JAMAÏQUE
Au milieu de la mer des Caraïbes, la Jamaïque – la Yemaya des indigènes – offre sur une superficie de 10 991 kilomètres carrés «une riche collection de paysages merveilleux» (Maximilien Sorre). Conquise par les Anglais en 1655, cette île, la troisième par la taille après Cuba et Haïti, a été pendant longtemps un maillon faible de l’empire espagnol. L’importance de sa position géographique et stratégique a été décuplée après l’ouverture du canal de Panamá en 1914.
1. L’occupation espagnole
L’occupation espagnole débute peu après la découverte de la Jamaïque en 1494. Elle se heurte à la population indigène, estimée à environ 600 000 personnes. Ces habitants sont apparentés aux insulaires d’Haïti et parlent la même langue. La conquête de l’île, entreprise en 1509 par un groupe de conquistadores ayant à sa tête Juan de Esquivel et Panfilo de Narváez, provoqua la résistance acharnée des indigènes sous la direction des caciques jamaïcains, dont Ameyro et Huareo. Cet affrontement entraîna comme partout ailleurs aux Caraïbes un effondrement démographique qui s’accélère avec la traite amérindienne. Le gouverneur Francisco de Garay entreprend en 1516 l’exportation d’une main-d’œuvre indigène vers les îles voisines. La découverte de gisements d’or en 1518 – plus tardivement que dans les territoires voisins – pose des problèmes d’exploitation, faute de travailleurs indigènes. Attirée par la proximité de la Terre ferme et de ses richesses naturelles, la population espagnole ne s’y fixe pas. De 1550 à 1650, la population totale de la Jamaïque se maintient autour de 1 500 habitants. Au début du XVIIe siècle, la Jamaïque compte 558 esclaves, 523 Espagnols, 173 enfants, 107 Nègres, 75 étrangers et 74 Indios (indigènes). Quarante ans plus tard, une épidémie de variole la réduit à 800 personnes seulement. Il n’est donc pas étonnant que, pendant plus d’un siècle, de 1520 à 1635, la Jamaïque espagnole vive au ralenti, avec un seul ingenio (moulin à sucre) en 1570, et n’exportant que des cuirs, des plantes médicinales (gaïac) et du gingembre (appelé faux poivre). Le siège de la colonie, fondé par Esquivel en 1534, se trouve à Santiago de la Vega – plus tard Sevilla la Nueva – près de St. Ann’s Bay. Deux autres localités ont été créées au début de la colonisation: Melilla, au voisinage de Port Maria, sur la côte nord, et Oristan, sur la côte sud-ouest, près de Bluefields. Après sa mise à l’écart du grand courant commercial axé sur Séville, en 1634-1636, la Jamaïque attire les Anglais qui débarquent en mai 1655 et occupent la capitale après le lamentable échec de la tentative de conquête de Santo Domingo par l’armada envoyée par Cromwell (Western Design). Spanish Town devient alors capitale de la colonie anglaise jusqu’en 1872. L’île est reconnue possession anglaise par les Espagnols au traité de Madrid en 1670. Les Nègres esclaves s’étant désolidarisés de leurs maîtres espagnols à l’arrivée des Anglais poursuivent une résistance acharnée dans la région du Cockpit. Avec eux débute la première guerre des Marrons qui ne prend fin qu’avec le traité de Trelawny (1738).
L’armée anglaise, tenue en échec par ces «Maroons», doit reconnaître liberté et autonomie aux établissements créés par les communautés de «Nègres marrons» ayant à leur tête Cudjoe, Accompong, Nanny, Quao et Cuffee.
2. Colonisation anglaise et résistances
Sous la domination anglaise, l’industrie sucrière se développe le long des côtes grâce à l’apport considérable d’une main-d’œuvre acquise par la traite négrière. Le nombre des esclaves en augmentation constante et l’exportation des sucres font la fortune des propriétaires de plantations. Quelques colons opulents, «absentéistes», se font connaître dans la société londonienne tandis que leurs gérants s’occupent de leurs terres et de leurs Nègres. La résistance des Nègres marrons se maintient, irréductible, jusqu’à la fin du système esclavagiste au XIXe siècle. Elle est menée par des chefs dont les archives judiciaires ont parfois conservé les noms, tels Tacky, Kofi au XVIIIe siècle, ou Sam Sharpe en 1831, deux ans avant le vote de l’Abolition Bill par le Parlement britannique. Plusieurs guerres des Marrons ponctuent l’histoire de la Jamaïque, avant une déportation massive de rebelles vers le Canada (Nova Scotia) à la fin du XVIIIe siècle.
