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POLYA (G.)
POLYA (G.)

George PÓLYA 1887-1985

George Pólya est une des grandes figures mathématiques du XXe siècle: par l’étendue et la variété de son œuvre, par sa personnalité, par sa popularité. Héritier de la tradition hongroise, homme d’esprit et de culture, passionné par la science et par l’enseignement, il fut l’un des grands savants européens que la guerre amena aux États-Unis. Au cours de sa longue vie active — il donna encore un cours de combinatoire à l’âge de quatre-vingt-onze ans, qui fut rédigé et édité en 1983 —, il publia près de deux cent cinquante articles scientifiques et sept ouvrages, dont les plus connus sont le «Pólya-Szegö» (Aufgaben und Lehrsatze der Analysis, 1924), qui fut la bible de plusieurs générations d’analystes, et surtout How to Solve It? (1945), qui fut traduit en seize langues (en français: Comment poser et résoudre un problème? ) et diffusé à un million d’exemplaires. Le plus significatif de ses livres accessibles à un très grand public a pour titre français Les Mathématiques et le raisonnement plausible (1958); lui seul suffit à expliquer le rôle considérable et permanent de Pólya dans l’enseignement mathématique. Il collabora avec de nombreux mathématiciens de premier plan. Parmi eux, Gabor Szegö, son cadet de sept ans, mérite une mention spéciale: leur collaboration fut constante, comme leur amitié, et leurs vies sont inséparables.

George Pólya naquit à Budapest le 13 décembre 1887, dans une famille de la bourgeoisie intellectuelle. Après le lycée, il commença à étudier la médecine et le droit. Puis il se tourna vers le grec et le latin. Puis vers la philosophie, la physique et les mathématiques. Enfin, il opta pour les mathématiques. Il explique son choix en ces termes: «Je ne me suis pas trouvé assez bon pour la physique, et trop pour la philosophie; entre les deux, il y avait les mathématiques» (extrait d’une interview qu’il donna à l’âge de quatre-vingt-dix ans). Ses grandes références, à l’époque, sont Ernst Mach et Hippolyte Taine. Sa thèse (1912) porte sur l’interprétation des probabilités comme volumes ou rapports de volumes à n dimensions. Après des séjours à Vienne (1910-1911), à Göttingen (1912-1914) et à Paris (1914), il s’installe à Zurich auprès de Hurwitz. C’est à l’École polytechnique fédérale de Zurich qu’il travaille de 1914 à 1940, comme professeur à partir de 1928. Il y acquiert une expérience de l’enseignement très variée; il a pour auditeurs des étudiants en chimie, en architecture, en ingénierie. C’est une période de grande production scientifique: probabilités, et en particulier théorème limite central (Zentraler Grenzwertsatz: la terminologie lui est due) et promenade au hasard (notion dont il est l’initiateur), fonctions spéciales, intégrales définies, zéros des polynômes ou des fonctions entières, théorie de l’approximation, équations algébriques, singularités et propriétés arithmétiques des fonctions analytiques, séries de Taylor et de Dirichlet et rôle des lacunes, fonctions entières de type exponentiel et intégrales de Fourier, fonctionnelles linéaires sur des espaces de fonctions, inégalités numériques, formes bilinéaires, capacités et dimensions, théorie du potentiel, corps convexes, problèmes combinatoires, réflexions sur l’heuristique et sur l’enseignement, tels sont les principaux sujets traités dans les cent cinquante articles de cette période. En commun avec G. Szegö, il rédige ses fameux exercices d’analyse (1924), qui sont alors à la pointe de la connaissance. Avec G. H. Hardy et J. E. Littlewood, il écrit Inequalities (1934).

L’an 1940 est le début d’une nouvelle carrière. Fuyant l’Europe de la guerre et du fascisme, il émigre aux États-Unis. Gabor Szegö l’y avait précédé et dirigeait alors le département de mathématiques de Stanford. Sur son invitation, Pólya s’installe à Stanford en 1942. Il y prend officiellement sa retraite en 1953; en fait, il reste actif, avec le titre de professeur émérite. Il se tourne particulièrement, pendant cette longue période, vers le monde extérieur. Le monde physique, qui lui a déjà suggéré ses plus beaux résultats combinatoires, alimente maintenant les travaux qu’il mène, seul ou avec Szegö, sur la vibration des membranes, sur la résistance à la torsion, et de façon générale sur «l’estimation des quantités physiques à partir de données géométriques, l’estimation de ce qui est le moins accessible à partir de ce qui l’est le plus» (citation extraite de la préface de l’ouvrage de synthèse sur ces questions, écrit avec Szegö: Isoperimetric Inequalities ). Le monde de l’enseignement s’ouvre à lui. Avec How to Solve It? (1945), ses conseils pédagogiques pénètrent dans les écoles et les foyers, et sa vision des mathématiques se répand largement; il vaut la peine d’y revenir aujourd’hui. Les honneurs pleuvent: Académie des sciences de Hongrie, Académie des sciences de Paris, Académie internationale de philosophie des sciences de Bruxelles, American Academy of Arts and Sciences, National Academy of Sciences (1976). Plusieurs prix portent son nom. Ses œuvres principales (hors les livres) sont éditées en quatre volumes, dont les deux derniers viennent de paraître.

