soit flamandes. En revanche, le changement est important en ce qui concerne les trois autres assemblées, qui cessent d’être composées de députés et de sénateurs: le Conseil régional wallon, désormais composé de 75 membres élus directement; le Conseil de la Communauté française, composé des membres du Conseil régional wallon et de 19 membres francophones du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale; le Conseil flamand, composé de 118 membres élus directement et de 6 membres flamands du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale.
Le contexte politique des élections
La dissolution anticipée de la Chambre des représentants et du Sénat avait été décidée à l’initiative du Premier ministre, le social-chrétien flamand Jean-Luc Dehaene, dans le contexte de la publication par la Banque nationale de données favorables, permettant au gouvernement de se prévaloir de la qualité de sa gestion.
Simultanément, des dirigeants socialistes flamands faisaient l’objet de procédures judiciaires portant sur un éventuel financement occulte de leur parti; leur ancien président, Frank Vandenbroucke, était amené à présenter sa démission en tant que vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, comme cela avait été le cas au début de 1994 de dirigeants socialistes francophones. Dans les deux cas, les procédures judiciaires s’inscrivaient dans le développement de l’enquête ouverte à la suite de l’assassinat à Liège, en juillet 1991, de l’ancien président du Parti socialiste André Cools. Dans les deux cas également, elles portaient sur des aspects litigieux d’une commande d’hélicoptères militaires à la firme aéronautique italienne Agusta décidée par le gouvernement en 1988.
Dans ce contexte, les sondages préélectoraux indiquaient un recul des partis de la coalition sortante – et surtout des deux formations socialistes – et un progrès des partis d’opposition au premier rang desquels les libéraux flamands sous leur nouvelle appellation Vlaamse Liberalen en Democraten-Partij van de Burger (V.L.D.), adoptée en 1992, et les libéraux francophones du Parti réformateur libéral (P.R.L.) associés – comme aux élections européennes de juin 1994 – par un “accord de fédération” aux fédéralistes bruxellois francophones du Front démocratique des francophones (F.D.F.). Les sondages plaçaient même le V.L.D. en tête de tous les partis, supplantant ainsi le Christelijke Volkspartij (C.V.P., social-chrétien), le parti du Premier ministre. Les socialistes francophones ayant enregistré un recul sensible lors du scrutin de juin 1994 et ayant ensuite stabilisé leurs positions lors des élections communales et provinciales d’octobre 1994, c’étaient les socialistes flamands qui apparaissaient comme particulièrement menacés.
Compte tenu de la composition des futures assemblées, un des enjeux de l’élection était de savoir si l’on assisterait ensuite à la formation de coalitions politiquement différentes dans les diverses entités. Les enjeux proprement institutionnels n’ont pas dominé la campagne. Certains de ces enjeux, par exemple le maintien ou non dans sa structure unitaire actuelle du système de sécurité sociale, sont cependant posés de façon lancinante. Par ailleurs, sans qu’il s’agisse là d’une priorité, il faut observer que les élections ont été précédées à nouveau de la publication d’une nouvelle déclaration de révision de la Constitution: ce qui est révélateur du fait que l’on considère que le processus de réformes institutionnelles n’est pas arrivé à son terme.
Les résultats des élections
Les prévisions faites à partir des sondages sont infirmées: le C.V.P. conserve sa position de premier parti en Flandre, et par conséquent aussi en Belgique; le V.L.D. échoue donc dans sa volonté de le supplanter; loin de s’effondrer, le Socialistische Partij (S.P.) est en progrès par rapport à 1991.
Les résultats enregistrés en Flandre étaient les plus attendus, dans la mesure où les sondages paraissaient indiquer un bouleversement des positions respectives des partis, dans la mesure aussi où l’on savait que ces résultats seraient décisifs pour la formation du gouvernement fédéral: le Premier ministre avait en effet annoncé son intention de reconduire la coalition sortante associant les sociaux-chrétiens et les socialistes. Il n’envisageait une coalition des sociaux-chrétiens et des libéraux que dans le cas où cette reconduction serait arithmétiquement impossible. Or l’incertitude à ce propos n’existait que du côté flamand.
Le fait politique majeur demeure la dualité des systèmes de partis: il existe, d’une part, des partis flamands présents en Flandre et de façon marginale à Bruxelles et, d’autre part, des partis francophones présents en Wallonie et de façon massive à Bruxelles.