Le pouvoir colonial s’est identifié pendant deux siècles (1664-1865) au régime de représentation parlementaire (representative system ). Une Assemblée de planteurs vote le budget de la colonie, rémunère les administrateurs, dont le gouverneur, et entretient une milice pour le contrôle des esclaves. Très tôt se manifeste une opposition entre planteurs élus au suffrage censitaire, relativement autonomes, et le pouvoir central (Colonial Office de Londres) cantonné dans un rôle consultatif mais chargé de la défense militaire. Cette tension ne disparaît qu’en 1866, quand la Jamaïque devient «colonie de la Couronne».
La Jamaïque compte 23 000 Blancs et 260 000 Nègres en 1788. Le nombre des gens de couleur et de Noirs libres s’accroît surtout pendant les premières décennies du XIXe siècle: ils sont 45 000 en 1834 (pour 311 070 esclaves et 15 000 Blancs). Cette augmentation des libres a des conséquences politiques qui se traduisent par l’accès à l’Assemblée d’un groupe d’hommes de couleur tels que Robert Osborn, Edward Jordan, C. A. Price, Samuel Jackson Prescod et George William Gordon. Sir Charles Grey, secrétaire d’État aux Colonies, distingue vers 1850 deux groupes dans l’Assemblée jamaïcaine: les planteurs et propriétaires d’habitations (unités de production sucrière) appauvris et les négociants, dont les intérêts sont communs, qui forment le Country Party (50 p. 100); le groupe des hommes de couleur (30 p. 100) et celui des marchands juifs et juristes (20 p. 100), qui forment le Town Party.
3. Élimination de l’esclavage
Le mouvement abolitionniste anglais (les sociétés anti-esclavagistes furent nombreuses, parmi lesquelles la British and Foreign Anti-Slavery Society) se heurte aux intérêts des planteurs. L’insurrection des Nègres esclaves en 1831-1832, dans la partie ouest de l’île, incite Londres à prendre la décision finale: l’Emancipation Bill, voté par le Parlement le 29 août 1833, entre en vigueur le 1er août 1834. Le décret déclare libres les enfants âgés de moins de six ans. Tous les autres, enfants et adultes de plus de six ans, doivent rester en apprentissage auprès de leurs maîtres: pendant quatre ans pour les domestiques et six ans pour les travailleurs agricoles. Des magistrats spéciaux sont nommés par Londres pour contrôler la bonne marche de ce système. Cette mesure d’apprentissage avait été retenue par le gouvernement anglais pour favoriser les planteurs en maintenant des travailleurs sur leurs terres et en leur accordant une indemnité de 20 millions de livres. Le système de l’apprentissage prit fin le 1er août 1838, deux ans avant le terme prévu, n’ayant pas donné les résultats escomptés. C’est au cours de cette période que s’ouvrirent les premières banques: une succursale de la Colonial Bank of London et la Planters’ Bank, une banque locale.
Après la suppression de l’esclavage, l’antagonisme latent entre l’Assemblée jamaïcaine et le gouvernement de Londres persista. Le vieux système représentatif se maintint contre vents et marées, mais les interventions directes du pouvoir central se faisaient de plus en plus pressantes. La crise éclata en 1839, quand l’Assemblée refusa de promulguer certaines mesures sociales visant à restreindre le pouvoir de l’oligarchie terrienne (West India Prisons Act). Mais cette catégorie de propriétaires s’endettait de manière croissante auprès des nouvelles banques, et cette dépendance financière les poussa à assouplir leur position vis-à-vis du pouvoir central de Londres. L’idée d’une «colonie de la Couronne» (Crown Colony ) faisait son chemin. Les résistances se firent encore sentir pourtant en 1854 quand l’Assemblée vota l’Act for the Better Government of this Island qui en restreignait l’accès aux députés de couleur en créant un comité exécutif réservé à des propriétaires triés sur le volet. Seulement 753 électeurs désignaient les membres d’une Assemblée qui devait gouverner 450 000 habitants.