Gabor Szegö meurt à Stanford le 7 août 1985. Un mois après, c’est le tour de Pólya. La dernière signature de Pólya montre quelle attention il continuait, juste avant sa mort, de porter aux grands problèmes du monde: elle figure au bas d’un appel de mathématiciens pour le gel des armements nucléaires (Mathematicians’ Freeze Appeal).

Donnons quelques aperçus — nécessairement arbitraires — de la production scientifique et littéraire de Pólya.

La courbe de Pólya (1913), variante d’une courbe de Peano, est une courbe qui remplit un triangle rectangle. On part d’un tel triangle et on le divise en deux au moyen de sa hauteur: on obtient deux triangles rectangles, semblables au précédent, qu’on désigne par 0 et 1. En répétant l’opération sur ces deux triangles, on obtient quatre nouveaux triangles, 00, 01, 10, 11. On répète indéfiniment: on obtient des triangles de plus en plus petits, toujours semblables au triangle de départ, et toute suite illimitée de 0 et de 1 correspond à des triangles emboîtés dont l’intersection se réduit à un point. Ainsi, à un nombre t écrit dans le système binaire (0 D t D 1), correspond un point du triangle, et tout le triangle est balayé lorsque t parcourt l’intervalle [0, 1].

Les fonctions de Pólya (1949) sont les fonctions f (x ) qui sont positives, paires, nulles à l’infini et convexes sur la demi-droite x P 0; elles fournissent toute une classe de fonctions caractéristiques au sens des probabilités.

Parmi les nombreux théorèmes de Pólya sur les fonctions analytiques, voici une perle (1927): Si (ln ), est une suite positive de densité nulle (n /ln X 0) et si f (s ) est, au voisinage d’un point, approchable par des combinaisons linéaires des exponentielles lns ), le domaine d’existence de f est convexe.

Voici une autre perle, point de départ de beaucoup de travaux: La plus petite fonction entière transcendante qui applique N dans Z est f (z ) = 2z (1915).

Les fonctions entières de type exponentiel (terme introduit par Pólya en 1922) jouent dans ces questions un rôle essentiel, comme dans la théorie des transformées de Fourier (théorèmes de Paley-Wiener, 1934; de Pólya et Plancherel, 1936). Les fonctions de Pólya-Schur (1914) sont les fonctions d’une variable complexe qui, dans un voisinage de zéro, sont approchables par des polynômes à racines réelles: ce sont nécessairement des fonctions entières de type exponentiel multipliées par une fonction de Gauss. Les travaux de Pólya sur les racines réelles ont une descendance directe dans la théorie des transitions de phase (voir le commentaire de Mark Kac, in Œuvres , vol. II). La théorie de Pólya en combinatoire est une méthode de décompte — au moyen de fonctions génératrices à plusieurs variables — pour des configurations obtenues en plaçant des objets donnés aux sommets d’un polyèdre donné. L’origine et l’application principale (encore utilisée par les chimistes) est le décompte des isomères; le premier exposé — et l’un des meilleurs — se trouve en deux pages des Comptes rendus (1936); le dernier se trouve dans le livre de 1983 (Pólya-Tarjan-Woods). On y voit, par exemple, que le nombre maximum des alcools aliphatiques Cn H2n +1 est respectivement de 1, 2, 4, 8, 17, 39 pour n = 2, 3, 4, 5, 6, 7.

Pour terminer de façon moins austère, donnons la parole à Pólya. «Notre but: aider l’élève.» Ce sont les premiers mots par lesquels Pólya s’adresse aux enseignants (How to Solve It? ). Il développe ses conseils en quatre parties: I. Comprendre le problème; II. Concevoir un plan; III. Mettre le plan à exécution; IV. Examiner la solution. Dans la partie II figurent les conseils clés, qui sont à la base de l’heuristique selon Pólya: «Si vous ne pouvez pas résoudre le problème qui vous est proposé, essayez de résoudre d’abord un problème qui s’y rattache. Pourriez-vous imaginer un problème qui s’y rattache et qui soit plus accessible? un problème plus général? un problème plus particulier? un problème analogue?» Un de ses exemples favoris est le suivant: En combien de régions cinq plans placés de façon quelconque divisent-ils l’espace à trois dimensions? pour répondre, il est bien indiqué de généraliser (5 = n, 3 = p ) puis de particulariser (p = 2, p = 1)! La personnalité de Pólya éclate dans ces ouvrages d’enseignement. Philosophe: «Les mathématiques présentées avec rigueur sont une science systématique, déductive; mais les mathématiques en gestation sont une science expérimentale, inductive.» Pédagogue: «Il n’existe pas d’idée franchement mauvaise... Ce qui est franchement mauvais, c’est de ne pas avoir d’idée du tout.» Avisé: «En matière d’enseignement, la première règle est de bien connaître ce qu’on est censé enseigner; la seconde, c’est en connaître un peu plus.» Plaisant: «En matière de style, la première règle, c’est d’avoir quelque chose à dire; la seconde, c’est, quand on a deux choses à dire, de les énoncer l’une après l’autre et non les deux en même temps.» Caustique: «Qu’est-ce qu’un philosophe? C’est un homme qui sait tout, mais rien d’autre.» Gentil (à propos du raisonnement par analogie, et d’un petit garçon de sa connaissance, dont on menait le chien chez le vétérinaire): «Le petit garçon demande “Qu’est-ce que c’est, un vétérinaire? — C’est le docteur des animaux. — Et qu’est-ce que c’est comme animal, un docteur des animaux?”»

Encyclopédie Universelle. 2012.