En Flandre, les trois principaux partis, C.V.P., V.L.D. et S.P., sont tous trois en progrès. Le Vlaams Blok, formation nationaliste flamande d’extrême droite, occupe la quatrième place et est également en progrès par rapport à 1991 (il devient même le deuxième parti flamand à l’élection régionale bruxelloise). Cette progression simultanée des principaux partis flamands s’explique en partie par la disparition des listes Rossem, qui avaient obtenu 5 p. 100 des voix en Flandre aux élections du 24 novembre 1991 sous la direction du financier anversois Jean-Pierre Van Rossem, en prison à cette date.
En Wallonie au contraire, seules des formations appartenant à l’opposition au gouvernement sortant apparaissent en progrès: la fédération P.R.L.-F.D.F. et le Front national (F.N., extrême droite). Un parti de la coalition sortante se maintient: c’est le Parti social-chrétien (P.S.C.). Le Parti socialiste (P.S.) est en recul important par rapport à 1991, mais se maintient par rapport à son niveau de juin 1994; s’il conserve son rang de premier parti wallon, il voit néanmoins se réduire fortement l’écart qui le sépare de la fédération P.R.L.-F.D.F. Les écologistes (Écolo) sont en recul, comme en Flandre (Agalev). Il faut d’ailleurs observer que ces deux partis ainsi que la Volksunie, également en recul, avaient apporté leurs voix à l’adoption des réformes institutionnelles décidées au cours de la législature 1991-1995.
Les élections au Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale donnent la meilleure synthèse des positions des partis dans la région, même si l’élection de référence y est celle du 18 juin 1989. Les partis francophones accentuent globalement leur prépondérance: ils détiennent désormais ensemble 65 sièges sur 75, au lieu de 64 en 1989. Le fait le plus remarquable est cependant la progression de l’extrême droite, F.N. du côté francophone, Vlaams Blok du côté flamand, par rapport à l’élection de référence. Il faut toutefois observer que, de façon générale, l’extrême droite ne progresse plus depuis les élections au Parlement européen de juin 1994. En outre, des listes du Front national – notamment celle présentée pour l’élection au Sénat – ont été rejetées pour raison de fraude.
Les assemblées wallonne et flamande ont été élues directement pour la première fois (dès leur première réunion, ces deux assemblées adopteront l’appellation de Parlement). Dans chaque assemblée, un parti est en position de choisir un partenaire en vue de la formation d’une coalition majoritaire: le P.S., d’une part, le C.V.P., d’autre part.
La formation des gouvernements
Dès le lendemain des élections, le roi Albert II entreprend les consultations d’usage et, le 28 mai, il charge Jean-Luc Dehaene de former le gouvernement fédéral. Simultanément, des contacts sont établis entre dirigeants des principaux partis en vue de la formation des gouvernements communautaires et régionaux.
Le formateur désigné par le roi, qui est aussi le Premier ministre sortant, voit se conforter sa position: il est celui des candidats à l’élection directe au Sénat qui obtient dans le collège électoral flamand le plus grand nombre de votes de préférence (484 305), devançant le président du S.P., Louis Tobback (453 700 voix), et celui du V.L.D., Guy Verhofstadt (423 335). Dans le collège électoral francophone, qui est moins nombreux, l’ordre est le suivant: le président du P.S., Philippe Busquin (267 264 voix), devant celui du P.R.L., Jean Gol (259 476), et celui du P.S.C., Gérard Deprez (130 976).
L’importance numérique respective des groupes politiques dans les assemblées indique que, dans chacune d’entre elles, un parti est maître du jeu de la coalition: le C.V.P. pour la communauté flamande, le P.S. pour la région wallonne, la fédération P.R.L.-F.D.F. pour la région de Bruxelles-Capitale, le P.S.C. pour la communauté germanophone.
Tous les gouvernements associent les sociaux-chrétiens et les socialistes, à la seule exception du gouvernement régional bruxellois, auquel participent la fédération P.R.L.-F.D.F. et, de façon marginale, la Volksunie, mais non les sociaux-chrétiens francophones. Malgré leur progression, les libéraux restent cantonnés dans l’opposition; le président du V.L.D. a d’ailleurs décidé de démissionner de son poste.
Tous les accords de gouvernement négociés et conclus entre les partis des diverses coalitions mettent l’accent sur les préoccupations d’ordre budgétaire et placent parmi les priorités les mesures pour l’emploi et contre l’exclusion.
Le 23 juin, tous les exécutifs sont constitués: c’est la première fois, depuis le printemps de 1961, qu’au lendemain d’élections le processus de formation gouvernementale a été aussi rapide.
Encyclopédie Universelle. 2012.