4. Les transformations économiques et sociales
Après 1838, l’économie de la Jamaïque entra dans une phase de mutations qui se poursuit encore de nos jours. Au début de ce processus, certains facteurs, comme l’abandon de nombreuses habitations, la chute du prix du sucre sur le marché de Londres et la crise qui affecte la production sucrière – crise qui va durer jusqu’à la fin du XIXe siècle – ébranlent fortement les structures de la société jamaïcaine. L’établissement de nombreux nouveaux libres sur des terres en friche renforce une tension sociale toujours vive. Ces paysans qui s’établissent ainsi de manière autonome, en dehors des contraintes de la monoculture sucrière, sont 2 114 en 1838, 27 379 en 1845 et environ 50 000 en 1861. Le mode d’occupation des terres en friche se fait par achat, individuel ou collectif (free villages ), par location ou par métayage. Cette nouvelle paysannerie (free holders ) s’attache à pratiquer une culture diversifiée qui permet l’ouverture du marché agricole jamaïcain sur l’extérieur, îles voisines et États-Unis. Les principales cultures pratiquées par la majorité de ces petits fermiers sont d’abord celles des denrées vivrières (tubercules, fruits), et d’autres cultures tropicales: tabac, banane, gingembre, cacao, café, cannelle et canne à sucre. Une partie de cette production agricole est consommée sur place, le reste étant vendu ou exporté. On peut distinguer trois phases dans le développement de cette paysannerie: une première phase qui prend naissance immédiatement après l’abolition de l’esclavage met dans le circuit des terres cultivables les «mauvaises» terres ou les parties retirées des grandes plantations pour assurer la subsistance des anciens esclaves; une deuxième phase utilise des plantations laissées à l’abandon; dans une troisième phase, ce sont les terres appartenant à la Couronne, à l’intérieur de l’île, qui sont occupées et mises en culture. Des facilités de transport et de marché rendent possible une culture orientée vers l’exportation dès la deuxième vague de colonisation (1870-1910) avec le développement de la production de la banane. Ces petits fermiers (small holders ) sont au nombre de 132 169 en 1902. La troisième phase ne commence qu’en 1938 avec le Land Settlement Programme (1938-1962).
5. Crise économique et insurrection
Malgré les difficultés de la conjoncture, la monoculture sucrière se maintient. La production passe cependant de 72 198 tonnes en 1828 à 19 934 tonnes en 1894. L’arrivée sur le marché mondial de nouveaux producteurs de sucre (île Maurice, Inde et surtout Cuba) fait perdre leur monopole aux planteurs jamaïcains (Sugar Equalisation Duties Act de 1846, entré en vigueur en 1854). En contrepartie, le gouvernement britannique annule, en 1849, les Navigations’ Acts en vigueur depuis le milieu du XVIIe siècle, permettant ainsi aux colonies des Antilles d’élargir leurs débouchés, de s’ouvrir vers la France et les États-Unis principalement. La crise sucrière qui dure sur près d’un siècle (1815-1910) est aggravée par la concurrence de la betterave qui se révèle décisive à partir de 1860. La superficie des terres cultivées en canne à sucre décroît considérablement et affecte l’industrie du sucre jamaïcaine qui se modernise peu. Quelques timides tentatives sont entreprises pour diminuer les coûts de production: mécanisation (charrue, utilisation de machines à vapeur dans les usines), expérimentation d’engrais. Mais l’équipement des usines reste vétuste, faute de moyens financiers. Les chemins de fer apparaissent, en 1845, et les salaires sont fortement réduits par les planteurs qui s’orientent vers l’emploi d’une main-d’œuvre fournie par l’immigration.
La crise économique se combine à une forte tension sociale après que les planteurs eurent resserré leur étreinte politique. Dans le district de St. Thomas, situé dans la partie orientale de l’île, une simple affaire de vol prend une dimension tragique. Voulant freiner la montée des hommes politiques de couleur, des magistrats à la solde des planteurs prennent le risque de susciter une révolte de la population noire. Au vrai, depuis l’arrivée dans l’île en 1862 du gouverneur Edward Eyre, les émeutes se succèdent presque sans interruption en réponse aux mesures impopulaires édictées par cet administrateur qui semble poursuivre un plan bien défini. En octobre 1865, l’insurrection de Morant Bay, qui fait vingt-huit victimes le premier jour (11 oct.), est matée avec vigueur par le gouverneur qui fait appel non seulement à la milice mais aussi aux Marrons et aux troupes régulières acheminées par mer de Kingston. La répression est terrible, près de six cents personnes sont exécutées après un simulacre de procès devant une cour martiale. Le pouvoir colonial en profite pour se débarrasser de deux des principaux chefs de la communauté de couleur, George William Gordon et Paul Bogle. En novembre de la même année, jouant sur la peur que fait courir en Jamaïque la menace d’un second Haïti, Eyre se justifie devant l’Assemblée en évoquant «un formidable danger qui pèse sur l’île». Mais c’est finalement la situation financière difficile des planteurs qui influence leur décision d’abolir l’Assemblée. Cette vacance permet au Colonial Office, en juin 1866, d’établir un régime de «colonie de la Couronne» en réservant au gouverneur la charge de nommer ses conseillers. Le gouverneur Eyre fut blâmé après enquête d’une commission royale envoyée de Londres, et il fut rappelé en Angleterre. Sir John Peter Grant, qui le remplaça, passe pour avoir été pendant huit ans (1866-1874) un modèle pour les gouverneurs des autres îles anglaises qui devinrent également, à cette époque, des «colonies de la Couronne».
6. «Colonie de la Couronne»
Vers 1880-1885, la production sucrière, qui a fortement baissé, est essentiellement assurée par de petits planteurs qui livrent leur récolte de canne à sucre aux usines. Le mouvement de concentration des terres n’apparaît qu’à partir de la décennie 1920-1930, quand la West Indies Sugar Company rachète et regroupe de larges surfaces cultivables. Au début des années 1970, la part des petits planteurs dans la production de la canne à sucre en Jamaïque n’atteignait plus que 8 p. 100 de la récolte totale. La production de banane lancée par un Nord-Américain, L. D. Baker, en 1872, se développe à la fin du XIXe siècle sous l’impulsion d’une compagnie multinationale, la Boston Fruit Company, qui donne naissance, en 1899, à la United Fruit Company.
Prétextant un manque de main-d’œuvre, les planteurs interviennent auprès de Londres pour faire venir en Jamaïque des travailleurs étrangers. Un important courant d’immigration se poursuit de 1830 à 1917. 5 000 Européens arrivent dans l’île de 1830 à 1880, 33 000 Indiens de 1838 à 1917, 5 000 Chinois de 1860 à 1893 et 10 000 Africains entre 1840 et 1862.
Grâce aux efforts de Joseph Chamberlain, secrétaire d’État aux Colonies entre 1895 et 1903, des crédits sont débloqués pour la modernisation de l’industrie sucrière (construction d’usines centrales), une aide est apportée aux petits planteurs. Le budget de l’île est rééquilibré pour un temps, une Botanic Station est créée pour l’information agricole et à Londres s’ouvre un département d’Agriculture (West Indian Department of Agriculture) au ministère des Colonies. Après une courte période de croissance de l’économie sucrière pendant la Première Guerre mondiale, alors que la production de betterave avait quasi cessé en Europe, la crise économique mondiale des années 1929-1935 n’épargne pas la Jamaïque. Le gouvernement colonial se révèle incapable de surmonter cette profonde dépression économique et sociale. Le mécontentement urbain et rural se traduit par des grèves et des émeutes: à Kingston, en 1937, et à Frome, en 1938, où il y a des morts. Plusieurs syndicats émergent entre 1898 (Artisans’ Union) et les années 1935-1936, quand Alexander Bustamante et Allen Coombs organisent le Jamaica Workers Trades Union (J.W.T.U.). Au cours de la décennie précédente, Marcus Garvey avait essayé d’enraciner dans son île natale son mouvement, l’United Negro Improvement Association, mais sans succès. Il avait en outre fondé la Jamaican Political Association, en 1921, et le People’s Political Party, en 1929. C’est sous l’impulsion de ce grand homme jamaïcain que va progresser la prise de conscience des Nègres de leur héritage africain.
Les troubles sociaux des années 1930 provoquent finalement d’importantes modifications politiques en 1944. Le Conseil législatif est remplacé par une Chambre des représentants élue au suffrage universel et un Conseil législatif de treize membres. Le gouverneur est assisté d’un Conseil privé de six membres. Plus tard, en 1953, de nouvelles réformes prévoient l’existence d’un Conseil exécutif avec des ministres ayant des responsabilités politiques. Ces réformes se concrétisent en novembre 1957 quand le Conseil exécutif est remplacé par un Conseil des ministres nommé par le gouverneur sur avis du Chief Minister qui devient Premier ministre en 1959. Après son retrait de la Fédération des West Indies (référendum du 19 sept. 1961), la Jamaïque devient, le 6 août 1962, une nation indépendante au sein du Commonwealth.
L’accroissement de la population (695 000 habitants en 1896, 858 000 en 1921, 1 139 000 en 1936) est freiné entre 1880 et 1935 par un important courant d’émigration que favorisent le déclin de l’esclavage à Cuba et de grands travaux en Amérique centrale (construction du canal de Panamá). De nombreux Jamaïcains vont chercher du travail aux États-Unis et au Canada. Le courant migratoire vers les États-Unis, freiné en 1924 par la loi des quotas, prendra une nouvelle ampleur à partir de 1961. Entre 1881 et 1920, près de 150 000 Jamaïcains auront quitté leur pays pour vivre à l’étranger. Après la Première Guerre mondiale, une seconde vague d’émigration s’orienta vers l’Angleterre jusqu’en 1961 (Commonwealth Immigration Act). Au début des années 1980, la diaspora jamaïcaine compte environ 2,2 millions de personnes.
7. Partis politiques
La tension sociale de la décennie 1930-1940 finit par donner naissance aux deux partis politiques qui se partagent encore les suffrages des électeurs jamaïcains. Bustamante, qui fonde en 1938 le Bustamante Industrial Trades Union (B.I.T.U.), favorise la création du People’s National Party (P.N.P.), par son cousin Norman Manley. Bridé pendant la guerre, le B.I.T.U. répond par des grèves dures qui finissent par conduire le gouverneur à arrêter son leader. Relâché en février 1942, Bustamante rompt avec Manley qui s’était occupé du B.I.T.U. pendant son absence, et fonde le Jamaican Labour Party (J.L.P.). Aux élections de 1944, le J.L.P. l’emporte (23 sièges sur 32) devant le P.N.P. Cette victoire est confirmée aux élections de 1949 (17 sièges sur 13), et Bustamante, après avoir pris la tête du parti gouvernemental, devient Chief Minister. Mais il est devancé par Manley et le P.N.P. aux élections de 1955; ce dernier forme le cabinet et devient Premier ministre en 1959. L’échec des tentatives de formation d’autres partis (Farmers’ Party et Parti démocratique jamaïcain) laisse seuls face à face les deux grands partis, J.L.P. et P.N.P., et leurs alliés respectifs. Alors que le J.L.P. gagnait les élections de 1962 et de 1967, le P.N.P. se retrouvait au pouvoir de 1972 à 1980. Les élections du 30 octobre 1980 ont vu la victoire du J.L.P. après une campagne très mouvementée. Le gouvernement du J.L.P. est l’alliance de deux groupes: le groupe des propriétaires terriens, des négociants et du lumpenprolétariat sans travail des milieux urbains. Il est dirigé par le Premier ministre Edward Seaga. L’autre groupe comprend les travailleurs du B.I.T.U. et les paysans fidèles à l’héritage de Bustamante. Il est dirigé par Hugh Shearer. Dans l’opposition se trouvent Michael Manley (le fils de Norman Manley) qui dirige le P.N.P. et ses amis du Workers Party of Jamaica (W.P.J.). Depuis sa formation, le P.N.P. a été lié au Trades Union Congress devenu en 1952 le National Worker’s Union.
Des contradictions d’ordre social et racial se sont déjà manifestées au cours des luttes des années 1968-1970: Black Power, exclusion de Walter Rodney et répression gouvernementale contre l’université des West Indies (créée en 1962 à Mona).
8. Production et exploitation
Les recommandations de lord Moyne dans son rapport (Commission royale, 1938-1939) eurent des répercussions sur le plan social (création d’écoles et services de santé) et sur l’évolution de l’exportation du sucre. La proposition qu’il émit, selon laquelle le Royaume-Uni achèterait le sucre jamaïcain à un prix qui couvrirait les coûts de production, fut reprise pendant la guerre. La surface cultivée en canne à sucre passa de 18 616 hectares en 1938 à 26 306 hectares en 1943 grâce à cette mesure de protection (Commonwealth Sugar Agreement). Malgré l’abandon des coopératives qui ont fait faillite, le chiffre élevé de la dette dans ce secteur, qui dépasse 200 millions de dollars et une productivité très insuffisante – quand on la compare à celle de la Barbade par exemple –, le sucre demeure la culture la plus importante. Un projet de restructuration de l’industrie sucrière est mis en chantier. Douze raffineries produisent 232 200 tonnes de sucre en 1991, à partir de 60 000 hectares. La production de bananes est passée d’un niveau record de 384 000 tonnes en 1971 à 158 000 tonnes en 1979 et la production d’agrumes de 168 000 tonnes en 1971 à 70 000 tonnes en 1980. Le programme gouvernemental avait pour objectif de ramener la production de bananes à 150 000 tonnes pour lesquelles des débouchés sont assurés au Royaume-Uni. Le café (2 264 tonnes en 1979) expédié au Japon, le gingembre, le cacao, les conserves et les confitures sont autant de produits qui ont connu pendant les années 1970 des niveaux variables de production. La noix de coco, le tabac, les agrumes et la sylviculture sont également une source potentielle de revenus. Des tentatives étayées par une aide financière allemande sont faites afin de promouvoir la pêche en haute mer. En outre, le ministère de l’Agriculture a mis au point un programme de développement de la pêche en eau douce qui devait, en 1983, déboucher sur la production de 1 500 tonnes de poisson. En 1981 a été lancée une nouvelle campagne publicitaire visant à consolider l’industrie du tourisme en déclin. Cela est important pour le gouvernement, car l’utilisation intégrale de l’infrastructure touristique jamaïcaine est l’un des moyens les plus simples d’accroître le flux de devises dans le pays.
La Jamaïque dispose d’un des plus grands gisements de bauxite du monde. Les réserves connues de bauxite dépassent 2 milliards de tonnes. La production annuelle est de 11 à 12 millions de tonnes – la Jamaïque est le troisième pays exportateur – et on estime que ce volume de production se maintiendra encore pendant cent cinquante ans. Il s’agit essentiellement de gisements de surface qui s’étendent au nord et au sud du pays. La moitié de la production de bauxite est expédiée à l’état brut aux États-Unis par les ports spéciaux de Ocho Ríos et Port Kaiser. L’autre moitié est en partie exportée vers le Canada – par Port Esquivel – et en partie transformée sur place par quatre raffineries dont la capacité totale de production est de 2,7 millions de tonnes par an. La Jamaïque ne dispose cependant d’aucune fonderie d’aluminium, en raison principalement des contraintes énergétiques. L’exploitation de la bauxite a commencé après la Seconde Guerre mondiale avec l’établissement de trois compagnies des États-Unis (Reynolds en 1952, Kaiser en 1953 et Alcoa dans les années 1960) et de la firme canadienne Alcan qui a été la première à exporter de l’aluminium. En raison de la crise du pétrole, le gouvernement Manley s’est vu, en 1974, dans l’obligation d’accroître la taxation des compagnies, de racheter l’emplacement des mines, mettant fin, ainsi, aux locations à bail de quarante ans, et engagea du capital sous forme d’actions dans les compagnies d’exploitation. En 1980, le pétrole représentait plus de 98 p. 100 de la consommation énergétique, la facture globale d’importation atteignant 38 p. 100 et utilisant 48 p. 100 des recettes en devises du pays. Le gouvernement entendit diversifier les sources d’énergie et, dans une première phase, allant jusqu’en 1985, il encouragea une utilisation accrue du charbon et le développement du chauffage solaire.
9. Inflation, chômage et violence
Le J.L.P. avait promis d’ouvrir une voie nouvelle au développement économique du pays sous le slogan: «libérer l’économie». Trois points étaient prioritaires: développer les productions d’exportation, industrialiser, libérer le marché. Dès 1981, le gouvernement avait conclu un accord avec le Fonds monétaire international (F.M.I.) qui prévoyait un prêt de 600 millions de dollars, réparti sur une période de trois ans.
Le prêt visait essentiellement à réduire le rôle de l’État dans l’économie, à freiner le taux de croissance des salaires réels, à restaurer le marché comme unique régulateur de l’économie et à garantir un accueil favorable aux capitaux étrangers. Seaga, qui déclara ouvertement son soutien à Reagan, se fit le champion d’un projet de mini-plan Marshall pour la région des Caraïbes. L’idée essentielle était qu’une masse d’investissements privés et une aide gouvernementale devaient être mobilisés pour promouvoir la croissance et l’emploi dans la région et, bien sûr, objectif non avoué, freiner le communisme. Selon Seaga, le Caribbean Basin Plan – c’était son nom officiel – requérait pour la région une aide de 3 milliards de dollars pour une période indéterminée.
Des mesures de dénationalisation et d’accueil des investissements étrangers ont permis, selon le gouvernement jamaïcain, la création de 37 000 emplois et amélioré la balance des paiements. Mais la dette nationale, qui était, en juin 1981, de 2 milliards de dollars, a en fait augmenté de 25 p. 100. La production agricole pour l’exportation (sucre, bananes) n’a pas repris. La production manufacturière, d’après une enquête de la Jamaica Manufacturers’ Association réalisée en septembre 1981, était en constante diminution. En outre, le nombre des adultes illettrés, estimé à plus de 500 000 en 1971, n’a pas décru malgré les efforts du Mouvement jamaïcain pour le progrès de l’alphabétisation (Jamal) depuis 1972. De nombreux jeunes quittent encore l’école pratiquement illettrés.
Les États-Unis souhaitaient faire de la Jamaïque une «vitrine» américaine aux Caraïbes, promettant d’investir par l’intermédiaire du Caribbean Basin Initiative. Seaga annonçait en 1982 une augmentation du produit national brut, une progression de 20 p. 100 dans l’industrie du bâtiment et une reprise du tourisme. Le taux de chômage atteignait toutefois 26 à 30 p. 100 de la population active et la dette s’amplifiait. Le prix de la bauxite poursuivait une irrésistible baisse (face=F0019 漣 50 p. 100 entre 1982 et 1984), ce minerai ne représentant plus que 40 p. 100 des exportations de la Jamaïque (contre 70 p. 100 à la fin des années 1970). Les exportations de sucre et de bananes stagnaient, les entreprises productrices voyant croître leur endettement.
En 1983, l’industrie sucrière amorçait un processus de modernisation technique avec le soutien financier du gouvernement, sous l’égide du Sugar Industry Research Institute (S.I.R.I.) et d’une compagnie canadienne (Arvid Machine Tool Company). En 1985 et 1986, la Jamaïque était contrainte de négocier un réaménagement de sa dette extérieure (3,5 milliards de dollars) avec le F.M.I., puis avec le Club de Paris en 1987.
L’île, peuplée de 2,5 millions d’habitants en 1990, connaît la malnutrition (qui touche 70 p. 100 des enfants hospitalisés). Bien que vendues à bas prix, les cultures d’exportation gagnent davantage de terres cultivables. Les petites fermes se raréfient, les bidonvilles sont de plus en plus étendus autour de Kingston. Armée et police multiplient les patrouilles dans la capitale, des émeutes violentes se produisant périodiquement.
Le retour à une «économie libérale» voulu par Seaga et les prêts du Fonds monétaire ne freinèrent pas la récession, ne diminuèrent ni les dépendances, ni les faiblesses internes de l’économie du pays, ni une inflation qui atteint 30 p. 100. En juillet 1985, les sociétés Kaiser Aluminium et Reynolds Metal annonçaient la fermeture de l’Aluminium Partners of Jamaica (A.P.J.), le plus grand établissement de traitement de la bauxite de l’île. La production de marijuana procure quant à elle, selon les estimations de 1987, plus de 1 milliard de dollars par an. La Jamaïque en est le deuxième fournisseur des États-Unis, après la Colombie.
Le marasme s’est installé dans le pays, où les investissements nord-américains restent bien inférieurs aux prévisions de 1981-1982. Le retour au pouvoir de Michael Manley, chef charismatique du P.N.P., après sa victoire aux élections de février 1989 relance la machine économique. Le Premier ministre, reconverti aux mécanismes de l’économie de marché, estime préférable de jouer le jeu des institutions internationales chargées d’administrer la dette extérieure (4,5 milliards de dollars), le F.M.I. par exemple. Il favorise le redressement des finances publiques et aide la production des petits entrepreneurs à la ville et à la campagne. Malgré l’effondrement des cours de la bauxite, une croissance est enregistrée en raison du développement du tourisme. Cependant, les tensions sociales s’enveniment et la famine menace une partie de la population. Le gouvernement jamaïcain tente de développer la production agroalimentaire (banane, café, sucre) dans le cadre des accords entre pays A.C.P. et C.E.E. (Conventions de Lomé), ainsi que les ressources hydroélectriques. Mais il doit limiter la production d’alumine à partir de la bauxite, en raison principalement d’une pénurie d’énergie.
Michael Manley quitte son poste le 28 mars 1992 pour raisons de santé. Il est remplacé par Percival J. Patterson, un avocat noir de cinquante-six ans, un de ses plus proches collaborateurs, nommé vice-Premier ministre en 1976. Ce dernier se heurte à la violence des bandes de trafiquants de drogue liés aux partis politiques, à l’inflation et au chômage. Percival J. Patterson, profitant d’une conjoncture sociale favorable, provoque des élections anticipées pour se défaire d’Edward Seaga. Il remporte, le 30 mars 1993, une «victoire éclatante» (53 sièges sur 60).
Jamaïque
(Jamaica), état insulaire de l'Atlantique, membre du Commonwealth, situé, dans les Grandes Antilles, au sud de Cuba; 11 425 km²; 2 450 000 hab. (croissance: plus de 1,5 % par an); cap. Kingston. Nature de l'état: rép. Langue off.: angl. Monnaie: dollar jamaïquain. Pop.: Noirs (75 %), mulâtres (15 %), Asiatiques et Européens. Relig.: anglicanisme (off.), christianisme. Géogr. phys. et écon. - Montagneux, l'E. de l'île culmine à 2 292 m, l'O. est un plateau calcaire. Le climat tropical, soumis aux alizés, plus humide au N. qu'au S., entretient une végétation de forêts. Les densités approchent 230 hab./km²; l'émigration s'est ralentie. Les Jamaïcains ont développé un culte original, mélange de rites chrétiens et de musique (reggae), fondé sur le retour mythique vers l'Afrique des ancêtres (ses adeptes sont les rastas). - L'agriculture est dominée par les plantations comm., dues à la colonisation; on exporte sucre, bananes, rhum et café. 50 % de la bauxite (4e production mondiale) est auj. transformée sur place. Le tourisme progresse. Les princ. partenaires écon. sont les È.-U. et la G.-B.; la dette est importante. Hist. - Découverte par C. Colomb (1494) et occupée par les Espagnols, l'île fut conquise par les Anglais (1655-1658), qui en firent une colonie prospère. Elle accéda à l'indépendance en 1962. Deux partis s'affrontent, parfois violemment: le Parti travailliste, de tendance libérale, et le Parti national populaire, social-démocrate, dont le chef, Michael Manley, a gouverné de 1972 à 1980, tentant une expérience inspirée du castrisme. En 1989, il a retrouvé le pouvoir. En 1992, Percival Patterson lui a succédé dans son parti et comme Premier ministre.
Encyclopédie Universelle. 2012.